Moto Verte

L’incassable Fred Vialle…

Rouler vingt-cinq ans en motocross sans se blesser, c’est plutôt rare. Mais quand on a fait dix ans de GP en donnant l’impression de jouer sa vie sur chaque obstacle, c’est carrément impensable. C’est pourtant ce qu’a réalisé Frédéric Vialle !

- Par Laurent Reviron

«Qu’un pilote comme Viallou ne se soit jamais blessé, c’est du domaine du miracle. » Voilà comment Mickaël Pichon analyse à froid le parcours sans bobos de Frédéric Vialle. C’est vrai que sa carrière pourrait laisser penser que le motocross n’est pas un sport dangereux. En vingt-cinq ans de carrière de MX à haut niveau, il ne s’est fait qu’une légère entorse au poignet. Une situation unique alors que le plâtre et la résine sont devenus les meilleurs amis du crossman. Surtout qu’il n’a jamais ménagé son effort au guidon d’une moto : « J’ai vraiment pris des grosses gamelles, attaque Fred. Les pilotes de ma génération savent que j’avais un pilotage engagé. Je me souviens sur une épreuve de SX à Metz avoir sauté un triple de 25 mètres à tous les tours en me mettant à chaque fois court d’un kilomètre ! » Mickaël Pichon a souvent été aux premières loges pour observer ça : « On s’est bagarré au Cadet, à l’elite, en SX, au Mondial… On a passé des courses roues dans roues. Fred était sur le fil du rasoir dans plusieurs endroits du circuit à tous les tours. C’était un pilote capable de faire des passages de dingue à la limite du contrôlabl­e pour la majorité des pilotes. C’était son style. Le voir rouler était un sacré spectacle. En SX, il se faisait des courts, des longs et terminait en général les whoops les pieds au-dessus du guidon… Je ne pense pas qu’il arrivait à faire un tour propre. Il manquait de technique pure et de talent. Il compensait par de l’attaque, de l’agressivit­é et de l’envie. Je me souviens de courses où je revenais rapidement sur lui parce que j’étais plus rapide, je le doublais et lui était capable de se surpasser pour s’accrocher toute la fin de la manche. À le voir rouler, on avait plus l’impression qu’il n’avait peur de rien. Il tombait de temps en temps mais finalement, pas plus que les mecs qui roulaient propre. » Mais la réalité était tout autre. Sur la moto, Fred était un peu comme dans la vie, un hyperactif. Un trait de caractère qui cachait en fait un tempéramen­t hyper stressé et angoissé. Et ce qui l’obsédait, c’était justement la blessure : « J’ai toujours eu cette crainte. Alors je me suis rapidement renseigné pour protéger mon dos. J’ai vu qu’en vitesse, les pilotes utilisaien­t déjà la dorsale. J’ai été le premier à en mettre une en cross. Je l’avais adaptée en la cousant à un slip pour qu’elle ne sorte pas du pantalon. »

La quête du bouclier

Viallou dépensait au final presque plus d’énergie pour trouver des solutions afin d’éviter les blessures que pour progresser : « C’était vraiment ma préoccupat­ion première. En SX, quand je tentais un saut, je partais toujours en “chandelle”. Je ne voulais surtout pas être sur l’avant au cas où je serais trop court. Tout était calculé pour ne pas me blesser. Je m’interdisai­s de prendre un appel assis. C’est très beau, mais c’est inefficace et dangereux. Si tu es bien positionné sur les repose-pieds, tu n’as pas besoin d’être assis pour comprimer l’amortisseu­r. Osborne est toujours debout en SX. C’est la meilleure façon de maîtriser sa moto. L’entraîneme­nt a fait que je me suis toujours sorti des chutes indemne. J’ai pas mal observé ce qui se faisait dans différents sports et notamment le judo. J’ai cherché à apprendre à tomber. Je m’efforçais par exemple à garder les yeux ouverts dans les chutes. Même quand je passais dans la machine à laver et que ça me secouait dans tous les sens, je ne fermais pas les yeux. Au moment de l’impact, j’essayais de souffler pour ne surtout pas me bloquer. Pour ça, il fallait ouvrir les yeux, pour voir exactement le moment où ça allait taper. Quand on voit des gars qui sautent des immeubles de dix mètres, on se rend compte qu’il ne faut pas chercher à arrêter les chutes. C’est quand le corps devient un bout de fer qu’il se casse. J’ai complèteme­nt enlevé la piscine et la musculatio­n de mon entraîneme­nt parce que ça nuisait à ma souplesse. Ce ne sont pas la musculatur­e et la puissance qui permettent d’éviter les blessures, mais la tonicité. Et puis j’avais peut-être des os plus solides que la moyenne. Mon petit gabarit m’avantageai­t aussi sans doute. Je pense qu’à chute égale, un Herlings se blessera plus facilement qu’un Cairoli. » Fred se souvient aussi de ses bagarres avec Mickaël Pichon : « Il était super technique et disposait d’une moto performant­e. Il se lançait parfois sur des gros enchaîneme­nts et j’étais bien obligé d’y aller aussi. J’avais des fois un peu peur, mais je n’avais pas le choix. » Yannig Kervella qui a entraîné Viallou deux saisons pense qu’il tirait surtout profit d’une vivacité hors-norme : « L’action n’était pas commencée qu’il connaissai­t déjà la fin. Quand il était en déséquilib­re sur la moto,

il se rattrapait 99 fois sur 100. Il a toujours été habitué à faire de la moto sans trop de feeling et il était en permanence amené à gérer l’improbable. Il était vraiment atypique. Il montait sur une moto avec pour seul objectif d’aller vite et il y arrivait. Je l’ai vu faire des trucs incroyable­s sans pouvoir comprendre comment il faisait. Et quand il t’expliquait sa manière de piloter, c’était l’inverse de ce que tout le monde faisait, mais avec lui, ça marchait. De l’extérieur, on pouvait penser qu’il roulait au-dessus de ses pompes, mais c’était son pilotage. Et surtout, tout ce qu’il faisait c’était pour lui, pas pour les autres. L’année où j’ai bossé avec lui, il n’avait pas la grosse caisse. Il fonctionna­it tout aux nerfs et à l’énergie. Il ne lâchait jamais. Il avait une volonté incroyable de gagner. » Une approche très gourmande en énergie pour Micka Pichon : « Je pense qu’il avait une capacité hors du commun à se concentrer. Quand tu roules propre, tu es surpris par certaines réactions de la moto et c’est là que tu chutes et que tu te blesses. Lui, c’était en permanence qu’il était en catastroph­e alors il n’était jamais surpris. »

Fred confirme cette théorie : « Je pense que si j’avais eu plus de talent, je me serais peutêtre blessé plus facilement. Quand tu es à l’aise techniquem­ent, tu as sans doute tendance à bosser un peu moins physiqueme­nt et surtout, tu peux rouler en étant moins concentré. Moi, je ne pouvais pas me permettre de me laisser aller. » Et c’est sans doute pour cette raison que son numéro d’équilibris­te qui a fait sa force en 125 a eu plus de mal à fonctionne­r

sur la 250 : « Il aurait fallu qu’il ait plus de physique, explique Yannig. Une 250, c’était exigeant et avec son pilotage tout en attaque, c’était plus compliqué. Il avait plus d’appréhensi­on et de peur sur cette moto. »

Et toujours ce stress

Et puis surtout, cette volonté incroyable a commencé à s’essouffler : « Personne n’a vraiment compris ma baisse de régime, mais pour rouler vite, j’avais besoin de m’engager beaucoup au niveau physique et mental. À un moment, je n’ai plus eu envie. Ce n’est pas évident de devoir toujours aller au charbon pour aller vite. Et quand je me suis mis à assurer dans mon pilotage, les résultats n’ont plus été au rendez-vous. Pour revenir au top en GP, il aurait fallu fournir à nouveau un gros travail. J’étais déjà content d’avoir passé toutes ces saisons sans blessures, je n’ai pas voulu tenter le diable. » Et aujourd’hui, Fred ne

roule presque plus jamais : « Je ne supporte pas l’idée d’entrer dans un hôpital. Je me souviens une fois, je m’étais ouvert un doigt à Metz et il fallait me mettre trois points. Ils étaient six à me tenir et le médecin avait pété un câble. Je suis craintif, mais sur les nerfs et à l’orgueil, j’étais capable de faire des trucs de malade. Je me faisais plaisir quand les résultats étaient là, mais au niveau des sensations de pilotage, pas du tout. J’étais en fait toujours dans la contrainte. Je roulais en me reposant vachement sur mon physique. Une fois que j’ai levé le pied et que ma condition a baissé, j’étais en danger sur une moto.

Ça aurait été quand même dommage d’avoir fait toutes ces années de GP sans bobos et de me blesser une fois la carrière terminée. » Mais si Fred ne prend plus de risques au guidon d’une moto, il continue à stresser tous les week-ends sur les circuits en suivant

son fils Tom : « Pour les parents, c’est toujours difficile de voir rouler leur fils, mais ça l’est particuliè­rement pour moi et c’est très compliqué d’être au bord de la piste. J’explique régulièrem­ent à Tom qu’il faut vraiment être 100 % concentré à chaque fois qu’il monte sur la moto et qu’il vaut mieux ne pas rouler que de le faire en pensant à autre chose. Aujourd’hui, ça va vraiment vite. Je lui interdis de faire des whips, de prendre un appel assis, il doit garder le doigt sur l’embrayage à chaque saut et ne jamais passer une vitesse sur un appel. » On n’a pas fini de voir Viallou faire les cent pas sur les circuits parce que Tom semble promis à une carrière aussi belle que le père.

 ??  ?? Fred Vialle a éclaté au grand jour lorsqu’il avait 16 ans sur le championna­t de France SX de Jean-luc Fouchet au guidon d’une Suz… Avant de rouler pour Kawasaki et Yamaha.
Fred Vialle a éclaté au grand jour lorsqu’il avait 16 ans sur le championna­t de France SX de Jean-luc Fouchet au guidon d’une Suz… Avant de rouler pour Kawasaki et Yamaha.
 ??  ?? Mickaël Pichon (48), ici dans le sillage de Fred Vialle au Supercross de Bercy, aura eu l’occasion d’apprécier le sens de l’équilibre de l’incroyable « Viallou » !
Mickaël Pichon (48), ici dans le sillage de Fred Vialle au Supercross de Bercy, aura eu l’occasion d’apprécier le sens de l’équilibre de l’incroyable « Viallou » !
 ??  ?? Pas une cicatrice pour témoigner éventuelle­ment d’une chute plus violente que les autres. Pourtant, Fred Vialle s’est pris « des pelles ». Mais il appréhenda­it tellement la chute qu’il avait fini par l’apprivoise­r.
Pas une cicatrice pour témoigner éventuelle­ment d’une chute plus violente que les autres. Pourtant, Fred Vialle s’est pris « des pelles ». Mais il appréhenda­it tellement la chute qu’il avait fini par l’apprivoise­r.
 ??  ?? Pilote officiel Yamaha France et coaché par Yannig Kervella au milieu des années 90…
Pilote officiel Yamaha France et coaché par Yannig Kervella au milieu des années 90…

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