Moto Verte

Roger Harvey, l’oeil du HRC en MXGP…

- Par Jordan Labbé

Ancien champion de motocross anglais dans les années 80, Roger Harvey travaille pour Honda depuis vingt ans et dirige le team HRC en MXGP depuis 2014. Son expérience, son humour et sa personnali­té en on fait l’un des managers les plus appréciés du paddock. On s’est posé avec lui sous l’auvent du team Honda pour une longue conversati­on…

Une saison de plus dans ton palmarès, quel bilan en tires-tu ?

« Cela a été une saison très excitante sur de nombreux aspects, mais également une saison difficile car nous sommes arrivés en tant que champion du monde MXGP mais nos deux pilotes (Tim Gajser et Evgeny Bobryshev) ont été blessés. Cela a été très dur à accepter après deux magnifique­s saisons. Mais c’est le sport et il faut faire avec. »

On dit souvent que c’est plus difficile de conserver un titre que d’en gagner un. Tu le confirmes ?

« Absolument ! Je suis d’accord à 100 % avec cela. Tim est passé en MXGP après son titre en MX2 et personne n’aurait pu parier qu’il

serait champion du monde. On savait que cela serait plus compliqué cette année. On en a beaucoup parlé cet hiver. Il y a tellement de bons pilotes en MXGP et il n’y a pas eu de grosses blessures cette année. Herlings a été un peu diminué en début de saison et Tim s’est crashé avant le GP de France. Pendant ce temps-là, Cairoli a fait ce qu’il savait faire… »

La confiance de Tim a été ébranlée par cette blessure ?

« Il est arrivé assez fort en début d’année mais il est vrai que cette blessure a été un coup d’arrêt dans sa progressio­n, dans sa routine. La seule façon de bien se soigner est de prendre le temps mais les courses s’enchaînent très vite. C’est ce qui a rendu les choses compliquée­s pour lui. Quand tu es derrière la grille et que tu sais que tu n’es pas à 100 %, c’est difficile. Tu te mets la pression. »

Après cette saison 2017 compliquée, comment aborder l’année prochaine?

« Il y a différente­s choses à prendre en compte pour préparer une saison. Le budget, les pilotes, l’organisati­on, la mise au point des motos… Il faut aussi prendre en compte le fait que nous aurons une nouvelle 250 et qu’il va falloir travailler sur la moto. Mais si je regarde les choses dans leur globalité, je pense que nous sommes assez bien placés. Il y a encore des choses qui ne sont pas finalisées, mais nous serons prêts. »

En parlant du MX2, il semble que la catégorie soit dans la tourmente (cf. opinion page 44). Quel est ton avis là-dessus ?

« Nous ne sommes pas certains à 100 % que le HRC sera officielle­ment représenté en MX2 l’année prochaine. On a une bonne idée de ce qu’il pourrait arriver mais ce n’est pas finalisé. Le HRC sera présent en MXGP, c’est certain, et il est possible qu’il supporte un team en MX2. »

C’est plutôt inquiétant qu’un team comme le HRC parle de quitter le MX2. C’est sans doute une histoire de budget mais si même Honda, premier constructe­ur mondial, a des soucis d’argent, comment font les autres ?

« On parle bien sûr de budget, mais également de rationalis­ation des coûts. Si l’on regarde le programme Honda sur le Motogp, il n’y a pas de problème de budget car cet investisse­ment est légitime et il se reflète sur le marché. En Moto2, il y a quelques jeunes pilotes qui sont aidés, mais aucun ne l’est directemen­t par le HRC. »

Le retrait du HRC en MX2 ne serait-il pas étonnant sachant qu’honda vient de présenter une nouvelle 250 4T ?

« C’est justement pour cela qu’il y a des discussion­s en ce moment. On parle de commerce, ni plus, ni moins. D’un point de vue personnel, le MX2 est vital. Certaines entreprise­s majeures veulent réduire leur effort dans cette catégorie mais il faut bien faire grandir les pilotes quelque part. »

Faut-il être présent en compétitio­n pour vendre des motos ?

« Il y a beaucoup de 250 sur le marché. Je pense honnêtemen­t qu’il faut être présent pour montrer ses produits, son savoir-faire. Mais pas seulement pour le milieu du motocross ! Quand tu vas acheter une tondeuse, tu sais que le produit Honda sera bon car tu connais le nom et la réputation de la marque. Le motocross et la compétitio­n contribuen­t à cette réputation et je crois qu’il est important de la préserver. »

Es-tu inquiet pour l’avenir du motocross ?

« Il y a des choses positives à retenir mais je pense qu’il faut en revoir certaines autres. Aujourd’hui, tout coûte trop cher. Nous avons dix-huit courses et probableme­nt plus l’année prochaine. Je pense que la règle qui oblige les pilotes de plus de 23 ans à rouler en MXGP a été bonne jusqu’à présent mais les choses changent et ce n’est plus adapté aujourd’hui. »

Si tu étais président de Youthstrea­m, quelle serait ta première mesure?

« Justement, supprimer cette règle des 23 ans. Quand on voit des pilotes comme Benoît Paturel qui se retrouvent sans guidon, c’est qu’il y a un problème quelque part. C’est bien de pouvoir faire monter des pilotes qui

auraient probableme­nt gagné des titres tous les ans mais il y a des pilotes qui sont vraiment des pilotes 250. Je pense notamment à Tommy Searle. Il y a aussi probableme­nt d’autres choses que je changerais mais il faudrait y réfléchir plus en profondeur. On est dans une période critique pour le motocross. Mais pour le moment, mon job est de faire en sorte que tout se passe pour le mieux au HRC, pas de promouvoir le sport. »

Tu penses que la promotion du MX pourrait être mieux faite ?

« Non, je trouve au contraire qu’elle est plutôt bonne. Le MX est retransmis dans beaucoup de pays, il y a beaucoup d’exposition mais du coup, c’est un championna­t très long. On se déplace partout dans le monde et l’année prochaine, il y aura encore plus de courses et cela a un impact sur les budgets. Quand on m’a dit que le nombre de courses allait augmenter, je n’y croyais pas. Le staff est engagé à l’année, donc que l’on fasse quinze ou vingt courses, c’est pareil. Par contre, le matériel que l’on utilise coûte très cher et l’on doit mettre l’addition en face de notre budget. Je l’ai dit ouvertemen­t dans de nombreuses réunions, il faut réduire le nombre de courses. Quinze GP me paraît être un bon compromis. »

Les pilotes coûtent également de plus en plus cher…

« Le salaire des pilotes a augmenté ces dernières années et il est vrai qu’ils représente­nt une grande part dans le budget. La raison est simple, il n’y a que les constructe­urs qui payent et ils payent de plus en plus cher. Le pilote numéro 1 gagne beaucoup d’argent et le pilote numéro 2 n’a pas grand-chose. Quoi qu’il arrive, nous n’avons qu’un seul budget et il n’est pas extensible. Il faut payer le prix fort pour avoir un potentiel champion du monde et l’on doit composer avec ce qu’il reste pour les autres. »

Sur quels critères recrute-t-on un pilote ?

« Il y a beaucoup de choses à prendre en compte, mais la plus importante, c’est le résultat. Et il n’y a que trois ou quatre pilotes qui sont capables d’avoir des résultats. Ensuite, il faut étudier les contrats, regarder dans quelles conditions il évolue, comment il travaille, quelles relations il a avec la presse… »

Tu as eu quelques expérience­s difficiles avec des pilotes français. Tu serais prêt à en engager un nouveau ?

« Les Français sont difficiles à travailler, c’est un fait reconnu ! Je ne sais pas pourquoi mais quand tu parles aux autres managers, ils disent tous pareil ! Rien de méchant, mais toujours : “Oui, mais il est Français.” Tu peux remonter le temps, cela a toujours été vrai. »

Qui est le pilote français avec lequel tu as pris le plus de plaisir à travailler ?

« Jean-michel Bayle. J’ai travaillé avec lui récemment mais il n’était plus pilote. Lui-même reconnaiss­ait que les Français n’étaient pas faciles, chacun à leur manière. Les Scandinave­s sont plus faciles. »

Tim Gajser a un mode de fonctionne­ment particulie­r avec un père omniprésen­t. C’est quelque chose de compliqué à gérer ?

« Cela fait quatre ans qu’on travaille avec Tim et c’est vrai qu’il est très proche de son père. Mais nous avons fait le choix de le laisser faire comme il voulait et cela marche bien comme ça. »

Si tu n’avais aucune limite ni aucune contrainte, quel pilote aimerais-tu engager ?

« Je ne peux pas répondre à cette question. Il y a plusieurs pilotes qui me viennent à l’esprit, mais comme je l’ai dit, il n’y a que trois ou quatre pilotes qui peuvent gagner un titre mondial et cela serait forcément l’un d’entre eux. Tim est un bon pilote quand il ne revient pas de blessure, Herlings fait partie des pilotes qui seront champion, Cairoli est toujours aussi rapide, Desalle dans un bon jour peut être un gros client… »

Une nouvelle génération de pilotes arrive en MXGP mais c’est Cairoli qui, à 32 ans, remporte le titre cette année. Qu’est-ce que cela t’inspire?

« Je pense qu’un pilote de 19 ans pourrait remporter le championna­t en 450 mais quand on parle aux pilotes, ils veulent rester en MX2 jusqu’à 23 ans pour essayer de remporter un titre mondial. Cela fait donc augmenter la moyenne d’âge en MXGP ! »

Parmi les jeunes du MX2, qui sera le prochain champion du monde MXGP ?

« Jonass a remporté le titre MX2 cette année, donc je pense qu’il sera en lice pour le titre MXGP dans quelques années. Mais c’est toujours une question délicate. Il y a des pilotes qui sont moyens en ce moment, ou un peu mieux que moyen, et qui exploseron­t dans quelques années. Ce sont des choses qu’on ne peut pas prédire. »

C’est un souvenir douloureux pour toi et pour Honda, mais c’est ce qu’il s’est passé avec Marvin Musquin en 2009…

« Exactement. On ne pouvait pas prédire cela. L’année précédant son titre, il était loin d’être au niveau et il s’est retrouvé en tête du championna­t avec une moto privée ! Ensuite, il a voulu une moto d’usine et nous n’en avions pas à ce moment-là. »

Cet épisode « Musquin » est-il toujours dur à accepter quand on voit le parcours qu’il a aujourd’hui?

« Non, c’est de l’histoire ancienne, c’est

« La façon dont Roczen a géré la communicat­ion autour de sa blessure et de son retour est remarquabl­e. »

la course. C’était très difficile à l’époque, mais la vérité est que je ne pouvais pas lui offrir ce qu’il demandait. Dans son cas, les choses ont payé sur le long terme et je suis content pour lui, mais je ne peux pas avoir de regrets. »

Cela nous emmène naturellem­ent vers les États-unis. La scène US a-t-elle toujours autant de valeur aux yeux d’un manager en MXGP ?

« C’est difficile pour un pilote américain d’accepter de venir rouler en Europe. C’est trop compliqué pour eux de vivre en dehors des États-unis, tout est si différent ! C’est assez facile de rouler aux USA, c’est un fait. Ce n’est pas la même chose quand il faut aller rouler à Lommel au mois de décembre ! Bien sûr, cela serait excitant d’avoir un grand nom du cross US en MXGP, comme l’a été Ryan Villopoto, mais la vérité est qu’il n’a fait que quatre courses… C’est dur d’avoir de bons pilotes US en Mondial, sauf quand ils arrivent en fin de carrière et qu’ils n’ont plus ce qu’ils veulent aux USA. Mais je crois que cela pourrait changer. »

Tim parle souvent de son envie de rouler aux USA…

« Oui, c’est vrai. C’était jusqu’à présent le chemin que privilégia­ient les pilotes. Progresser en GP et partir vers les USA. Mais le chemin inverse est aussi possible. Regarde le parcours de Thomas Covington. Zach Osborne a fait la même chose et il est rentré aux USA car il n’avait plus rien en Europe. »

Avant, si un top pilote US venait en Europe, il aurait pu être champion du monde en deux ans…

« Aujourd’hui, l’histoire serait différente. Les pilotes européens sont devenus excellents en motocross. Je ne parle pas du supercross. Mais si l’on faisait une confrontat­ion avec le top 20 US contre le top 20 MXGP, je suis certain que les pilotes de GP remportera­ient la course. Il y a dix ans, les pilotes européens n’auraient eu aucune chance ! »

On voit même des ex-pilotes de GP gagner en supercross, comme Roczen. Que t’inspire sa saison, sa blessure et son retour ?

« Le premier à battre les Américains chez eux a été JMB, et c’est toujours aussi fantastiqu­e de voir des Européens briller aux USA. Ce que fait Ken Roczen aux USA est vraiment génial. Il a gagné des courses, des championna­ts, mais c’est aussi devenu un gamin très populaire, contrairem­ent à JMB ! »

JMB était plutôt dans le rôle de l’européen qui vient battre les Américains alors que Ken essaie de s’intégrer !

(rires) « C’est exactement ça ! Ken est venu en disant “Je suis votre ami !”. Mais je pense que la période est différente. Les portes ont été ouvertes par JMB et maintenant les Américains comprennen­t qu’ils peuvent voir débarquer des pilotes rapides en provenance de l’europe. Mais il faut reconnaîtr­e que Roczen est très bon en relations publiques et avec la presse. La façon dont il a géré la communicat­ion autour de sa blessure et de son retour est également remarquabl­e. »

Roczen a parfaiteme­nt utilisé les réseaux sociaux et a probableme­nt eu plus de retombées que s’il avait fait les courses et remporté un championna­t. C’est bon pour Honda et pour ses sponsors, pas vrai ?

« Absolument ! Les images étaient parfois difficiles à voir et Roczen est le genre de mec qui poste des trucs qu’on ne voudrait pas forcément voir avant de monter sur une moto de cross. Mais ce sont des choses qui peuvent arriver et je pense qu’il a obtenu énormément de respect de la part de l’industrie et des pilotes en montrant par quelles phases il était passé. Comme beaucoup maintenant, j’ai hâte de voir ce que cela va donner à Anaheim ! »

Est-ce que les pilotes n’en font pas un peu trop avec les réseaux sociaux ? C’est aussi une source de distractio­n ?

« C’est vrai. Les réseaux sociaux peuvent être à la fois une bonne chose et une mauvaise chose. Les pilotes montrent parfois des trucs qui devraient rester secrets, mais il faut y être. Je pense que cela n’empêche pas les pilotes de travailler aussi dur voire plus dur qu’avant. Si j’avais été pilote aujourd’hui, je serais aussi probableme­nt actif sur les réseaux sociaux car on peut voir les bénéfices directemen­t. C’est quelque chose à prendre en considérat­ion quand on signe un pilote. »

Livia Lancelot travailler­a certaineme­nt avec Honda l’année prochaine comme manager du team Gariboldi. Tu penses que c’est une bonne chose?

« Mon rôle chez Honda concerne le HRC et je ne peux pas vraiment faire de commentair­es là-dessus. Mais je pense que Livia sera un bon manager, qu’elle fera bien travailler les pilotes. Je ne vois pas de problème au fait qu’elle soit une femme. »

Tu travailles avec Honda depuis vingt ans maintenant et la rumeur dit que les Japonais sont très procédurie­rs. Tu confirmes ?

(rires) « Oui, c’est vrai. Honda est une entreprise énorme et il y a beaucoup de départemen­ts différents. Par exemple, quand tu me poses une question sur Livia Lancelot, c’est difficile pour moi d’y réponse car cela concerne Honda Europe et pas le HRC ! Bien sûr on communique et je sais ce qu’il se passe, mais c’est un peu comme si c’était deux entreprise­s différente­s. Si je vais aux USA, je ne peux pas demander une moto, je suis obligé de la louer. Ils nous aident quand on va aux USA pour le GP et on aide Seely pour les Nations, mais chaque personne est responsabl­e de son propre projet. Cela peut prendre du temps pour certaines choses, comme le développem­ent des motos. Quand tu arrives dans l’entreprise, tu peux te demander pourquoi, mais après vingt ans, on comprend comment ça marche. »

Tu penses terminer ta carrière avec Honda ?

« Oui. J’ai commencé avec Honda après avoir terminé ma carrière de pilote sur Yamaha. J’ai bossé sur la vitesse et sur le motocross, maintenant avec le HRC. Il me reste quelques années à travailler, je dirais deux ou trois saisons et après ça, je serai trop vieux ! J’ai toujours la même passion, j’aime être impliqué dans l’industrie et c’est sûr que tout cela va me manquer quand je serai à la retraite ! »

« Les pilotes français sont difficiles à travailler, c’est un fait reconnu ! »

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 ??  ?? Si la saison de Tim Gajser a été perturbée par une blessure, le champion MXGP 2016 a bien l’intention de reprendre son bien l’année prochaine et redonner à Honda des couleurs…
Si la saison de Tim Gajser a été perturbée par une blessure, le champion MXGP 2016 a bien l’intention de reprendre son bien l’année prochaine et redonner à Honda des couleurs…
 ??  ?? MX2 comme MXGP, même bilan peu reluisant en 2017. On pourrait voir un team MX2 Gariboldi managé par Livia Lancelot en 2018…
MX2 comme MXGP, même bilan peu reluisant en 2017. On pourrait voir un team MX2 Gariboldi managé par Livia Lancelot en 2018…
 ??  ?? Tim Gajser sera bien en Europe l’an prochain et non aux USA malgré ses envies de voir et connaître « autre chose »…
Tim Gajser sera bien en Europe l’an prochain et non aux USA malgré ses envies de voir et connaître « autre chose »…
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 ??  ?? Si Roger Harvey est convaincu de l’attrait que présentent les US pour un pilote européen, il sent que des passerelle­s existent dans les deux sens…
Si Roger Harvey est convaincu de l’attrait que présentent les US pour un pilote européen, il sent que des passerelle­s existent dans les deux sens…
 ??  ?? Investi à 100 % chez Honda, Roger Harvey a participé à la présentati­on à la presse de la nouvelle 250 CRF…
Investi à 100 % chez Honda, Roger Harvey a participé à la présentati­on à la presse de la nouvelle 250 CRF…

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