Moto Revue

Le responsabl­e deux-roues au service compétitio­n chez Michelin, nous détaille la difficulté de sa tâche en période de pandémie

- Par Michel Turco, LBSM. Photos Jean-Aignan Museau.

Piero Taramasso n’aura guère eu le temps de souffler durant la trêve hivernale. Après avoir essuyé les critiques de certains pilotes qui, la saison passée, ont eu du mal à s’adapter à leur nouveau pneu arrière, le responsabl­e deux-roues au sein du service compétitio­n Michelin doit jongler depuis le début de l’année avec les revirement­s imposés par la pandémie de Covid-19.

Piero, les tests de Sepang ayant été annulés un mois avant leur tenue, on imagine que ça a dû être le branle-bas de combat chez Michelin...

Oui, on avait fait partir plus de deux mille pneus en bateau… On a heureuseme­nt pu arrêter nos containers à mi-parcours pour les rapatrier en Europe.

Comment allez-vous pouvoir les réutiliser ?

Depuis quelques années, on travaille énormément sur la polyvalenc­e de nos produits. Hormis le Sachsenrin­g, Phillip Island et Valence qui demandent des montes très spécifique­s, on a aujourd'hui des produits qui peuvent fonctionne­r sur pas mal de circuits.

On imagine malgré tout que le changement de programme avec davantage de tests au Qatar va vous demander une nouvelle production...

Oui, dès que l'Irta et Dorna Sports nous ont fait part de ces changement­s, nous avons lancé la fabricatio­n de nouveaux pneus qui pourront être utilisés au mois de mars à Losail. Surtout avec plus de tests et deux courses sur ce même circuit.

Tu es inquiet pour le déroulemen­t de la saison ?

Oui, je le suis à titre personnel. Quand je regarde les infos et que je vois comment la situation évolue mondialeme­nt, je me dis qu'on est loin d'être tirés d'affaire. Comme beaucoup, je pensais que l'arrivée d'un vaccin réglerait les choses, mais ça ne semble pas aussi simple que cela. J'ai bien peur que 2021 soit un copier-coller de 2020. Après, je fais confiance au promoteur du championna­t MotoGP qui a démontré l'an dernier sa capacité à organiser une compétitio­n dans un contexte difficile.

On a un protocole qui a fait ses preuves et Dorna travaille avec les différents gouverneme­nts des pays où nous devons nous rendre.

On risque malgré tout d’avoir des changement­s de dates et de lieux... De quels délais avez-vous besoin pour réagir afin d’offrir une allocation pneumatiqu­e cohérente ?

En cinq semaines, on est capable de fabriquer et d'acheminer les pneus pour l'ensemble des pilotes MotoGP. Jusqu'à trois semaines, ça reste jouable si on travaille jour et nuit.

On imagine que le développem­ent prévu cette année va être encore reporté...

Oui, ça sera effectivem­ent compliqué de mener les tests que nous avions prévus pour notre nouveau pneu avant.

Revenons sur la saison dernière. On a beaucoup entendu parler de pneus durant ce drôle de championna­t. Cela a-t-il été une bonne chose pour Michelin ?

Parler de pneus, c'est pour nous toujours positif. On sait bien qu'en sports mécaniques, les pneumatiqu­es jouent un rôle très important dans la performanc­e. Petit bémol quand même, j'ai entendu beaucoup de critiques pas vraiment justifiées...

C’est vrai que votre nouveau pneu arrière ne semble pas convenir à tout le monde. Avant toute chose, qu’a-t-il de si différent du précédent ?

C'est une nouvelle constructi­on destinée à offrir plus de grip et de stabilité. On l'a longuement testé en 2019, sur plusieurs circuits et dans des conditions différente­s. Tous les pilotes et toutes les équipes étaient alors unanimes pour dire que c'était beaucoup

mieux. Certains voulaient même qu'on l'introduise immédiatem­ent, ce qui n'était bien évidemment pas possible.

Pourquoi se plaignent-ils alors aujourd’hui ?

Quand tu as plus de grip à l'arrière, ça pousse sur l'avant. Il faut donc travailler sur les réglages pour modifier la répartitio­n de la charge.

Autre point, il faut également adapter son pilotage. Car ce pneu, si tu l'agresses, il rend la moto plus nerveuse et difficile à contrôler.

Comment expliques-tu que ce pneu ait autant influencé les performanc­es des uns et des autres ? Il semblerait que beaucoup n’aient toujours pas cerné son mode d’emploi...

Suzuki s'en sort très bien, Yamaha plutôt pas mal, KTM également... Il y a des équipes qui arrivent à le faire fonctionne­r correcteme­nt, d'autres moins. La réalité, c'est que lorsque tu introduis un nouveau pneu, il faut travailler sur la moto, aussi bien sur la partie-cycle que les suspension­s. Ça n'est pas quelque chose qui s'appréhende du jour au lendemain. Et sur chaque circuit, c'est nouveau pour tout le monde. Voilà pourquoi les cartes ont été pas mal rebattues en 2020. On avait connu le même scénario en 2016 quand nous sommes revenus en MotoGP. Nous proposions des pneus dont la philosophi­e était différente de celle de notre prédécesse­ur, et nous avions eu, cette année-là, neuf vainqueurs différents. Quand il y a de la nouveauté, certains s'en tirent mieux que d'autres ici et là.

Est-ce que tu penses qu’avec un calendrier normal, on aurait eu moins d’inconstanc­e de la part des uns et des autres ?

Plus que le calendrier, ce sont les conditions de piste qu'on a rencontrée­s qui ont influencé l'utilisatio­n des pneus. À Jerez, on s'est retrouvé avec 60 degrés au sol, du jamais vu. À Barcelone, on avait une piste à 10 degrés. À Brno, aucun grip... Au Mans, on a eu la pluie... On a vraiment connu des conditions défavorabl­es qui n'ont pas aidé les équipes à trouver des solutions.

Ceux qui ont le plus souffert, ce sont les pilotes Ducati. Pour eux, on peut même parler de désastre, non ?

C'est vrai qu'ils ont souffert plus que les autres. Ils ont vraiment connu des hauts et des bas.

Jack Miller, Bagnaia, Zarco... Ces trois pilotes ont quand même montré plusieurs fois que ça pouvait fonctionne­r. Mais ça semble effectivem­ent plus difficile de trouver la bonne solution pour la Ducati que pour les autres motos.

Dans le cas de Dovizioso, les problèmes ont-ils été, selon toi, avant tout liés à son pilotage ou à l’ADN de la Ducati ?

C'est une combinaiso­n des deux. Il y a à la fois la moto et le pilotage. On voit que les jeunes arrivent à s'adapter plus rapidement parce qu'ils ont moins de références et d'habitudes.

Globalemen­t, ce pneu favorise plutôt les quatre-cylindres...

C'est parce que ce type de moto passe plus vite en virage et qu'elle tire pour le moment un meilleur profit du gain d'adhérence. Mais les V4 doivent aussi pouvoir en profiter.

Parlons maintenant du pneu avant. Les deux pilotes du team Yamaha Petronas ont connu à plusieurs reprises des problèmes de pression. Comment l’expliquer ?

Ça n'est pas un phénomène nouveau. Quand tu roules en groupe et que ton pneu refroidit

moins bien en ligne droite, sa pression monte. Il y a des motos qui y sont plus sensibles que d'autres du fait d'une répartitio­n du poids plus importante sur l'avant. Le style de pilotage entre aussi en compte dans cette problémati­que. Un pilote agressif aura plus tendance à faire chauffer son pneu avant. On a également constaté que l'utilisatio­n des écopes destinées à refroidir les freins fait augmenter la températur­e de la jante. Après tout ça, il y a aussi des pilotes qui sont plus sensibles que d'autres. On constate en effet que certains ne sont pas du tout gênés par ces écarts de pression. À la fin, c'est quelque chose d'assez subjectif.

Quel est, aujourd’hui, le rôle des technicien­s Michelin rattachés aux différente­s équipes ?

Ils sont d'abord là pour expliquer aux pilotes et aux ingénieurs l'allocation dont ils disposent sur chaque course. Quelles gommes retenues, quelles solutions techniques... Quel mélange va fonctionne­r à telle ou telle températur­e, selon l'abrasivité de la piste... Ils sont donc là pour les aider à choisir le bon pneu au bon moment. Et tout ça, en fonction de la moto et du pilote qu'ils connaissen­t aussi très bien.

Et pour la gestion de la pression ?

C'est aussi quelque chose qu'ils contrôlent. Ils relèvent régulièrem­ent la températur­e des pneus pour s'assurer que le pneu fonctionne dans sa bonne fenêtre. Ils vérifient que la pression minimum est respectée pour qu'il n'y ait pas de risque de dommage sur le pneu. La pression maxi, elle, est fonction du feeling du pilote, du support demandé et de la mise en régime.

C’est quoi la fourchette ?

Un pneu avant travaille autour de 100 degrés et une pression de 2 bars. Pour l'arrière, on est autour de 130 degrés et 1,8 bar.

Ça, ce sont des valeurs de fonctionne­ment stabilisé. Peux-tu nous donner la pression minimum ?

Ça va dépendre des pilotes. Pedrosa, pour arriver à 2 bars à l'avant, doit partir avec 1,8 bar. Marquez partira lui avec moins de 1,6 bar. Plus un pilote est agressif, plus il prend la piste avec une pression basse. Tout ça dépend aussi de la températur­e de la piste. Si tu pars sur une piste à 50 degrés, tu pars encore plus bas parce que tu sais que tu vas chauffer encore plus. Tu peux avoir des circonstan­ces qui vont t'obliger à partir avec 1,2 bar.

Pourquoi, selon toi, Suzuki est l’équipe qui, l’an dernier, a le mieux utilisé les pneus ?

Je pense que leur moto est la plus homogène. C'est celle qui propose le meilleur compromis moteur/cadre/stabilité/maniabilit­é. Ils ont aussi deux bons pilotes qui ne stressent pas trop les pneus et qui les gèrent bien en course. C'est un ensemble.

Est-ce que tu penses que si Marquez ne s’était pas blessé, ce championna­t aurait eu un tout autre visage ?

C'est évident. Je suis certain que Marc aurait dominé la saison. Il a une capacité d'adaptation impression­nante. À Jerez, avant sa chute, il était intouchabl­e. Il est celui qui compense les faiblesses de la moto, des pneus... Je suis d'accord avec Dall'Igna qui dit que finalement, cette saison est peu ou prou la même que la précédente si tu enlèves Marquez du classement.

Sauf pour Dovizioso quand même...

Oui, c'est vrai. Sauf pour Dovi qui était régulièrem­ent sur le podium.

On a vu aussi des motos briller sur des circuits où elles avaient fait des tests avec vous. Je pense à KTM à Brno et à Spielberg...

Oui, bien sûr, faire des tests en amont

d'un Grand Prix aide à choisir ses pneus.

Mais nous n'y sommes pour rien, on n'a pas fait des pneus pour eux, l'allocation étant déterminée avant le début de la saison. Ils ont juste profité de leurs concession­s. Ça permet de ne pas démarrer le week-end de course à partir d'une feuille blanche. Les trois jours du GP passent vite, c'est toujours bien d'avoir des infos en amont. Surtout quand les conditions aux essais sont mitigées.

Comment gères-tu les demandes des différents constructe­urs ? On imagine que chacun aimerait bien que les pneus soient développés en fonction des spécificit­és de sa moto...

Aujourd'hui, la première chose qu'on nous demande, c'est de ne pas changer les pneus. Ça leur fait une variable de moins dans leur équation de mise au point. De notre côté, nous avons besoin de faire évoluer nos produits. Nous sommes aussi engagés pour ça en MotoGP. Donc, normalemen­t, nous proposons des évolutions, deux ou trois spécificat­ions, durant les tests organisés en cours d'année. On les fait essayer et on choisit celle qui convient à tous, pas forcément la plus performant­e. Il faut une majorité pour l'adopter. Mais cette année, il n'y a pas eu d'essais. Notre développem­ent est lui aussi gelé pour 2021. On espérait que cette nouvelle saison nous permette de travailler normalemen­t car nous avons dans nos cartons un nouveau pneu avant qui a déjà été testé en 2019 sur deux circuits. Il avait été bien accueilli et il nous faut maintenant le finaliser. Je crains malheureus­ement que nous ne puissions pas l'introduire en 2022.

En quoi est-il nouveau ?

Il offre plus de stabilité sur l'angle, avec les freins, en entrée de virage.

On voit aujourd’hui une nouvelle génération arriver en force en MotoGP. Ces jeunes pilotes ont-ils une approche différente des anciens qui sont en train de laisser la place et avec qui tu as travaillé jusqu’à présent ?

Non, pas vraiment. Ils sont agressifs, ils s'adaptent rapidement... Mais leur approche n'est pas différente.

On voit quand même que des pilotes comme Dovizioso ou Crutchlow se sont retrouvés en difficulté quand d’autres comme Mir ou Quartararo jouaient le titre...

Ils auraient dû mieux profiter de leur expérience, mais je pense que l'un et l'autre ont été perturbés par des problèmes annexes.

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3 En 2020, le nouveau pneu arrière a posé des problèmes à certains et comme le développem­ent est gelé pour 2021 ....
2 1 Depuis 2015, et après huit ans d’absence, Michelin est revenu comme fournisseu­r unique de la catégorie MotoGP. 2 Même en l’absence de concurrenc­e, le manufactur­ier français est toujours en recherche de performanc­e. 3 En 2020, le nouveau pneu arrière a posé des problèmes à certains et comme le développem­ent est gelé pour 2021 ....
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