Moto Verte

Yves Demaria, la culture de la gagne…

Yves Demaria a changé. Fini le Sudiste facétieux, Téfli est devenu un coach méticuleux et travailleu­r, toujours épris de succès. Lors de cette interview, il nous a beaucoup parlé de son boulot et de ses pilotes. Il en a aussi profité pour sortir sa 450 KX

- Par Laurent Reviron

C’est quoi le quotidien d’yves Demaria aujourd’hui ?

« C’est encore plus rempli que quand j’étais pilote. J’entraîne trois pilotes à temps plein : Natanael Bres, Pierre Goupillon et Julien Lieber. Ça comprend l’entraîneme­nt physique, l’entraîneme­nt moto, un peu de mécanique… C’est beaucoup de travail. Je ne vois passer ni les journées ni les semaines et encore moins les mois. »

Pas trop dur pour toi qui donnais l’impression d’être un pilote plutôt relax…

« Je donnais peut-être cette impression mais je travaillai­s quand même. Depuis que j’ai arrêté, j’ai encore soif de victoires et de résultats sportifs, alors je m’investis énormément avec mes pilotes. »

Tu as le temps de rouler encore un peu ?

« J’ai roulé pour les photos de cette interview et avant ça, la dernière fois que je suis monté sur une moto, c’était à Noël avec mes potes. Comme mes copains roulent le samedi ou le dimanche et que je suis souvent sur les compétitio­ns les week-ends, c’est difficile de trouver du temps pour ça. Et quand je ne suis pas les courses le week-end, je suis avec ma fille à l’entraîneme­nt. Alors, ça laisse vraiment peu de temps. J’ai toujours l’envie de me faire plaisir à moto, mais ce n’est pas une obligation. Je prends énormément de plaisir à coacher. »

Comment est structurée ton activité de coach ?

« On a créé depuis deux ans, Lovemytrai­ning. C’est une société sportive italienne qui a aidé Valentin Guillod et Julien Lieber aujourd’hui… Au lieu de financer un pilote, l’idée est de l’aider via une structure d’entraîneme­nt. On met à dispositio­n des locaux, une maison, une personne qui gère la nourriture. On offre vraiment aux pilotes la possibilit­é de s’entraîner dans de bonnes dispositio­ns. On est en train de grandir et l’on devrait accueillir plus de monde à l’avenir. »

Une sorte de camp d’entraîneme­nt comme chez Aldon Baker…

« On en est loin mais l’idée de base, c’est un peu ça. On a déjà franchi un cap cette année en intégrant Natanael Bres et Pierre Goupillon. Les pilotes viennent au minimum

« Je vois bien Julien Lieber être la surprise de la saison 2018. »

un mois. On s’est pour le moment concentré sur des pilotes qui ont des objectifs au niveau européen et mondial. La prochaine étape est d’intégrer des pilotes de niveau inférieur pour les aider à franchir les échelons jusqu’à la catégorie suprême. On réfléchit à prendre un deuxième coach l’année prochaine. »

Quel est ton statut par rapport à Kawasaki ?

« Aucun. Je suis juste l’entraîneur de Julien. Maintenant, j’ai déjà travaillé avec eux, on se connaît très bien, les échanges sont bons et l’on travaille bien ensemble. »

Pas trop nostalgiqu­e de tes années de pilote pro…

« Pas du tout. Je ne suis pas plus nostalgiqu­e de mes années de pilote que je ne le suis des années 80. Je ne suis pas non plus particuliè­rement attiré par les courses d’anciennes. Je vis avec mon temps. Ce que j’ai fait en tant que pilote m’a permis de devenir coach aujourd’hui. Je ne regarde pas ce qui s’est passé derrière. »

Quelle est ta vision de l’entraîneme­nt ?

« Je pense qu’on fait tous un peu les mêmes choses. C’est de la préparatio­n physique mais aussi de l’éducation. Il faut habituer les pilotes à avoir une certaine rigueur dans la vie de tous les jours. Leur apprendre à avoir une bonne hygiène de vie. Leur faire prendre conscience qu’il n’y a pas que le smartphone et les réseaux sociaux. Ce que j’ai appris il y a de nombreuses années a aujourd’hui évolué. J’ai gardé de bons contacts en termes de médecine sportive, de diététique… J’essaie d’apporter toutes ces choses à mes jeunes. »

Est-ce que ta façon de voir les choses a évolué depuis tes premières années en tant que coach ?

« Heureuseme­nt. J’arrive à faire la part des choses. Il n’existe pas de gens qui ne font pas d’erreurs. En revanche, il en existe pas mal qui ne s’aperçoiven­t pas qu’ils sont dans le faux. Je sais que j’ai commis certaines erreurs. Depuis que j’ai commencé le coaching en 2008, je me suis amélioré. La technique d’entraîneme­nt a évolué. Je me suis mis à la page et je pense ne pas trop être dans le faux. »

Qu’est-ce qui n’a pas marché avec Gautier Paulin ?

« On s’entend très bien aujourd’hui, mais c’est vrai qu’on a traversé une période difficile et avec lui, ça a clashé du jour au lendemain. On n’en a pas trop parlé à l’époque. Pour moi, on a chacun commis des erreurs. Il y a eu un manque de communicat­ion au milieu. Ça s’est terminé en eau de boudin. C’est une période importante pour mon expérience dans le coaching. Ça m’a servi de leçon et m’a permis de voir les choses différemme­nt. »

Qu’est-ce qui manque à Kawasaki pour décrocher ce titre MXGP qu’ils n’ont jamais eu ?

« Pas grand-chose. L’équipe a aujourd’hui énormément évolué. Les pilotes qui sont là sont bons. Je crois particuliè­rement en mon pilote et je pense que dans les deux années à venir, Julien sera en mesure de jouer le titre. Mais quand on analyse la situation… Qui gagne aujourd’hui ? KTM et Cairoli. Si tu mets Cairoli sur une Kawa, la marque aura tout de suite plus de chances de remporter le titre. Pour gagner, il faut le bon pilote, sur la bonne moto et dans la bonne équipe. L’équipe Kawa a aujourd’hui largement les moyens d’emmener un pilote vers le titre MXGP. »

Entre Dessale et Lieber, lequel des deux a le plus de chances de performer cette année?

« Clément reste une valeur sûre mais je vois bien Julien être la surprise de la saison 2018. »

En Europe, la saison a plutôt bien commencé pour Pierre Goupillon que tu entraînes. Tu t’y attendais ?

« Oui, je m’y attendais par rapport à ce qu’il m’a montré à l’entraîneme­nt, au travail qu’il a fourni et à son évolution cet hiver. Un peu de rigueur dans son fonctionne­ment lui a permis de trouver un bon équilibre. Il est dans un environnem­ent où il n’y a que des profession­nels. C’est la meilleure façon d’intégrer la marche à suivre. Ce n’est donc pas une surprise pour moi de le voir aux avant-postes à l’europe. L’objectif est de gagner le championna­t. On est allé à Redsand au mois de janvier, en Belgique, en Allemagne… On s’est bien entraîné. On prépare les courses les unes après les autres. Il ne faut pas penser que Lovemytrai­ning avec Yves Demaria, c’est tous les jours au soleil à bronzer. »

Ça doit être satisfaisa­nt car tu as avec lui la preuve que le travail que tu mets en place porte ses fruits ?

« J’apporte une pierre à l’édifice. Je suis surtout là pour rappeler que la saison va être longue et que ce n’est pas parce que l’on a gagné une course que l’on va gagner le championna­t. Je ne travaille qu’avec des athlètes que je peux suivre au quotidien. Je ne suis pas pour faire des plans d’entraîneme­nt à distance qui partent dans la nature sans aucun contrôle. Ce qui est important pour moi, c’est que le coach soit tous les jours avec le pilote. »

Est-ce que tu t’attendais à voir les pilotes KTM dominer autant en MXGP ?

« On parle des KTM, mais ce sont surtout Cairoli et Herlings qui sont deux individus hors-norme. Ce n’est pas vraiment une surprise de les voir devant. Ces deux pilotes sur d’autres motos feraient les mêmes résultats. Ils sont pour le moment au-dessus du lot, ils ont dominé les trois premiers GP. Mais ça peut tourner vite au vinaigre parce qu’ils flirtent avec la limite. »

L’écart reste quand même incroyable…

« Oui, c’est clair. Mais ils sont tous les deux dans les mêmes équipes techniques depuis longtemps et ça leur donne un avantage. Quand tu connais ton pilote et que tu peux trouver les solutions juste en le regardant dans les yeux, c’est beaucoup plus simple que de fonctionne­r avec quelqu’un que

tu ne connais pas. Ils sont au top à tous les niveaux. »

Ce sont les autres qui ont régressé ou eux qui ont élevé le niveau ?

« Pour moi, les autres ont régressé. Cairoli est resté au même niveau avec la même implicatio­n, la même motivation. Il prend toujours autant de plaisir et il fait de meilleurs choix techniques que les autres. »

Entre Cairoli et Herlings, lequel des deux vois-tu craquer le premier ?

« Je vois plus craquer Herlings qui chute plus souvent que Cairoli. On va voir sur les deux/trois prochaines courses, mais je donne l’avantage à Cairoli par rapport à sa capacité à gérer un championna­t. »

Est-ce que les autres peuvent se refaire ?

« L’écart va se réduire sur certains GP et je vois bien sur les prochaines épreuves un pilote s’intercaler entre eux. »

Est-ce que tu fais partie des gens qui pensent qu’il y a du dopage dans le motocross ?

« Bien sûr qu’il y a du dopage. Il y en a dans tous les sports, alors pourquoi pas dans le motocross ? »

Et en MX, le dopage permet de faire la différence ?

« Ça permet de faire la différence dans n’importe quel sport. Mais c’est un sujet tabou. C’est difficile d’incriminer les gens. Mais il faut quand même ouvrir les yeux. »

Le fait de ne pas avoir de pilote français devant en MX2 est mauvais signe pour l’avenir du cross français ?

« Non, la relève est là, mais il y aura peut-être un petit trou après la génération Paulin/febvre. »

Vois-tu les Français gagner encore dans les années à venir le Motocross des Nations ?

« Oui, la France a un potentiel de pilotes important. La Hollande a deux bons pilotes avec Herlings et Coldenhoff et rien derrière. C’est pareil pour l’italie avec Cairoli et personne d’autre. La France a encore le potentiel pour gagner quelques Nations. »

Tu as été sollicité à une époque par la FFM pour devenir sélectionn­eur. Pourquoi ça ne s’est pas fait ?

« Ma période de coach avec Gautier qui s’est mal terminée n’a pas joué en ma faveur. C’est en tout cas la raison qui a été invoquée pour me refuser le poste. »

Ce n’est pas toi qui as décliné l’invitation mais la FFM qui ne t’a pas choisi ?

« Après les premières discussion­s, on était à peu près d’accord sur tout. Mais ça s’est passé un peu bizarremen­t. Le vendredi, on me disait oui. Le samedi avait lieu une réunion avec d’autres personnes et le lundi, le projet était rangé aux oubliettes. J’ai su que certaines personnes que je ne souhaite pas citer m’ont savonné la planche. Mais ce n’est pas très grave. »

Et si l’opportunit­é se représenta­it ?

« Ça ne m’intéresse plus. Il y a en place des gens compétents. Ça me plaisait au moment où on me l’a proposé. Aujourd’hui, ce n’est plus l’objectif. »

Romain Febvre sera-t-il à nouveau en mesure de jouer un jour un titre de champion du monde?

« Non. C’est un bon pilote, mais pour qu’il soit champion du monde aujourd’hui, il faudrait que 2/3 pilotes se blessent. Febvre ne me donne pas l’impression d’être aussi vif que ce qu’il a été l’année où il a été titré. Il était alors en parfaite osmose avec la moto. Tout fonctionna­it à merveille. Il n’avait pas de pression. Il a rencontré des difficulté­s entre temps et je le vois plus au niveau qui était le sien il y a trois ans. Ça reste une valeur sûre, mais il lui manque aujourd’hui quelque chose. Je lui souhaite de retrouver son niveau. Comme tous les pilotes de cette

« Cairoli et Herlings sur d’autres motos feraient les mêmes résultats. »

catégorie vraiment difficile, il mérite de gagner, mais je n’ai pas vu d’évolution chez lui ces deux dernières années. »

Qu’est-ce qui a enrayé la mécanique ? L’argent ?

« L’argent pollue tout. Ça te monte à la tête. Tu te vois arriver alors que tu ne l’es pas. Après, il s’est peut-être aussi entêté avec des choix techniques pas forcément valables d’une année sur l’autre. Et puis, en pilotage, il est un peu moins doué que les autres. C’est un gros travailleu­r mais aujourd’hui on a des circuits de plus en plus techniques et il faut être au top à ce niveau. »

Et Gautier Paulin. Peut-il espérer accéder à ce titre ?

« Gautier aura du mal. Il n’y a rien de facile. Il faut réunir tous les paramètres pour y arriver. Il a un niveau au-dessus de la norme, mais pour le moment, il n’est pas au niveau des deux premiers. Ça va donc être encore compliqué cette année. Et moins tu gagnes et plus c’est difficile de gagner. Les motos vont de plus en plus vite et les jeunes arrivent. »

Quand aura-t-on à nouveau un Français champion du monde?

« Pour avoir un champion du monde MX2, il va falloir attendre un bout de temps. Aujourd’hui, je ne vois pas un pilote dont on peut être sûr qu’il sera un jour champion du monde. J’ai entendu des gens dire que David Herbreteau allait être champion du monde. Je crois que l’on va pouvoir attendre longtemps pour que ça se produise. Il y a un palier entre l’europe et le Mondial. Il faut se donner les moyens d’y arriver pour réussir à intégrer les meilleures structures. Et les teams comme KTM et Husqvarna sont plus favorables à prendre des pilotes d’autres pays que des Français. »

Penses-tu que la FFM joue un rôle déterminan­t dans la bonne santé du motocross en France?

« Il y a une aide, une mise en place, des stages que l’on ne retrouve pas partout. La FFM investit plus d’argent dans le cross que d’autres fédération­s. Et puis le SX reste quand même une bonne base techniquem­ent. J’encourage la fédé à pousser à faire du SX. On parle beaucoup des courses de sable. On envoie les jeunes tôt dans cette discipline. Mais je pense que la base reste le SX et quand tu es bon en supercross, tu peux être bon aussi dans le sable. »

La politique de développem­ent menée en GP a parfois été contestée. Quelle est ta position aujourd’hui sur cette question ?

« Il faut vivre avec son temps. Je ne suis pas du genre à penser que c’était mieux avant. Les moyens qui sont mis aujourd’hui en oeuvre, les salaires des pilotes ont bien progressé. Les pilotes qui ne sont pas devant encaissent moins d’argent mais ceux qui gagnent sont beaucoup plus payés qu’à mon époque. C’est un peu à l’image de ce qui se passe dans la vie aujourd’hui. Et puis les paddocks ont quand même de la gueule et il y a plus de télé. C’est peut-être au détriment de certaines choses, mais l’évolution reste favorable. »

Voir Mickaël Pichon, ton rival historique en France, monter un team et repartir en GP avec son fils Zach, ça suscite quel sentiment chez toi?

« C’est courageux. Aller en GP par ses propres moyens n’est pas évident aujourd’hui. Il a envie que son fils y arrive et pour ça, il n’y a pas 36 solutions. Soit tu sors ton carnet de chèques pour intégrer une structure, soit tu le sors pour monter ton team. Mais dans les deux cas, ça coûte cher. Et puis, des équipes payantes, il n’y en a pas tant que ça et ce ne sont pas les meilleurs teams. Il a raison de faire son truc lui-même. Maintenant, c’est beaucoup d’investisse­ment et de travail. »

Quel est ton objectif aujourd’hui?

« Emmener un pilote de l’academy Lovemytrai­ning au titre suprême. »

Est-ce que tu es un homme heureux?

« Oui, je suis épanoui. »

Tu pourrais vivre aussi heureux en marge du MX?

« Non, c’est ma vie. J’ai baigné dedans depuis tout petit, je suis toujours à fond dedans. »

Comment imagines-tu tes dix prochaines années dans l’idéal?

« Ça serait top de continuer ce que je fais. Je ne bosse qu’avec des jeunes alors, j’ai l’impression de rester jeune. Je ne vois pas passer le temps, c’est une bonne chose. Dix ans comme ça, la tête dans le guidon, ça ne me dérangerai­t pas. » ❚

« Bien sûr qu’il y a du dopage en motocross. Il y en a dans tous les sports… »

 ??  ?? Bres, Lieber et Goupillon sont réunis sous la bannière « Lovemytrai­ning » qu’a montée Yves Demaria. On les retrouve souvent sur le circuit de St-quentin-la-poterie…
Bres, Lieber et Goupillon sont réunis sous la bannière « Lovemytrai­ning » qu’a montée Yves Demaria. On les retrouve souvent sur le circuit de St-quentin-la-poterie…
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Si notre Téfli national n’a plus trop le temps de rouler en raison d’un planning chargé, il lui arrive de reprendre le guidon de sa 450 KX-F. Affûté et toujours hyper fin pilote !
 ??  ?? Yves ne se contente pas de rester planté au bord de la piste où ses pilotes alignent des tours. Il participe aux entraîneme­nts physiques et gère aussi l’aspect mécanique, en mettant la main à la pâte.
Yves ne se contente pas de rester planté au bord de la piste où ses pilotes alignent des tours. Il participe aux entraîneme­nts physiques et gère aussi l’aspect mécanique, en mettant la main à la pâte.
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Dans le staff coaché par Yves Demaria, Pierre Goupillon qui s’est illustré lors de l’ouverture du championna­t d’europe en Espagne.

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