Moto Verte

Gilles Mallet

« Un grand marchand de rêves. »

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La mort de Thierry Sabine fut prétexte à de nombreux hommages. Celui de Gilles Mallet, rédacteur en chef de Moto Verte qui lui reprochait d’avoir emprunté l’idée du Dakar à Jean-claude Bertrand, sonne juste. Voici son texte…

« Je crois que Thierry Sabine avait beaucoup d’admirateur­s et très peu d’amis. Je ne fais partie ni des uns ni des autres, mais de ceux, peut-être encore plus nombreux, qui se disaient : “Impossible de savoir ce que ce type-là a dans la tronche. Mais il est fort. Très très fort”. Ça s’appelle peut-être du respect. Il était très fort parce qu’il croyait à fond à ses idées – peu importe qu’il les ait parfois empruntées à d’autres – et s’engageait à fond pour les concrétise­r. C’étaient des idées simples et fortes, et il avait eu le génie de les faire partager. Il avait eu envie de faire une course moto ouverte à tous, et il a fait Le Touquet. Énorme. Il avait eu envie de faire une course qui traversera­it la France et la ferait découvrir, et il a fait la Croisière Verte : la moins connue, mais peut-être la plus belle de ses réalisatio­ns. Il était tombé amoureux du désert, alors il a eu envie d’y emmener beaucoup de monde, et il a fait le Paris-dakar. On a presque envie de dire : tout simplement. Parce qu’on avait l’impression que venant de lui, il était tout naturel que ce qu’il touchait devint un succès. Peut-être à cause de cet air détaché, de ce charme distant qui était son attitude coutumière. Comment savoir ce qui se passait dans la tête de Thierry Sabine ? Dernière question, à jamais sans réponse : pourquoi cette année avait-il fait un Paris-dakar pratiqueme­nt impossible s’il s’était déroulé sans rien y changer ? Lui-même, lorsqu’on lui posait la question, semblait perplexe. Il était sans doute un peu mystique, un peu fêlé, il aimait les risques. C’est peutêtre parce qu’on ne le comprenait pas, parce qu’il avait souvent l’air de planer, loin au-dessus des réalités, mais qu’il était toujours là sur les gros coups, qu’on l’appelait Dieu. Par dérision sans doute, mais il y avait beaucoup de respect dans cette dérision. Dieu s’est cassé la gueule et, curieuseme­nt, je regrette maintenant de n’avoir pas cherché à connaître un peu mieux ce grand marchand de rêves. Car c’était un sacré mec. En dix ans, il a fait plus, pour la moto verte que cinquante ans de compétitio­ns traditionn­elles. Et l’on oublie tous ses défauts, qui étaient grands. Brassens avait raison : les morts sont tous de braves types. »

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