Match hyper trails
Pour mesurer la mythique et nouvelle Africa Twin face à l’historique Super Ténéré dans son ultime version, il fallait un décor à la hauteur. Pas le temps de descendre au Maroc ? No problemo, on est allé surfer sur les terres sablonneuses de la côte norman
Africa Twin vs Super Ténéré…
C‘est quand on s’est retrouvé dans les whoops de ce terrain de cross secret planqué près du Havre que j’ai compris qu’on avait peut-être poussé le bouchon un peu loin ! Non mais, balancer ces machines de plus de 230 kg dans du sable mou et des trous d’un bon mètre, c’est pas sérieux. Mais le Guédaro, faut pas lui en promettre. Et si t’es un tantinet normal des biceps, t’évites de suivre le vainqueur du Touquet 92 dans ses divagations… Je me revois encore avec la Super T en perdition dans les ornières alors que mon pote commence à sauter les petites tables du circuit avec la Honda. Puis plus tard, en train d’essayer de surfer une série de whoops avec l’africa Twin alors que mon Guédard fait talonner la Yam dans la silice. Qu’est-ce qu’on ferait pas pour vous pondre un essai vraiment tout-terrain de ces motos plus destinées à l’aventure pépère qu’à une attaque « barredesque » ou « van bevererienne » ? Fallait nous voir, comme deux ados sous intraveineuse de redbulles, tordant la poignée droite sur les pistes qui se perdent dans ce dédale de marécages. Braaaaap ! Tu regardes le compteur et tu prends peur. Tu prends ton pied aussi. Avec un paquet de chevaux sous le capot, mine de rien, les grosses ça peut jouer les filles de l’air si tu leur offres une paire de pneus trail bien crantés et de la grande piste qui se perd à l’horizon. Bref, on se l’est bien donné et c’est ce qu’on va vous conter dans les chapitres qui suivent.
Quelles différences en statique ?
Il y a un monde entre ces deux machines. Et ça saute aux yeux dès qu’on les aligne pour la photo souvenir. Chez Honda, on s’est esthétiquement inspiré de la CRF Rally 450, la fabuleuse machine du HRC qui depuis quatre ans tentent en vain de décrocher le graal sur le Dakar. Lignes tendues, réservoir « mince » de 18 litres, roues de 21 et 18 pouces, suspensions à grands débattements… la filiation toutterrain est évidente. Ce qui n’est pas pour nous déplaire à MV. Face à elle, la Super T de Yamaha offre sa ligne arrondie, son réservoir rebondi de 23 litres, ses roues de 19 et 17 pouces et un embonpoint clairement inspiré de cette bonne vieille BMW GS, reine des ventes trail en Europe depuis quelques années (ceci expliquant certainement cela). Toutes deux proposent néanmoins la formule mécanique du bicylindre longitudinal calé à 270°. Honda se « contente » de 998 cm3 alors que Yamaha grimpe sa cylindrée à 1 199 cm3, soit 200 cm3 de plus. D’où plus de puissance également avec 106 CV pour la Ténéré contre 95 CV pour la nouvelle Africa Twin, un poil plus de couple également pour la Yam. Six vitesses pour les deux machines mais une transmission par cardan chez Yamaha contre une chaîne à joints toriques sur la Honda (qui propose également une boîte automatique en option). Antipatinage électronique ajustable et déverrouillable sur les deux. Le freinage semble du même tonneau avec un double disque avant de 310 mm sur les deux machines et un simple disque à l’arrière. Les suspensions ne sont par contre pas vraiment du même acabit. Yamaha reste en deçà des 200 mm de débattement (190 AV/AR) alors que l’africa Twin revendique 230 mm à l’avant et 220 mm à l’arrière. Yamaha offre un
Honda remet au goût du jour l’esprit du trail, le vrai !
réglage électronique au guidon pour assouplir ou durcir sa suspension d’un coup de pouce alors que sa concurrente se contente d’une simple molette à l’arrière agissant sur la précontrainte. Les selles sont réglables en hauteur sur les deux et l’on retrouve une selle biplace large et « surélevée » à l’arrière pour le confort et la vision du passager. En option, des valises, des bulles hautes, des selles plus ou moins hautes, des feux antibrouillard, des protections diverses, voire un échappement Akrapovic pour la Ténéré…
Dernière info mais qui a son importance : 232 kg tous pleins faits pour l’africa Twin, contre 265 kg pour sa concurrente. Ça cause, non ? Enfin, on a utilisé le modèle standard pour l’africa Twin alors qu’une version DCT (automatique si vous préférez) est au catalogue (moyennant 1 000 euros de plus).
Prise en main
Autant leur hauteur de selle est quasi la même (845 mm pour la Yamaha, 850 pour la Honda), autant on a immédiatement
une perception différente quand on s’installe. Quelque chose d’assez aérien, droit, très TT dans l’esprit sur la Honda alors qu’on se retrouve « installé » sur la Yamaha, posé dans un sofa, un peu dépassé par ce large réservoir et cette bulle proéminente. C’est clair, un Vert comme nouzôtres gars de la rédaction se sent immédiatement plus à l’aise sur la Honda avec sa position haute, son réservoir plus fin et ses grandes roues. Et puis si l’on doit rester vigilant avec ces machines de plus de 230 kg à plein, la Honda est tout de même plus agile dans les manoeuvres à l’arrêt ou à très basse vitesse. Pour le reste, on doit se familiariser avec divers Commodo en plus des éternelles commandes de phares, klaxon et clignotants. Des commandes agissant sur le freinage, l’antipatinage et le régulateur de vitesse (plus la dureté des suspensions pour la Yamaha). Les compteurs sont bien lisibles, les commandes souples. Un tour de clé, un appui sur le démarreur et ça ronronne moelleux au ralenti.
Quel est leur comportement routier?
Quoi ? On parle de bitume dans Moto Verte ? Oui, faut bien, parce que ces deux vaisseaux amiraux passeront bien plus de temps sur la route que dans les chemins. On est d’accord. Dans notre cas, ce fut périph’ parisien puis autoroute de Paris à Rouen, nationales et départementales ensuite. Du sec, du mouillé bien glissant, de longues lignes droites et du virolo rigolo en Seine-maritime. Une fois pris en compte les pneus trail à gros pavés demandés pour cet essai (les pneus d’origine ont un profil très routier), on peut commencer à jouer avec ces machines hors normes. La Honda affiche rapidement son agilité, tant dans la circulation dense de la capitale que sur les départementales normandes. On domine et l’on maîtrise son sujet à son guidon bien plus qu’à celui de la Ténéré où l’inertie est nettement plus présente. Bien sûr, sur de la nationale roulante et de l’autoroute, la Super T est un vaisseau de l’espace où l’on est installé comme dans une limousine, régulateur enclenché, prêt à traverser la France sans même un début de fatigue avant d’être venu à bout de ses 23 litres d’essence. Mais la Honda n’est pas en reste côté confort. Sa bulle protège plutôt pas mal tant qu’on reste dans les normes de vitesse en vigueur et ses suspensions avalent tout sans broncher. Tout comme sa selle, aussi confortable que sur la Super T. Côté sensations, si la douceur et le gros couple de la Ténéré sont forcément des atouts pour aller loin sans se fatiguer, la hargne et la vivacité du twin Honda sont réellement jouissifs. Et cette sonorité ! Honda s’est fendu d’un silencieux à la fois efficace mais qui laisse « parler » son bloc-moteur teigneux. On a beau dire, ça compte dans le plaisir du motard. Côté puissance brute, on a bien tenté de se départager sur de belles accélérations en ligne droite Yann et moi, on n’a pas réussi. Certes la Yam affiche 11 chevaux de plus et du couple en rab’, mais la Honda avec ses 33 kg de moins reste à son c… sans problème. D’ailleurs, merci aux antipatinages électroniques, ce que ça peut vous sauver sur les mauvaises départementales glissantes et les sorties de ronds-points « fuelisées »… Bravo aussi aux ABS aussi efficaces sur l’une comme sur l’autre, associés à d’excellents freins bien
La Super Ténéré est avant tout une GT destinée aux voyages.
mordants. Où là encore la différence de poids entre les deux machines donne un avantage à l’africa Twin sur petites routes.
Et en tout-terrain?
Avant d’aborder ce chapitre, faut se poser deux minutes et plonger dans le mode d’emploi. Déverrouiller l’antipatinage et déconnecter les ABS (à l’arrière uniquement sur la Honda). Quand on a trouvé le bon bouton, on tâche de s’en souvenir. Sur la Yamaha, on durcit électroniquement d’un doigt sa suspension en position 3, la plus dure (indispensable !). Bon, oubliez le terrain de cross sablonneux comme on a tenté de le faire. On voulait voir leurs limites, on les a vues, celles de la Honda étant bien plus hautes que sa concurrente. Parlons piste, chemin roulant et pourquoi pas un peu de sable mou après tout. D’entrée, la position haute, les grandes roues et la position de la Honda vous mettent en confiance. Là où la Yamaha va demander rapidement bien plus de concentration. On va éviter de tournicoter autour des buissons, le poids rebute
immédiatement et peut vous coller au sol en un instant. Mais dès qu’on a un peu de vitesse, qu’on a passé la deux ou la trois, on peut se lancer à piloter. Envisager des glisses sympas sur la Honda et mettre un peu de gaz avec la Yamaha. Mais pas plus avec cette dernière. L’avant est lourd, plonge facilement et demande beaucoup de physique pour se mettre à virer. On se contentera donc de rouler sur de la piste, rouler sans attaquer, partir à la découverte du pays en évitant les embûches. Et ma foi, c’est bien là l’essence même du trail. Par contre, la Honda s’avère joueuse. Le pilote de tout-terrain y trouvera son compte. Ce n’est pas une moto de rallye, mais on se prend à mettre du gaz à son guidon. Faire de belles glisses en courbes, avaler les bosses en jumpant. Oui, l’africa Twin se pilote et nous a drôlement bluffés par ses capacités tout-terrain. La différence de poids, les suspensions hautes, les grandes roues et son réservoir plus petit permettent vraiment de sortir du bitume une fois montés des pneus trail bien crantés. Faudra tout de même éviter la grosse boue bien profonde, l’herbe bien « beurrée » comme on dit en Normandie. 230 kg, c’est pas une sinécure quand ça part dans le décor !
Laquelle pour qui?
D’entrée, deux concepts totalement opposés pour une seule et même idée du gros trail : rouler vite et loin, dans le meilleur confort possible. Honda semble simplement s’être souvenu que dans l’expression « gros trail », il y a trail (chemin en anglais). À l’inverse de l’essentiel de la production actuelle (hormis la KTM 1200 Adventure R et la BMW F800 GS), Honda offre aux amateurs d’aventure la possibilité d’aborder du raid tout-terrain sans vraiment sacrifier au confort du roulage routier. Un bel exploit qui ravira les amateurs de tout-terrain un peu dégoûtés depuis longtemps de la tournure « char d’assaut » ultra-technos des trails actuels. En plus de son esthétique vraiment racing, elle offre une sonorité et des performances qui vont séduire les plus puristes des verts. Agile (pour un gros trail) et nerveuse, elle nous a sidérés par sa filiation TT. Bien plus fun et pilotable que sa concurrente qui s’adresse avant tout aux amateurs de longues balades pépères dans le confort le plus absolu. Aux routards rarement tentés de s’écarter du bitume. Franchement, si vous tentez une traversée du Maroc, de l’argentine ou ne serait-ce que des Cévennes, le choix de l’africa Twin s’impose. D’autant que la CRF 1000 s’affiche à 3 000 euros de moins que sa concurrente XTZ 1200 en version de base ! Comme dirait l’autre : y’a pas photo…