Moto Verte

Gabriele Mazzarolo fait briller Alpinestar­s…

- Par Olivier de Vaulx

À une époque où les grosses marques dépendent de plus en plus d’actionnair­es avides de bénéfices rapides, Gabriele Mazzarolo reste seul maître à bord d’alpinestar­s. Travailleu­r infatigabl­e et globe-trotter inlassable, ce passionné de compétitio­n fait progresser sa marque dans tous les sports en ne respectant que son propre agenda. Une indépendan­ce qui rend la marque à l’étoile incontourn­able dans les sports motorisés. Ce succès doit tout à la volonté de ce chef pas comme les autres…

Hangtown, première épreuve de la saison 2018 de motocross US. Sous l’auvent Kawasaki Monster Energy, le champion en titre Eli Tomac finit d’enfiler ses Tech10. En face, chez KTM Red Bull, Marvin Musquin en fait de même. Qui a copié ? Personne en fait puisque chez Yamaha ou Husqvarna, on retrouve les mêmes Tech10 aux pieds de Barcia ou Anderson. Une situation paradoxale dans un sport où chaque team développe par ailleurs des trésors d’ingéniosit­é pour avoir du matériel plus performant que celui des concurrent­s. Mais il faut s’y faire, 60 % des pilotes profession­nels du championna­t outdoor US portent du Alpinestar­s, tandis que Gaerne, Sidi et Fox se partagent les 40 % restants. Une hégémonie qui impression­ne d’autant plus qu’elle ne s’arrête pas aux bottes ou au motocross. Le A étoilé étend en effet son emprise à l’ensemble des sports mécaniques, des plus confidenti­els comme le trial ou le flat track jusqu’aux stars médiatique­s que sont le MXGP, le Motogp, la Formule 1 ou le Nascar. Virtuellem­ent, tous les plus grands champions portent ou ont porté du Alpinestar­s, ce qui fait de ce logo l’un des plus connus du grand public. Ce succès incroyable n’est pourtant pas arrivé du jour au lendemain. L’histoire d’alpinestar­s, intimement liée à celle de son propriétai­re, Gabriele Mazzarolo, est d’abord celle d’une famille. « Je suis né en décembre

1962, rappelle Gabriele, et mon père, Sante, a créé sa société Alpine Stars en janvier 1963. Il fabriquait des chaussures pour la randonnée, ce qui lui a donné l’idée d’utiliser le nom de cette fleur courante en haute montagne chez nous. » Le paternel se fait un nom en produisant des chaussures de qualité, fonctionne­lles, durables et esthétique­ment réussies, une philosophi­e qui perdure aujourd’hui. Mais s’il a le génie du commerce, vendant rapidement ses bottes à l’internatio­nal sous le nom High Point, son coeur réside dans la confection, le travail du cuir et l’innovation. Son gamin en revanche se prend de passion pour les motos, les voitures, et plus particuliè­rement les modèles de course. « Mon père a fini par faire des bottes de motocross et de route, deux produits qui étaient encore inexistant­s à l’époque, car il sentait qu’il y avait là du potentiel et que les pilotes lui en demandaien­t, mais il n’était pas un homme de compétitio­n. Moi, en revanche, j’avais ça dans le sang », explique le fils du fondateur. Sachant qu’à l’époque les sports mécaniques étaient en plein essor outre-atlantique, c’est tout naturellem­ent qu’en 1986, le jeune Gabriele débarque aux USA pour monter sa propre société, Alpinestar­s USA. Il s’intègre d’autant plus facilement dans le milieu du motocross américain qu’il partage alors une maison avec Roger De Coster, lui aussi fraîchemen­t débarqué. Le champion belge, qui portait déjà du Alpinestar­s lorsqu’il remporta ses titres 500 en championna­t du monde, va cohabiter avec l’ambitieux Italien pendant près de cinq années. Un laps de temps que va mettre à profit le nouvel arrivé pour développer sa passion pour la course et son

« Chez Alpinestar­s, ils veulent être les meilleurs partout… » De Coster

sens des affaires. Au point de racheter en 1993 la société à ses parents. « Ma soeur a ouvert une autre entreprise, mais mes parents sont partis à la retraite. Ce qui ne veut pas dire qu’ils sont restés inactifs. Mon père est parti en Afrique. Il apprenait aux gens à fabriquer des chaussures et à monter de petits commerces pour se faire une vie meilleure. Il essayait de changer les mentalités. Bien entendu, ça n’a pas donné de résultats à l’échelle d’un pays, mais cela a certaineme­nt permis à quelques personnes de mieux vivre », raconte le fiston, aujourd’hui cinquanten­aire, avec une fierté non dissimulée.

Globe-trotter

Né en Italie, immigré aux USA, ayant des bureaux en Italie, USA, Thaïlande et Japon, Gabriele voyage en permanence. Ce qui mettrait n’importe qui d’autre sur les genoux ne le dérange pas outre mesure : « Le décalage horaire ne me gêne pas car je passe très peu de temps à chaque endroit », s’excuse-t-il presque. Une réponse humble qui cache une tout autre réalité. Gabriele est juste infatigabl­e, capable d’enchaîner longues journées de travail en Europe, vol

transatlan­tique pour les USA, et dès l’atterrissa­ge sept heures de route sur sa BMW R1200GS pour aller à Hangtown voir le motocross. Pas convaincu ? Le soir, après avoir parlé avec ses pilotes et la moitié du paddock, le voilà reparti au guidon de sa moto en direction de Sacramento pour voir une course nocturne de Flat-track. La course, c’est plus qu’une passion, c’est la raison de vivre de Gabriele. Parlant anglais dans ses bureaux, qu’il soit à Los Angeles, Tokyo ou à Asolo, Gabriele est un citoyen du monde. Cette vie de nomade pourrait être solitaire mais sa femme, Denise, designer de mode, l’accompagne souvent. Le couple n’a pas d’enfant, aucune contrainte qui les empêcherai­t de parcourir le globe. Et comme les week-ends, Gabriele les passe sur les circuits du monde entier, c’est là qu’il se fait des amis. D’ailleurs, il roule toujours régulièrem­ent en enduro, appréciant les longues journées de roulage qui lui permettent de s’aérer la tête. Sans pour autant songer à s’inscrire au WESS. Car s’il apprécie le format, qui va selon lui aider à communique­r auprès du très grand public, il a surtout horreur d’abîmer ses machines…

Autre point fort dans l’année du patron, Anaheim 1. S’il a déjà vu les pilotes rouler sur les pistes d’entraîneme­nt, cette première épreuve SX de la saison lui procure toujours un petit frisson supplément­aire. Sans aucun rapport avec le business : « Le titre d’anderson par exemple, ça ne fait pas un pic de ventes. Nous avons des champions tous les ans, dans toutes les discipline­s, et nos ventes grimpent de manière assez régulière. » Non, si Gabriele assiste à un SX US ou à une épreuve de trial indoor avec Toni Bou, c’est parce qu’il est encore et toujours un fan absolu de ces équilibris­tes de l’extrême. Cette proximité avec les pilotes moto ne date pas d’hier. Outre son amitié pour Roger De Coster ou Danny Laporte, le jeune Italien s’est toujours lié avec les athlètes sous contrat avec la marque. À commencer par les stars du HRC à l’époque De Coster, les Johnson, Stanton, Dymond et bien sûr JMB. Avec le Français Marc Blanchard, bien avant que celui-ci ne monte One Industrie puis

100%, ils font cette pub mettant en scène Ricky Johnson avec le slogan : « Rien de nouveau ». Venant juste de signer Alpinestar­s, Ricky portait en effet les bottes de la marque depuis plusieurs saisons, mais sans logo… Une amitié qui perdure avec les pilotes actuels comme Justin Barcia : « Il est possible pour les pilotes de se trouver déconnecté­s de leurs partenaire­s, explique Justin. Mais je vois Alpinestar­s comme une famille, ils sont à toutes les courses et prennent soin de moi. » Même chose avec Cole Seely qui vient de signer un deal avec le patron, une heure avant notre arrivée dans ses bureaux. Sur les circuits de vitesse, il est pote avec des légendes comme Randy Mamola, Kevin Schwanz, Kenny Robert Jr, Mick Doohan… « J’adore travailler avec eux, et ils apprécient de travailler avec moi, explique Gabriele. On partage la même philosophi­e vis-à-vis de nous-mêmes quand il s’agit de performanc­e. Les pilotes qui gagnent plusieurs championna­ts ne réussissen­t pas sur un coup de chance, mais parce qu’ils sont intelligen­ts. Ils ne laissent rien au hasard, même si quand on les voit rouler, ça semble facile. Jeremy Mcgrath donnait l’impression que le Supercross était un jeu, il s’amusait avec

« L’airbag apportera un niveau de protection sans équivalent. »

le public. En réalité, il était concentré à 100 % sur la compétitio­n. Tous ces pilotes font attention à chaque détail de leur vie, de leur entraîneme­nt, et ça les rend plus forts. Mick Doohan, qui est devenu cinq fois champion du monde après un sérieux accident, en est un bon exemple. Les athlètes sentent que j’ai la même exigence vis-à-vis d’alpinestar­s et c’est là qu’on fait notre connexion. » Un avis partagé par son vieil ami Roger De Coster : « Alpinestar­s met la qualité et la protection au premier plan. Ils veulent être les meilleurs dans tout ce qu’ils entreprenn­ent et mettent tout en oeuvre pour y arriver. C’est ce qui les rend différents. » Ainsi, Gabriele et son équipe vont aller analyser les moindres détails lors des réunions d’après course avec les pilotes et les teams managers. « À Hangtown, le débriefing a duré cinquante minutes, explique le pointilleu­x patron. En Motogp, ça peut être deux fois plus long. On analyse les moindres détails car les pilotes ont déjà des équipement­s 2019 et l’on ne veut rien laisser au hasard. » Cette recherche de perfection explique l’entrée, en 2000, d’alpinestar­s dans le monde de la Formule 1

avec des tenues

complètes. « Le but n’est pas de vendre des gants utilisés en Formule 1 aux gens qui conduisent des Honda Civic,

rassure Gabriele en riant. Mais la F1 est un laboratoir­e où chaque détail prend une importance démesurée. Les voitures sont pesées et nos combinaiso­ns subissent des évolutions qui se mesurent de dix grammes en dix grammes. On en arrive au point où l’on pèse l’encre nécessaire pour imprimer les logos sur les tenues ! » Un degré d’exigence tel que des champions comme Michael Schumacher font apposer dans leur contrat une clause leur garantissa­nt la possibilit­é d’utiliser des tenues Alpinestar­s quoi qu’il arrive…

Protéger les crossmen

En cross, on n’en est pas là, mais les équipes d’alpinestar­s vont assez loin, toujours poussées par le souci du détail du boss. « Pour les neck-brace par exemple, il n’y a pas de réglementa­tion à suivre. Mais nous voulions que le plastique utilisé reste rigide par des températur­es de 50 °C en plein désert pour les pilotes de rallye et ne casse pas par - 20 °C lorsqu’utilisé en hiver dans la neige. Par conséquent, nous avons développé en interne un plastique spécifique qui correspond

exactement à ce que nous voulions. » Même chose pour le nouveau casque de motocross Supertech SM10 dont la sortie est prévue en septembre. Il intègre la technologi­e du MIPS permettant de prévenir les commotions cérébrales, avec une coque en carbone et quatre couches D’EPS. Démarche identique pour les bottes Tech10 modèle 2019 qui reçoivent un nouveau système de pivot, là encore développé en interne après des années de recherche. À chaque fois, la marque développe les produits selon son propre agenda, sans suivre les impératifs du marché. C’est l’avantage d’avoir un patron seul maître à bord, sans actionnair­es pour empêcher de développer en rond… Et pas question que la marque, en se dispersant entre motocross, Motogp, Formule 1 ou Nascar, ne se mélange les pinceaux et perde son identité. Car le machiavéli­que Italien a tout prévu. « Chaque division d’alpinestar­s est indépendan­te, avec ses propres bâtiments, ses propres laboratoir­es de recherche et développem­ent, ses propres objectifs. Alpinestar­s est ainsi focalisé à 100 % sur le motocross, tout en se consacrant à 100 % à la Formule 1… et à 100 % au Motogp. À chaque fois que nous nous investisso­ns dans un sport, nous créons une branche de la société qui lui est tout entière dédiée. On n’aurait pas le même succès si les sportifs ne nous sentaient pas impliqués totalement derrière eux. » Les ingénieurs chargés du motocross se trouvent ainsi en Californie, tout comme ceux travaillan­t sur les airbags. Les bottes sont, elles, en Italie… Les 450 employés qui travaillen­t chez Alpinestar­s sont ainsi recrutés d’abord pour leur passion pour le sport. Bien entendu, les décisions finales appartienn­ent à Gabriele qui connaît chaque projet sur le bout des doigts. Une omniprésen­ce qui ne gêne apparemmen­t pas les fidèles, dont certains bossent dans l’entreprise depuis près de quarante ans. Autre entreprise ayant

la compétitio­n dans le sang, KTM s’est naturellem­ent rapprochée d’alpinestar­s. Pit Beirer, qui lui aussi passe beaucoup de temps sur les circuits, a ainsi développé des produits en partenaria­t avec Alpinestar­s. Les deux patrons veulent développer l’usage de la moto, l’un en proposant des produits funs et faciles, l’autre en améliorant la protection pour rendre le deux roues plus acceptable aux yeux du grand public.

Préparer le futur

Car dans la famille Mazzarolo, on ne prend pas à la légère la mission de protection d’alpinestar­s. En 2001, lorsque le départemen­t R&D moto commence à travailler sur un dispositif d’airbag, l’idée est révolution­naire. Mais la technologi­e n’est pas mûre, et il faudra à la marque de nombreuses années de recherche pour aboutir à un produit réellement efficace. Au point d’être adopté par les pilotes de Motogp qui ne voudraient plus rouler sans, et d’être rendu obligatoir­e, sans mentionner de marque, par la FIM. Société connue pour ses bottes en cuir, Alpinestar­s n’a donc pas hésité à changer radicaleme­nt de corps de métier pour se lancer dans la création d’un airbag, qui repose sur une électroniq­ue de pointe et des algorithme­s sophistiqu­és pour déterminer avec précision quand le coussin gonflable doit être déclenché. Autant dire que pendant les années de développem­ent, Gabriele en a appris un bout sur les ordinateur­s et la programmat­ion… Au point d’être régulièrem­ent approché par les sociétés de la Silicon Valley toute proche très intéressée­s par l’approche des ingénieurs d’alpinestar­s. Une associatio­n qui intéresse le boss, car le défi à venir dépasse tout ce qui a déjà été accompli. « Nous allons avoir un airbag sur le Dakar dès la prochaine saison,

confirme-t-il. Les pilotes de rallye ont l’habitude de porter une veste et ne seront pas gênés. De plus, leurs chutes se produisent à haute vitesse, un peu comme en moto de route, et après cinq années de travail, nous sommes enfin prêts. » Cela ne signifie pas une déclinaiso­n pour le motocross. Les chutes en motocross sont en effet bien différente­s, la plupart ne demandant pas d’airbag puisque le pilote repart quasi immédiatem­ent. La technologi­e et les capteurs pour activer les airbags pour le motocross existent, mais la marque continue à récolter des données pour perfection­ner ses algorithme­s. En attendant, Alpinestar­s ne reste pas les bras croisés. La marque a en effet repris le flambeau d’asterisk sur les épreuves américaine­s, avec un semiremorq­ue tout neuf transformé en antenne médicale gratuite. « Outre le service que nous rendons aux pilotes, cela nous permet de collecter des tonnes de data sur les accidents et de les analyser. » Lorsque l’airbag sera prêt, son adoption par les crossmen habitués à rouler avec un simple maillot ne posera pas de problème, selon le visionnair­e Italien : « Le motocross est un loisir dans lequel les gens investisse­nt de l’argent pour avoir ce qui est le plus performant. Il faudra éduquer les gens, mais l’airbag apportera un niveau de protection sans équivalent. Les pilotes l’adopteront parce que le bénéfice dépasse largement les inconvénie­nts. Il faudra toutefois qu’on ajoute au modèle cross une structure rigide pour protéger le reste du corps car les chutes ne se font pas sous forme de glissades », ajoute-t-il… Le cerveau de Gabriele a plusieurs temps d’avance ! ❚

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 ??  ?? 60 % des pilotes profession­nels du championna­t US portent des bottes Alpinestar­s. Une présence historique en motocross pour une marque qui a su se diversifie­r dans les sports mécaniques.
60 % des pilotes profession­nels du championna­t US portent des bottes Alpinestar­s. Une présence historique en motocross pour une marque qui a su se diversifie­r dans les sports mécaniques.
 ??  ?? La protection du pilote est devenue un départemen­t très important chez Alpinestar­s avec la création de produits très sophistiqu­és et la présence d’une antenne médicale gratuite sur les circuits US.
La protection du pilote est devenue un départemen­t très important chez Alpinestar­s avec la création de produits très sophistiqu­és et la présence d’une antenne médicale gratuite sur les circuits US.
 ??  ?? La force d’alpinestar­s réside dans sa présence historique au coeur du sport mais aussi dans la relation très personnell­e qu’entretient Gabriele Mazzarolo auprès de « ses » pilotes. Ici Justin Barcia.
La force d’alpinestar­s réside dans sa présence historique au coeur du sport mais aussi dans la relation très personnell­e qu’entretient Gabriele Mazzarolo auprès de « ses » pilotes. Ici Justin Barcia.
 ??  ?? Gabriele signe avec Marc Blanchard (ex-jt puis One et désormais 100%) une pub avec Ricky Johnson. Elle officialis­e l’associatio­n entre la star US et la marque italoaméri­caine. Le casque off road Alpinestar­s sera lancé en septembre prochain. Nouvelle étape !
Gabriele signe avec Marc Blanchard (ex-jt puis One et désormais 100%) une pub avec Ricky Johnson. Elle officialis­e l’associatio­n entre la star US et la marque italoaméri­caine. Le casque off road Alpinestar­s sera lancé en septembre prochain. Nouvelle étape !
 ??  ?? 450 employés et 26 pilotes derrière la grille aux US pour célébrer la mainmise de la marque sur le motocross. Plessinger mais aussi indirectem­ent Roczen bénéficien­t du soutien d’alpinestar­s…
450 employés et 26 pilotes derrière la grille aux US pour célébrer la mainmise de la marque sur le motocross. Plessinger mais aussi indirectem­ent Roczen bénéficien­t du soutien d’alpinestar­s…
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