Comment fonctionnent les teams privés…
Comment s’organise un team privé en Mondial ? Que coûte une saison ? Quels sont les rouages du championnat du monde ? Créer sa propre structure n’est déjà pas une mince affaire sur le plan national, alors imaginez sur la scène mondiale. Pourtant, certaines structures françaises ont tenté le pari « fou ». Gros plan.
Depuis la création du championnat du monde de motocross, deux familles ont pour habitude de cohabiter, nourrissant l’une envers l’autre une certaine forme de respect ou de jalousie. Derrière les belles structures officielles, les teams privés tentent de se faire une place au soleil avec des moyens limités nourris par une passion débordante et vitale face à des saisons toujours plus onéreuses et longues. Le championnat du monde de motocross fait partie des rares sports où l’on peut, sans matériel d’usine, se battre dans la même catégorie, sur les mêmes terrains, contre les structures officielles. Une certaine lutte des classes participe au charme de notre sport et surtout, à sa survie visuellement parlant, car sans les teams privés, les grilles feraient peine à voir. En France, ils sont trois à s’être lancés dans l’aventure du Mondial sans avoir d’activité annexe en lien avec le motocross. Il s’agit du team VHR (Bruno Verhaeghe), du team Rocket Juniors (Mickaël Pichon) et du team E2T Racing (Marc Toriani). Trois structures aux parcours et aux ambitions variés, mais toutes ont un point commun, l’envie de donner une chance au(x) fiston(s) au plus haut niveau. La cause familiale est le point de départ
de Mickaël l’aventure Pichon, qualifiée « très fatigante de « folie » » pour pour Bruno Verhaeghe et il faut « être fêlé » pour Marc Toriani. Ancien bon pilote Inter français dans les années 90, Bruno a monté jeune sa structure : « On l’a fait en 1997 pour aider mon frère qui cherchait des sponsors. C’est ensuite devenu le team MX Verhaeghe en 2006 après mon association avec le père Tixier pour faire rouler Jordi et Alexis mon fils. » Après plusieurs saisons en championnat de France et d’europe, la structure familiale découvre le Mondial une première fois avec le Belge Bryan Boulard en 2016 pour se concentrer l’an dernier sur l’europe en tant que team support KTM chez les jeunes. Pour 2018, Bruno Verhaeghe retrouve le MX2 : « Le WMX et L’EMX250 complètent quasiment l’intégralité du calendrier donc ça ne coûte pas plus cher de faire les GP » explique Bruno. Pour Mickaël Pichon et Marc Toriani, cette saison est une grande première. Avec l’arrêt de Suzuki, la famille Pichon s’est retrouvée au pied
du mur. « Pour avoir déjà roulé en privé, je connaissais la complexité de faire son team,
précise Mickaël. Donc j’étais loin d’imaginer devoir faire ma structure il y a deux ans et pour tout dire, ça ne me plaisait pas plus que ça. On ne peut pas dire que c’est compliqué, mais c’est presque de la folie aujourd’hui. »
Marc Toriani était un ancien joueur professionnel de hockey sur glace et le créateur de l’enduro Kids. Ce passionné a repris son entreprise dans le textile il y a vingt ans. Ils étaient quatre à l’époque et sont désormais 230 personnes. Entre temps, il a accompagné son fils sur les terrains de cross jusqu’aux portes du championnat du monde : « Au départ, on avait essayé d’imaginer une solution pour qu’enzo trouve un team, mais il n’y avait plus de places disponibles. On a décidé de monter notre structure pour que de jeunes pilotes puissent faire le championnat du monde et d’europe. Le projet a démarré en octobre. »
La folie des chiffres
Combien coûte une saison en Mondial pour un team privé ? La réponse à cette question en a découragé plus d’un, d’autant que les soutiens des partenaires sont insuffisants pour boucler le budget. Le team VHR a besoin d’environ 357 000 euros pour quatre
pilotes répartis sur le Mondial, l’europe et le France. Le team E2T Racing se base sur environ 190 000 euros pour trois pilotes sur le France, l’europe et le Mondial. Enfin, la structure Rocket Juniors planifie sa saison sur un budget de 151 500 euros. Que ce soit Bruno Verhaeghe (transport) et Marc Toriani (textile) avec leurs entreprises ou Mickaël Pichon (individuel), l’apport personnel avoisine les 40 à 50 % du budget pour une
saison. « Ça s’est tellement professionnalisé que tu ne peux plus arriver en amateur,
constate Bruno. Il faut les mécanos, les bons moteurs, la bonne structure, l’entraînement. C’est la course à l’armement. Les partenaires ne suffisent plus à boucler le budget. La différence qu’il y a entre les teams officiels et moi, c’est uniquement une question de moyens. On me donne une quarantaine de kits chaîne à l’année, mais je me rends compte que pour bien faire la saison en Mondial, c’est 80 qu’il en faut. Cette année, je pense être à un dépassement du budget de 70 000 euros. C’est la première fois. » Pour Mickaël Pichon, même constat, lui qui découvre les Grands Prix avec sa propre structure. « Le nerf de la guerre reste l’argent. Même si l’on a de bonnes aides, on ne couvre pas le budget. Les entreprises sont déjà sollicitées de toutes parts. J’ai réussi à trouver 70 000 euros de budget et je vais devoir mettre 50 000 euros de ma poche avec ma femme. Et l’on ne fait pas les overseas
qui nous coûteraient 70 000 euros voire plus. Souvent les seules personnes qui sont payées dans un team, ce sont les mécaniciens. Donc tu ne peux pas payer de bons pilotes et les partenaires cherchent justement les bons pilotes. Il y a des jours où j’ai envie de tout plaquer. C’est un boulot de dingue où tu ne gagnes pas d’argent, au contraire. Je le fais pour mon fils en espérant qu’il va y arriver, mais on ne pourra pas faire ça pendant quatre ans encore. » Si l’on comprend bien que l’aspect financier est vital pour amener une structure privée sur un championnat du monde, Marc Toriani évoque une autre difficulté aussi importante : « Un team, c’est une équipe et des gens. Tu as beau avoir tout l’argent que tu veux, si tu n’as pas les hommes, tu ne feras jamais rien. Le plus compliqué a été de rassembler les forces vives. On est dans le même cadre qu’une entreprise avec les mêmes problèmes humains, matériel, de planning, de budget ou de trésorerie. Sauf qu’on ne gagne pas d’argent. » Il n’existe donc aucun team qui ne dépense pas pour participer à une saison même sans les GP overseas. Sans tomber dans l’éternel refrain, « c’était mieux avant », la nostalgie d’une certaine époque rattrape Bruno et Mickaël malgré eux. « J’ai l’impression qu’il n’y a plus de crédibilité, on est aidé de moins en moins et ça coûte de plus en plus cher. Aujourd’hui, il y a une politique qui veut qu’on aide tout le monde jusqu’au pilote de ligue au lieu d’aider un team qui a une vraie structure et qui véhicule une image sérieuse. Récupérer des sous auprès des partenaires est quasi inexistant. » Un discours
que partage Mickaël Pichon : « Les coûts sont énormes. Tu achètes beaucoup de choses alors qu’à une époque où tu faisais la ligue, un concessionnaire te donnait des pneus et de l’huile. Aujourd’hui, tu paies. Heureusement que j’ai la chance d’avoir un certain nombre de partenaires qui ont adhéré. » Faire travailler son réseau à l’image de Bruno Verhaeghe et Marc Toriano ou jouer sur sa notoriété dans le cas de Mickaël Pichon permet de concrétiser ses projets. Marc souhaite faire découvrir le motocross et fédérer un maximum de personnes autour du team. « Je veux que mes partenaires amènent des clients sur les épreuves et communique sur la moto. À Saint-jean, on va mettre en place une hospitality de 120 m2 pour recevoir entre 80 et 100 personnes. Ce seront des amis de nos partenaires qui ne connaissent pas du tout le motocross mais qui aujourd’hui nous suivent. Ce qui m’importe, c’est de fédérer et c’est déjà une première victoire. »
Inégalité de traitement
En se promenant dans un paddock de GP, un constat interpelle et traduit les difficultés supplémentaires des teams français. Les inégalités de traitement expliquent la présence de nombreuses structures étrangères (voir encadré). Sans entrer dans
les détails, la France ne favorise pas ou très peu le sponsoring et les possibilités de défiscalisation pour les entreprises à l’inverse
de certains pays voisins. « Il n’y a quasiment que des teams hollandais ou italiens dans le paddock, constate Bruno Verhaeghe. Ils peuvent se permettre de faire des choses que nous ne pouvons pas. Comment expliquestu qu’une boîte comme HSF en Hollande peut sortir 1,5 million d’euros pour Honda HRC. Le plus gros de mes sponsors va me donner 30 000 euros maximum et encore, c’est un fournisseur avec qui je vais faire un gros chiffre d’affaires. » Même remarque pour Marc
Toriani : « En Italie, c’est de la défiscalisation à 100 % et en France, c’est quasiment du domaine de l’interdit, j’exagère à peine. » La législation française, comme dans beaucoup de domaines, freine donc le développement des structures d’autant plus qu’elles ne sont pas logées à la même enseigne face au promoteur Youthstream. « En tant que team
implanté en France, explique Marc Toriani, lorsque Youthstream basé à Monaco nous envoie une facture, ils sont obligés d’ajouter la TVA qu’on ne récupère pas. On est donc taxé à 20 % en plus par rapport à tous les autres teams étrangers. Pour 10 000 euros d’engagement à l’année, on paie 12 000 euros au final. Je ne vois pas pourquoi on devrait payer plus cher qu’un team italien. Il n’y a pas d’égalité. C’est plus dur d’avoir des budgets en France et en plus, on est taxé. » Cette inégalité de traitement apporte une difficulté supplémentaire pour nos structures françaises d’autant que d’autres teams étrangers se voient proposer des traitements de faveur comme a pu le constater Bruno Verhaeghe : « Luongo aide essentiellement les structures italiennes. Il fait tout pour sortir des pilotes de son pays. On me propose parfois des Italiens en échange d’une inscription à l’année et des GP overseas gratuits. Mais pour un autre, tu dois payer. C’est un championnat à deux vitesses… » Face à ce constat, l’arrivée croissante de pilotes payants pour aider les structures à pérenniser la saison est monnaie
courante. Les sommes demandées peuvent varier du simple au triple en fonction des besoins du team et du pilote. Est-ce l’avenir du MX mondial ? « Ça ne peut pas être
autrement, rapporte Marc Toriani. Cette solution a inévitablement des revers négatifs. » L’aspect sportif est souvent négligé au profit du portefeuille, ce qui peut avoir des conséquences auprès des partenaires comme
l’explique Bruno Verhaeghe : « Mis à part des cas exceptionnels, ce sont des pilotes qui n’ont pas de super résultats, sinon ils ne paieraient pas. Au final, les sponsors vont te donner moins de budget et le team va devoir payer la différence pour le faire rouler. Ensuite, si les résultats ne suivent pas, les sponsors vont tourner les talons. » Mickaël Pichon a lui aussi eu recours à ce système pour faire rouler Zach chez Suzuki. Après l’arrêt de l’usine, la solution fut envisagée dans un premier temps cet hiver. « On nous a demandé 80 000 euros pour la saison. C’est une grosse somme, mais tout mis bout à bout pour un pilote qui joue les points, c’est ce que ça va coûter au team pour faire rouler Zach. On s’y est habitué. » Si les nuits blanches, les soucis, les investissements colossaux, les sentiments aussi intenses que divergeants rythment la vie d’un patron de team privé jusqu’à régulièrement le faire douter de l’intérêt de continuer… le sentiment qui traverse Mickaël, Bruno ou Marc lorsqu’un de leurs pilotes réussit une belle course est la plus belle des récompenses. « C’est du travail, c’est passionnant et l’on est fier de le faire pour Zach », conclut Mickaël. Marc Toriani partage : « On ne peut pas développer et faire des choses extraordinaires si l’on n’est pas passionné. Même si Enzo trouve un team, je continuerai le team pour les jeunes. » Malgré le poids des années dans ce milieu, Bruno Verhaeghe est toujours animé par cette même flamme. « Je suis fatigué, mais ce team est ma passion et j’ai besoin de cette bulle d’oxygène les week-ends. » Hervé Poncharal (boss Tech 3 Motogp) disait, ce qui coûte le plus cher dans la vie, c’est la liberté avec la passion. Un team privé, c’est à la fois la passion et la liberté… ❚