Moto Verte

Sur les sentiers du Trèfle…

Dans quatre mois aura lieu la 30e édition du Trèfle Lozérien, la classique des classiques. On a profité d’un essai hivernal pour se remettre en mémoire le parcours des grands causses et des Gorges du Tarn. Malgré les gelées matinales, on en a pris plein l

- Par La Pouge

Ca se passait dans la dernière épingle de la descente du château de Lacaze : le type était crevé et il a mis un grand coup de gaz. La moto s’est envolée, a fait un salto et elle est retombée sur ses roues quatre mètres plus bas, sur la route ! Pas de bobo, ni pour le bonhomme, ni pour la moto… » Bruno Peluhet, alias Duke, est une des chevilles ouvrières du MC Lozérien et en a vécu des belles dans les Gorges du Tarn. Comme la fois où il a fallu aller récupérer un certain David Halliday qui s’était satellisé en contrebas de ce même sentier du château de Lacaze. Le fils de Johnny a poussé quelque peu la sérénade avant de pouvoir sortir de son trou… Pour ma part, j’ai connu l’épreuve dès ses premières heures, en tant que spectateur, puis pilote amateur à la fin des années 80 avant d’y revenir quelques années plus tard en tant que journaleux pour MV. J’ai vu un pilote pleurer littéralem­ent de trouille dans cette même fameuse descente, à pied contre sa moto, en criant : « J’ai le vertige bordel ! » Je me souviens d’un amateur se mettant la cabane sur le chien à l’entrée d’une épingle, juste devant ma roue. L’aidant à se relever alors qu’il pleurait sa mère, le gars me dit : « J’me suis fait le genou ! » Je lui demande comment il peut en être si sûr et le gars me répond : « Je suis kiné, j’ai bien senti quand ça a craqué… » Oui, Bruno Peluhet, alias Duke, a raison. Les Gorges du Tarn, ça se mérite et c’est toujours l’un des grands moments du Trèfle Lozérien. Ne serait-ce que par la majesté du site. Oui, y’a pas d’autres mots quand on aborde cette vallée de plus de 400 mètres de profondeur qui coupe en deux les grandes étendues des causses de Lozère. Tu déboules de ton joli chemin qui sinue entre les buis et paf ! Le vide te saute à la gueule comme un léopard affamé. En général, ça coupe le souffle quand c’est la première fois. Mais en ce matin de décembre, quand on aborde la pente au-dessus de Sainte-enimie, l’émotion est toujours là, bien présente. L’adrénaline débarque en force. Le choc visuel intense. Yann Guédard, notre chef des essais, qui n’était pas revenu dans le coin depuis pas mal d’années en est encore tout retourné quand on s’arrête plus loin pour faire des photos : « Ça fout le vertige quand tu débarques là ! » Faut dire qu’après une heure de pistes et de chemins plus ou moins roulants, on vient de s’offrir un joli brin de sentier monotrace qui surplombe les Gorges du Tarn sur quelques kilomètres. T’es à la fois concentré sur où tu vas poser ta roue avant et partagé par l’envie de regarder ce panorama de carte postale. Cruel dilemme. Le mieux, c’est de s’arrêter. Ce que font certains concurrent­s du Trèfle quand ils abordent le canyon géant. S’arrêter pour admirer et prendre une paire de selfies comme j’en ai vu faire l’an dernier. Et pas des moindres. Je me souviens de Jérémy Joly s’offrant une pause

photo dans la descente de Lacaze. Petite pause lors des 220 kilomètres que compte généraleme­nt la journée consacrée aux grands causses et aux gorges. Une journée considérée comme roulante malgré tout car sur le causse, la piste est reine. Et ce, quand bien même ces dernières années on a vu du beau single casser un peu la monotonie des grandes pistes. L’équipe des traceurs fait un boulot de dingue par ici. Sur ce bout de Lozère à la fois sauvage et très protégé. On est en périphérie du parc National des Cévennes, dans un site classé par l’unesco, avec du Natura 2000 un peu partout dans la vallée. Souvenez-vous que le survol en hélicoptèr­e a été refusé lors du passage du Tour de France 2015 ! Pas de direct pendant plusieurs kilomètres pour raisons environnem­entales. Et qu’on est là, à moto, dans un site exceptionn­el.

Loup et sangliers

Donc notre virée a commencé quand le soleil attaquait le dégivrage de l’herbe rase du causse de Sauveterre. - 6 °C dans la nuit, ça laisse des traces. Surtout dans les ombres des genévriers qui s’étirent dans la lumière basse du soleil hivernal. Gaffe aux sorties de virages, d’un coup transformé­s en holiday on ice ! Mais Duke roule du rythme intelligen­t de celui qui a 5 ou 6 heures de moto à s’envoyer. C’est-à-dire avec une bonne réserve sous le poignet droit, le regard haut, les jambes souples. Pas la peine de précipiter les choses, on compte rentrer sains et saufs. La neige recouvre au loin les sommets de l’aubrac et de la Margeride. Le Mont Lozère aussi. Mais ici, entre 800 et 1 000 mètres d’altitude, pas de problème, ça roule. Et pour rouler, pas de soucis, y’a des kilomètres de pistes et de sentiers de buis, les fameuses « buissières » comme on les appelle localement. Ça tournicote en suivant le relief doux des grands causses où la vue porte loin. Quelques cultures, mais on est surtout en terre d’élevage de brebis qui paissent sur des hectares et des hectares. Faut juste faire gaffe aux grillages qui délimitent les parcelles et dont Duke a fait les frais il y a quelques années. « J’avais le soleil dans les yeux et j’ai pas vu qu’un passage était fermé. À fond de quatre, ça fait bizarre ! », plaisante-t-il aujourd’hui. Mais en ce matin d’hiver, les chemins sont libres et ça roule sans appréhensi­on. On passe plusieurs hameaux avant de plonger sur Sainte-enimie, la perle des Gorges du Tarn où le Trèfle s’offre parfois un ravitaille­ment, suivant les années. En hiver, le village semble désert, ses bars et snacks fermés, sa circulatio­n quasi-nulle. Quand on connaît la fréquentat­ion de l’endroit en été… Un peu façon Gorges de l’ardèche ou du Verdon. Des canoës plein le Tarn et des milliers de touristes qui visitent l’endroit. Pour l’heure, on passe juste à la pompe (automatiqu­e) avant de filer vers St-chély-du-tarn, autre hameau pittoresqu­e à quelques kilomètres de là. On enjambe la rivière aux eaux claires et transparen­tes, bleutées, avant d’emprunter le chemin qui grimpe en lacets jusque sur les hauteurs du Causse Méjean. Une belle montée, sans rien de très technique, praticable même en hiver

Tu déboules tranquille d’un chemin qui sinue entre les buis et paf ! Le vide te saute à la gueule…

sans laisser de traces. Ici la pierre calcaire est reine. Elle tapisse tout. Faut juste penser qu’en hiver, à l’ombre, elle devient un véritable verglas. Vu le vide ambiant autour de nous, on grimpe avec respect jusqu’au col de Coperlac et ses 900 et quelques mètres. La vue est toujours aussi éblouissan­te. Le vertige omniprésen­t. On fait un arrêtbuffe­t à l’auberge du coin. L’un des rares restos ouverts en hiver. Pas étonnant si tous les travailleu­rs du coin s’y retrouvent pour déguster un bon menu ouvrier qui te tient au corps sous l’oeil d’une tête de sanglier empaillée ! Avec les trois mouflons aperçus ce matin en train de brouter tranquille­ment dans un champ, on augmente amplement le bestiaire local, déjà truffé de centaines de vautours qui survolent quotidienn­ement les gorges. « Et j’ai même vu un loup, nous annonce Duke. C’était l’automne dernier dans un autre secteur de Lozère. Il a surgi en contrebas du chemin, il l’a sauté d’un bond et j’ai eu le temps de le voir grimper entre les genêts. Il s’est arrêté pour me regarder avant de filer. Je connais suffisamme­nt les renards et les chiens pour te dire que c’était bien un loup ! »

Les menhirs des Bondons

Plus tard, après une courte digestion au soleil du Causse Méjean, on se retrouve sur un chemin qui longe les gorges avant de se rétrécir et plonger jusqu’en bas. Pas la descente du Château de Lacaze (sur l’autre versant), mais une belle série d’épingles là encore, sur ce calcaire vicieux qui ne demande qu’à t’expédier tête la première dans les sapins. Et Guédaro qui a ce moment-là est au guidon de la grosse Husqvarna 701 en éprouve les limites du rayon de braquage ! Mais tout se passe comme sur des roulettes jusqu’à notre arrivée au fin fond des Gorges. On s’offre une pause sur le magnifique pont de Sainte-enimie, ouvrage du Moyen-âge qui permet de s’offrir une belle vue sur ce village calcaire. De là, retour jusque sur le causse de Sauveterre, quasiment là où on l’a quitté ce midi. Mais cette fois, on prend plein est/nord-est, à nouveau sur de la piste à glisse comme j’appelle ces grands chemins bien rigolos si t’aimes te mettre en « drift » dans les grandes courbes. « Duke » connaît ce coin de Lozère comme sa poche et nous fait faire un large détour sur ce plateau sauvage où l’on ne traverse que de rares hameaux et quelques fermes isolées. Là encore, la vue porte loin. Très peu d’arbres et de forêts, juste l’horizon qui ondule au loin. On a droit aux sommets du Mont Lozère enneigés et surtout le col de Montmirat où passe régulièrem­ent le parcours du Trèfle (les fameux menhirs des Bondons pour ceux qui connaissen­t). On n’ira pas jusque-là car les journées d’hiver sont courtes et qu’on n’a guère envie de terminer avec les phares. On rejoint d’ailleurs nos véhicules avant que le soleil disparaiss­e à l’horizon. Encore une fois, la Lozère a tenu ses promesses. Rien de compliqué, rien d’extrême, juste le plaisir de rouler sur de beaux chemins. D’en prendre plein les yeux quand on les décolle de sa roue avant pour profiter d’un paysage époustoufl­ant. Gorges du Tarn for ever ! ❚

 ??  ?? Et à quelques kilomètres de là, on s’offre un panorama sympa sur les Gorges du Tarn au-dessus de St-chély-du-tarn.
Et à quelques kilomètres de là, on s’offre un panorama sympa sur les Gorges du Tarn au-dessus de St-chély-du-tarn.
 ??  ?? Une ancienne bergerie typique des grands causses de Lozère à l’abandon ponctue la platitude du site.
Une ancienne bergerie typique des grands causses de Lozère à l’abandon ponctue la platitude du site.
 ??  ?? Sur le retour en milieu d’après-midi, on laisse derrière nous le col de Montmirat et le site des Bondons.
Sur le retour en milieu d’après-midi, on laisse derrière nous le col de Montmirat et le site des Bondons.
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 ??  ?? Petite pause à Sainte-enimie avec vue depuis l’ancien pont médiéval. Et en desous coule le Tarn…
Petite pause à Sainte-enimie avec vue depuis l’ancien pont médiéval. Et en desous coule le Tarn…
 ??  ?? Sur le causse, on passe de grandes pistes aux sentiers sinueux longés de buis ou de grillages à brebis. De la pure rando ouverte à tous.
Sur le causse, on passe de grandes pistes aux sentiers sinueux longés de buis ou de grillages à brebis. De la pure rando ouverte à tous.

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