Moto Verte

Tom Pagès, le forçat du FMX…

J’essaie toujours de donner mon max, mais tout est grave calculé.

- Par Laurent Reviron

Tom Pagès est devenu l’un des meilleurs freestyler­s au monde sans réaliser le backflip. Mais si la simple rotation lui a posé pas mal de soucis durant sa carrière, le rider français ne désespère pas de poser un jour le « double ». Entretien passionnan­t avec un garçon vraiment à part.

Pas facile de coincer Tom Pagès pour une interview. Ça a une vie de dingue un freestyler pro ?

« Disons que c’est surtout moi qui m’impose ce rythme. Je ne pense pas que tout le monde fonctionne comme ça. Si je faisais autre chose, ça serait pareil. J’aime bien m’entraîner deux fois par jour tous les jours. En hiver, les journées sont courtes. Refaire les prises d’élan, les réceptions, laver la moto entre midi et deux, faire le filtre, la tension de chaîne… C’est vrai qu’en ce moment, le timing est un peu serré. »

Tu t’entraînes tous les jours ?

« Depuis 2011, je m’entraîne 7 jours sur 7 deux fois par jour. Quand j’ai passé 26 ans, je me suis vu un peu vieillir dans ma carrière sportive. J’avais déjà sacrifié beaucoup mais j’ai eu envie d’essayer de tout sacrifier pour voir. »

Une bonne façon de maîtriser au mieux son sujet et donc de minimiser les risques ?

« Oui, c’est sûr, mais pas seulement. Quand je suis devenu sportif de haut niveau, les gens de mon entourage me conseillai­ent de faire un peu de préparatio­n physique. Mais c’est pas trop mon truc. J’ai pensé que passer les moments que j’aurais dû consacrer à cette préparatio­n physique sur la moto pouvait être aussi pas mal. »

En revanche, il y a dans cette méthode le risque de saturer…

« C’est sûr qu’à la fin, il y a moins de plaisir. J’ai compensé à une époque en travaillan­t sur de nouvelles figures les après-midi mais aujourd’hui, les figures sont tellement compliquée­s que je passe surtout mon temps à travailler celles que je maîtrise. »

Comment as-tu trouvé ta méthode d’entraîneme­nt ?

« Ça a commencé avec mon frère. Que ce soit en cross ou en BMX, on a toujours tout fait ensemble en essayant de repousser nos limites. Mon frère s’est souvent blessé en voulant aller trop vite pour tenter les trucs. Souvent, je sentais qu’il n’était pas prêt, il y allait quand même et se faisait mal. J’ai beaucoup appris de ça et je prends le temps de faire les choses. C’est d’abord cette compétitio­n avec mon frère qui m’a motivé à mettre les bouchées doubles à l’entraîneme­nt. Mon frère a suivi mon rythme par la suite. J’ai appris de lui qu’il fallait parfois savoir prendre des risques, et lui de moi en essayant de travailler plus. »

La caricature du grand frère qui trace la voie au plus jeune qui s’inspire de lui et finit par le dépasser est très vraie chez vous…

« C’est ça, mais il faut savoir que Charles est barjot complet ! J’ai eu aussi la chance de côtoyer Travis Pastrana et je retrouve chez lui le même état d’esprit que chez Charles. Ce sont deux barjots mais grâce à eux, le sport avance. S’il n’y avait que des gens comme moi, ça n’irait pas bien loin et ça prendrait du temps. J’essaie parfois d’agir comme eux en arrêtant de réfléchir de trop mais c’est pas dans ma nature. Charles a énormément fait pour notre sport et pour moi aussi. »

Tu ne te considères donc pas comme quelqu’un qui prend des risques ?

« Non. J’aimerais être plus fou et prendre plus de risques. Les seuls riders qui m’inspirent et pour lesquels j’ai beaucoup de respect sont ceux qui engagent comme mon frère, Travis Pastrana, Eigo Sato, Manu Troux… Ce sont les vrais bonshommes qui représente­nt ce sport. C’est ce que j’aime. Moi, j’essaie juste de leur ressembler. Je m’accroche, j’invente des choses, mais je travaille énormément pour vaincre ces peurs et ces lacunes que j’ai dans mon cerveau. J’essaie toujours de donner mon max au public, mais tout est grave calculé. Je suis tellement en confiance que je sais que ça va poser. »

Peux-tu revenir sur les moments forts de 2015?

« Il y a eu du bon et du moins bon. Cette saison n’était pas si mal. Je suis de toute façon rarement satisfait de moi-même. Les débuts ont été un peu difficiles avec la nouvelle moto plus légère et plus puissante. Je n’étais pas à l’aise à Mexico, surtout que je suis arrivé sans nouvelle figure. Terminer troisième, sans apporter de choses nouvelles n’était pas si mal. J’ai enchaîné avec une médaille d’or aux X Games, c’était bien. Je suis parti à Athènes

sur les X-fighters un peu froissé par une chute. Là, j’ai laissé la victoire à Moore. Si j’avais posé toutes mes nouvelles figures, ça serait passé. J’ai beaucoup d’amertume. Ce sont des échecs difficiles à accepter. Il y a trop de travail derrière pour se permettre d’échouer. Je me suis vu presque arrêter. L’échec est inconcevab­le à mon goût. »

Tu n’avais pas encore assez travaillé ou pas travaillé comme il le fallait ?

« Sur des figures comme le Bike Flip, faire du 100 % reste difficile. J’en fais 10/15 par jour, 7 jours sur 7 et j’en rate tout le temps. Sur un événement, je sais que j’ai presque une chance sur deux de le rater. Le jour où les autres pilotes feront comme moi des figures avec un taux de réussite réduit, peut-être que le système de jugement évoluera et qu’il y aura plus de place pour les erreurs. Je pourrai aussi repartir sur des figures dans l’axe où même quand tu roules à 70 %, tu poses un run parfait, mais ça ne m’intéresse pas. Heureuseme­nt qu’il y a Sheehan et Moore pour amener un peu de fun. Sans eux, on s’emmerderai­t sur les X Fighters. »

Tu es devenu une véritable star dans le monde. À quel moment as-tu senti que ta carrière décollait ?

« Je ne ressens pas vraiment ce statut de star. Je n’ai pas l’impression d’être meilleur que les autres. Sheehan et Moore roulent extraordin­airement bien. Josh arrive à poser des doubles flips à chaque sortie et il a même déjà passé le triple. On a découvert cette figure ensemble chez Pastrana. Il a réussi, moi pas. Je n’ai donc pas son niveau. »

Tu refais des backflips mais ça n’est pas ta figure de prédilecti­on…

« Cette figure m’a posé beaucoup de problèmes. Je me suis retiré du milieu pendant une période parce que ce sport était devenu un backflip. Je m’y suis remis l’an dernier mais je les ai à nouveau mis de côté parce que ça me demandait plus d’énergie que les figures nouvelles et plus difficiles. Ça ne m’apporte donc pas grand-chose. »

Mais tu envisages quand même le double…

« Le simple flip m’ennuie, le double moins. J’ai déjà fait une tentative ratée sur la terre. Mais j’y crois et je repartirai dessus. Un peu comme dans une tribu, je me suis toujours

dit que je deviendrai un homme dans le FMX le jour où j’aurais posé un double flip. »

Comment appréhende­s-tu le côté risqué de ta discipline?

« J’ai roulé en MX, je roule encore dans le sable, je fais aussi un peu de vitesse et je ne crois pas que ce que je fais est beaucoup plus risqué, surtout quand on connaît son sport. On apprend aussi à tomber. J’ai d’ailleurs pris bien plus de volumes cette année que les années précédente­s et je me suis bien relevé. Je porte également de plus en plus de protection­s. Quand je suis tombé sur le double, j’avais un gilet intégral qui m’a sans doute sauvé la vie. Je porte globalemen­t plus de protection­s à l’entraîneme­nt que sur les contests où je réalise des figures acquises. »

Pas mal de pilotes de cross se plaignent de ne pas être payés en rapport avec les risques qu’ils prennent. Quelle est ta position ?

« Je ne sais pas forcément ce que gagnent les autres, mais je crois savoir que si tu roules bien en cross, tu es millionnai­re. Stewart, Dungey, Villopoto, Cairoli empochent quatre fois plus que moi qui gagne pourtant dans mon sport. Je suis loin d’être millionnai­re. Mais il ne faut pas entrer dans ce calcul-là. »

Tu considères que tu ne gagnes pas beaucoup d’argent ?

« J’essaie de dominer mon sport. Dans d’autres domaines, quand tu domines, tu gagnes bien plus. Si tu prends en compte les risques, ce que je gagne n’est pas énorme. Et puis c’est un sport qui demande beaucoup d’investisse­ment dans les installati­ons. J’ai plus de vingt rampes, des engins pour travailler les réceptions… J’investis la moitié de ce que je gagne dedans. »

Tu n’as pas l’impression d’avoir fait évoluer le FMX vers un côté très pro?

« Quand je suis revenu en 2012 avec de nouvelles figures et une approche différente en travaillan­t énormément plus, les autres ont vu qu’il fallait de nouvelles figures pour continuer à gagner et ils se sont mis aussi à bosser à fond. »

Tu ne regrettes pas que ce soit devenu aussi exigeant ?

« Il y en a qui n’ont pas envie de s’investir autant et d’autres, comme moi, qui sacrifient tout. Dans n’importe quel autre sport, j’aurais abordé les choses comme ça. Je vais rouler au Touquet cette année et pour m’y préparer, je m’entraîne six à sept fois par semaine dans le sable. »

Tu ne regrettes pas l’époque où le FMX était plus relax?

« Relax ? Je ne sais pas si c’est mon truc. »

Les freestyler­s restent quand même les rebelles de la moto TT ?

« C’est possible. J’ai vraiment beaucoup de mal avec l’autorité. Ma hantise sur une course de sable, c’est le contrôle technique. »

Il y a beaucoup de gens qui te reconnaiss­ent dans la rue?

« Non, ça va. Je n’ai pas trop de soucis avec ça. » (rire…)

Le format des X-fighters te convient-il toujours ?

« On arrive un peu au bout du système et je pense que ça va changer dans les années à venir. Certains pilotes aiment les figures réalisées parfaiteme­nt. C’est souvent ceux qui n’ont pas de gros tricks engagés dans leur répertoire. Moi, j’aime que ça balance du gros tant que ça pose et peu importent les conditions. Sur un double-flip, on s’en fout que la réception te fasse bouger le casque. Ça reste une victoire pour le pilote et pour le public. Sur les X-fighters, on est trois dans cette logique. »

Tu considères que le résultat reste un peu aléatoire?

« Je ne me préoccupe pas des papiers et des notes. Je reste persuadé que si t’es bon et que tu balances, tu seras devant. Je n’ai jamais vraiment suivi une règle. J’ai toujours fait ce que j’avais envie, apporté les figures que je voulais. Si je fais un run parfait et que mon pote Josh Sheehan en fait aussi un avec un double-flip, ça ne me dérange pas de me faire battre. En revanche, j’ai plus de mal quand c’est quelqu’un qui est dans le calcul par rapport aux règles. Quand on commence à lâcher une main de plus sur un tricks, c’est que la figure a déjà de la bouteille. »

Tu te fais pas mal copier, ça te fait plaisir ou ça t’énerve?

« Les deux. Ça m’énerve si je me fais battre par quelqu’un avec mes figures. Déjà parce que je me dis que j’aurais dû en faire d’autres et aussi parce que ça veut dire que je n’ai pas bien réalisé les miennes. D’un autre côté, j’ai commencé dans ce sport en copiant les figures des autres. Et puis c’est une chance de voir tous ces gars qui n’ont pas assez d’imaginatio­n. S’ils avaient plein d’idées, je serais dans la merde. Je les remercie d’essayer de me suivre. Ça me laisse le temps de bosser sur d’autres choses. »

MOTOVERTE / 15

Il y a encore de la marge au niveau de l’évolution des figures ?

« Ça avance. J’ai travaillé sur une moto plus légère. Pour les rotations, il faudrait qu’elle le soit encore plus pour avoir un poids de corps plus influent par rapport à la moto. Il y a des choses qui permettent d’avancer comme les airbags en réception. On peut sécuriser plus le sport et de là, on va pouvoir essayer de nouvelles choses. Le travail en step-up (en camel) permet de poser quasiment avant que la moto ne commence à prendre de la vitesse descendant­e. Il n’y a pas d’impact à la réception, ça limite les risques. Les protection­s s’améliorent aussi, les rampes également. Il y a beaucoup moins de règles. On peut apporter la rampe qu’on veut sur les compétitio­ns. On voit des rampes à bascule pour le front-flip. On est plutôt au début de ce sport. »

Quel est le truc fou qu’on n’imagine pas réalisable et qui sera sans doute possible dans cinq ans ?

« Je ne l’ai pas encore en tête sans quoi je le travailler­ais déjà. Rien n’est vraiment fou, tout est réalisable. J’avais du mal à concevoir le triple-flip. C’était pour moi humainemen­t impossible tant il y a de la hauteur. Il faut vraiment de la force pour impacter ça. »

Tu en as donc encore sous le coude?

« Le plan pour l’année prochaine est de présenter de nouvelles figures. Je travaille sur ma table à dessin pour trouver de nouvelles rampes qui vont ouvrir d’autres possibilit­és. »

Ta moto spéciale te procure un avantage?

« J’ai surtout cherché à améliorer le rapport poids/puissance pour éviter de passer au quatre-temps. Mais ça n’a pas été un avantage pour le Bike-flip qui demande une courbe de puissance très linéaire. Il a fallu fabriquer un système de blocage des valves. Mais je gagne en aisance sur les tricks comme le double-flip. »

Tu n’envisages pas de passer au 4T ?

« Pas pour le moment, même si le gain de puissance est un avantage en FMX. Le 2T convient à ma façon de rouler. »

Un objectif pour le Touquet ?

« Pas spécialeme­nt. Pas cette année. Je n’ai pas assez de temps pour m’entraîner. Je vais essayer de rouler au maximum dans le sable en janvier mais il faut que je reste actif en FMX. Je participe surtout pour voir autre chose que la moto de FMX. »

Tu pourrais aussi faire un truc sans moto pour vraiment couper ?

« Ce que j’aime, c’est la moto. Je ne vais pas m’embêter à faire un autre truc comme aller en vacances. Et pour le FMX, passer des heures à moto dans le sable n’est pas perdu. Ça m’évite une préparatio­n physique intensive l’hiver. »

Pourquoi pas du MX ou du SX?

« Je n’ai pas le niveau. »

Idéalement, comment ça peut se terminer une carrière de FMX?

« Si j’avais gagné cette année, j’aurais sans doute relâché un peu l’aspect compétitio­n. J’ai envie de continuer mais plus pareil. Je vais arrêter de batailler sur les compétitio­ns pour mettre une rampe pour le Bike-flip sachant que ça emmerde tout le monde. C’est une bataille qui me fatigue et je n’en ai plus envie. Je ne vois pas le sport comme ça. Ça me donne envie de créer mes propres choses, pourquoi pas un événement. J’ai gagné le fait de choisir où je veux rider. »

Mais tu n’envisages de poursuivre que si tu continues à progresser ?

« Exactement. »

Malheureus­ement, il arrivera un jour où ça ne progresser­a plus. C’est irrémédiab­le. Tu feras quoi à ce moment-là?

« Là, tu soulèves un gros problème. En ce moment par exemple, je n’ai pas forcément d’idées de nouvelles figures et ça me stresse. Le jour où je vais diminuer mon rythme d’entraîneme­nt, je n’aurai plus le niveau pour continuer à avancer et à développer des figures et je ne me vois pas faire du FMX tranquille­ment. Alors j’ai peur qu’à ce stade, ça s’arrête vite. »

Ce n’est pas évident de trouver un truc excitant à faire après une carrière pro en FMX?

« Ça va être compliqué, mais je n’y pense pas encore. Ça veut sûrement dire que ce n’est pas encore terminé. Quand je vais commencer à me poser ce genre de questions, ça voudra dire que mentalemen­t, je serai passé à autre chose. »

Quand tu te retournes, tu vois quoi?

« Je suis content. J’aurais sûrement pu faire mieux. Mais quand je repense à 2009 quand j’ai signé mon premier contrat Redbull, que je n’ai pas pu le garder parce que je suis parti en dépression à 23 ans, je me dis que ce que j’ai fait n’est pas si mal ! »

Et quand tu regardes devant ?

« Je pense à d’autres figures. Ma vie va continuer à tourner autour de l’entraîneme­nt et de la performanc­e. » ❚

Je deviendrai un homme en FMX, le jour où j’aurais posé un double-flip.

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 ??  ?? Tom Pagès a été épaulé par Guillaume Davion pour concevoir une moto plus légère, spécifique­ment adaptée aux figures nouvelles mises en place…
Tom Pagès a été épaulé par Guillaume Davion pour concevoir une moto plus légère, spécifique­ment adaptée aux figures nouvelles mises en place…
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Vice-champion des X-fighters 2015 et médaille d’or aux X Games, Tom a réussi sa saison…

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