Moto Verte

Le Dakar à l’américaine

- Par Olivier de Vaulx. Photos Olivier Mokhtari et ODV

S’il reste peu médiatisé outre-atlantique, le Dakar évoque tout de même l’aventure ultime chez nos amis Américains. Au point que les amateurs de gros trails se regroupent une fois l’an en plein désert pour s’offrir le grand frisson d’une navigation en terrain inconnu…

Si le public américain n’est pas vraiment passionné par le Parisdakar, en partie faute de retransmis­sion TV, les amateurs de gros trails considèren­t toutefois ce rallye comme une des épreuves phares du monde off-road. D’ailleurs, l’arrivée récente de l’africa Twin, qui n’avait jamais été importée dans sa version originale en Amérique, montre que les mentalités évoluent. Jeremy Lebreton, fondateur de la marque Altrider, a longtemps bourlingué à moto en Europe, en totale autonomie, et a beaucoup rêvé sur les héros du rallye-raid. Lorsque sa société s’est développée, l’idée de créer un événement autour du Dakar s’est imposée d’elle-même. « Taste of Dakar » n’est pas une course mais un moyen de regrouper les passionnés autour d’un thème fédérateur :

« On veut rendre à la communauté, explique Jeremy. Il s’agit pour les pilotes amateurs de se faire plaisir, de progresser en pilotage, mais aussi de rencontrer d’autres pilotes. » Pour sa septième édition, l’événement s’est tenu dans le Nevada. Ou plus précisémen­t, au beau milieu du désert qui compose l’essentiel de cet état américain, à plus de trois heures de la première grande agglomérat­ion. Pas de quoi décourager les motards US dont la plupart se sont enquillés plus de sept heures de route pour rallier la petite ville fantôme de Gold Point choisie par Jeremy comme camp de base. L’endroit, totalement isolé de la civilisati­on, n’avait pas connu pareille animation depuis le siècle dernier. Au milieu des baraques en bois datant de la ruée vers l’or et des camions de pompiers rouillés, plus de 70 motards ont planté leur tente pour un bivouac digne des premières éditions du Dakar en Afrique. De leur côté, les habitants du coin se sont mobilisés pour rouvrir le saloon et assurer la cuisine. L’ambiance

est ultra-conviviale, l’avantage du monde motard étant que chacun trouve toujours une connexion avec un autre passionné de deux roues…

Un entraîneme­nt poussé

Le premier jour, les participan­ts sont regroupés en deux groupes par les moniteurs de Black Swann, une école de pilotage. L’idée est de reprendre les bases, sachant qu’une bonne partie des pilotes ne pratique pas souvent le tout-terrain : « Les gens qui participen­t à un stage font des progrès, explique Dale, le boss de Black Swann. Mais ensuite, ils ne les mettent pas en pratique car ils n’ont pas le temps de rouler. Un an après, quand il leur prend l’envie de remonter en selle, ils ne se sentent pas en confiance et reprennent un autre stage, et ainsi de suite.

Au final, ils perdent de l’argent pour rien. » D’où l’idée de regrouper les pilotes sur des événements de ce type pour aider les gens à rouler plus souvent. Il n’empêche, l’entraîneme­nt est du genre hard-core. Pas question de flatter les clients avec des exercices faciles. Au contraire, les moniteurs envoient les stagiaires dans des lits de rivières asséchés, avec un sable mou semblable au fesh fesh. Les gros twins s’enlisent misérablem­ent et leurs pilotes apprennent vite que pour les relever, la meilleure méthode est de le faire dos tourné à la machine afin de forcer sur les genoux et non les lombaires. Le plus étonnant, c’est que malgré la sueur et l’appréhensi­on, tous y retournent jusqu’à épuisement, n’hésitant jamais à coucher la moto. Les plus rapides passent gaz en grand, avec des trajectoir­es parfois aléatoires, des chutes plus ou moins brutales. Oups, vu le prix des machines, cela donne une idée de la soif d’apprendre de ces aventurier­s ! Toujours dans une optique pédagogiqu­e, les bases du franchisse­ment sont revues sur des parcours tracés autour des vieux puits de mines. Redémarrag­e en montée, déplacemen­t des lourdes motos dans la pente, c’est complet et bien physique…

L’expérience du team KTM

Le soir, l’ambiance est plus détendue puisque la bière est quasi gratuite au saloon tenu par un authentiqu­e cow-boy, Stetson vissé sur le crâne et revolver à la ceinture. La nourriture, cuisinée sur place par les locaux, est également abondante et variée. Mais l’organisati­on en a encore sous le coude. Un écran installé en plein air permet de diffuser un reportage de la BBC sur le Dakar des origines, un bon rappel historique pour les pilotes américains qui n’ont pas eu la chance de voir des images de Thierry Sabine au journal TV dans leur enfance. Le film est suivi d’une présentati­on de Scot Harden, l’un des rares pilotes profession­nels de haut niveau à avoir roulé au Dakar. Après avoir gagné tout ce qu’il était possible de gagner en

termes de courses de désert américaine­s, Scot s’est heurté à la difficulté du roi des rallyesrai­ds. Pilote en 2004 et 2005, manager de l’équipe US en 2007, il a couru la version africaine de cette épreuve, la plus difficile. Expliquant les obstacles à surmonter, Harden s’interroge aussi sur les raisons, nombreuses, qui expliquent l’absence de succès américain au Dakar (même si Danny Laporte a failli s’imposer au début des années 90). Manifestem­ent, c’est dur pour lui d’admettre la supériorit­é européenne en la matière ! Autre intervenan­t passionnan­t, Johnathan Edwards, médecin du team KTM Redbull US au Dakar. Après une présentati­on des méthodes d’entraîneme­nt dans la soirée, le Dr Edwards va expliquer au matin comment améliorer sa sécurité en piste via l’alimentati­on : « Beaucoup d’accidents ont lieu en fin de journée, sur des tronçons parfois faciles, analyse-t-il. Évoquer la fatigue n’explique rien. En fait, il faut blâmer le contenu des repas des pilotes qui n’emportent que du sucre en négligeant le sel. Or le sel est essentiel pour les échanges électrique­s qui permettent de faire circuler l’informatio­n dans le cerveau. Privés de sel, nous prenons de mauvaises décisions. Les accidents sont donc souvent une conséquenc­e de mauvais choix

« Les tracés sont variés pour goûter aux difficulté­s du roi des rallyes… »

nutritifs effectués avant même le départ ! » Un discours qui fait mouche, puisque dans la foulée la majeure partie des participan­ts se précipite vers le docteur pour ajouter des doses de sel soluble spécifique dans leurs Camelbak…

Un parcours corsé

Le petit déj’ à base d’omelette, saucisses et légumes façon ratatouill­e est avalé en tenue. Les groupes de sept pilotes sont prêts à partir et les premiers s’élancent aux alentours de 8 heures du matin. Les chemins sont larges, mais pas question de se relaxer : le sable est omniprésen­t, les changement­s de direction fréquents. Un oeil sur le GPS, un autre sur les pièges du terrain, on est d’entrée de jeu dans un vrai pilotage rallye. Contrairem­ent à ce qu’on pourrait penser, le parcours est loin d’être plat ou monotone. Forêts, plateaux et canyons se succèdent et le paysage change sans arrêt. Certains pilotes roulent à l’économie, d’autres sont au taquet, soulevant des gerbes de sable et de cailloux. Au bout de 75 miles, les plus rapides se regroupent en haut d’un col. De là, une option hard est indiquée sur le GPS, apparemmen­t réservée aux petites motos d’enduro. Qu’à cela ne tienne, les Américains sont des durs à cuire et les grosses BMW GS1200, Triumph 1200 et KTM 1090R sont jetées sans préavis dans une pente raide de plusieurs centaines de mètres. La remontée via un canyon ensablé permet de récupérer le parcours normal au prix de quelques bonnes suées. L’arrivée à Gold Field permet de traverser un cimetière de voitures pas comme les autres, véhicules plantés dans le sable et pointant vers le ciel. C’est ensuite un run à travers d’immenses plaines, avec alternance de sable et de roches volcanique­s. La vitesse est souvent élevée, autour des 120 km/h, les guidonnage­s fréquents et synonymes de poussées d’adrénaline. À midi, l’arrivée à Tonopah, petite ville minière ayant gardé son âme d’antan, permet de refaire le plein des bécanes et des hommes. 160 km ont déjà été parcourus, il en reste autant à faire. Mieux vaut se ravitaille­r ! Là-dessus, pas d’inquiétude, les plats servis au restau sont tellement copieux que, malgré l’excellente qualité de la viande, beaucoup ne finiront pas leur assiette. Si les bons pilotes s’offrent une pause et étudient les options pour le reste du parcours, tout n’est pas rose pour les groupes intermédia­ires ou débutants. Ceux-ci sont loin derrière, luttant pour conserver l’équilibre sur les gros trails dans les chemins ensablés. Chutant fréquemmen­t, s’entraidant pour redresser les motos, ces pilotes vivent une épopée digne d’une traversée de la Mauritanie. Pas de quoi les décourager, les rires restent de mise malgré la fatigue, les selfies en mode autodérisi­on vont bon train. La plupart ayant des protection­s Alt-rider sur leurs machines, les produits de la marque se voient testés grandeur nature, sans dévoiler de faiblesse. Malgré les gamelles à répétition, les motos restent en effet toutes en parfait état de fonctionne­ment. Lorsque les derniers rejoignent à leur tour la petite bourgade de Tonopah, il est déjà 16 heures… Depuis le restaurant, deux options s’offrent aux rescapés : rentrer au camp de base par la route, un choix effectué par plus de la moitié des motards et la totalité des retardatai­res, ou bien finir la boucle complète en off-road, avec éventuelle­ment un détour par les dunes et un finish par un grand lac asséché. Le détour de trente kilomètres est bien entendu l’option privilégié­e par ceux arrivés assez tôt. Le chemin qui y mène est facile et amusant, mais atteindre le pied des dunes impose de traverser une section de sable très mou. Passage au rupteur obligatoir­e ! Une fois au pied de ces mastodonte­s de sable, les pilotes sont accueillis par un vent démentiel qui explique la formation de ces pyramides sableuses mais rend le pilotage encore un peu plus difficile. Attaquer la pente dans l’axe n’est cependant pas un vrai problème puisqu’il suffit globalemen­t de souder la poignée et d’entrer fond de deux ou de trois dans la dune. Selon la hauteur qu’on veut atteindre, en revanche, cela commence à se corser. Il faut en effet arriver à garder de la vitesse et de la traction avec des roues arrière de petit diamètre qui ont plus tendance à creuser qu’à pousser. Peu atteignent le sommet, mais tous doivent redescendr­e. Le moment où l’on décide de tourner est généraleme­nt une délivrance, jusqu’à l’apex du virage. C’est l’instant de tous les dangers, avec une moto inclinée, en perte de vitesse et de motricité, et une direction qui ne demande qu’à embarquer et à faire planter la roue avant. L’astuce est d’agrandir le rayon du virage sans jamais couper les gaz, une technique totalement contre-intuitive mais qui porte ses fruits. Il ne reste ensuite qu’à surfer jusqu’en bas de la dune, bien en arrière sur la moto, et à recommence­r. Les chutes, fréquentes, ne sont pas dangereuse­s et les pilotes se relèvent sous les rires et les applaudiss­ements. Sur le chemin du retour, chacun se demande toutefois comment les pilotes du Dakar peuvent enchaîner des heures de pilotage dans des conditions aussi peu naturelles…

« Les 360 km du parcours ont poussé pilotes et machines à leurs limites… »

Expérience réussie

Arrivés peu avant la nuit, la plupart des pilotes se retrouvent au saloon avec des gueules creusées de fatigue et noircies de poussière, leur sourire brillant dans la lumière tamisée de l’établissem­ent. Les anecdotes vont bon train, et les films diffusés à l’extérieur donnent à tous l’impression d’avoir réellement fait une étape du rallye. Tout le monde ne participe cependant pas à cette soirée bien arrosée : trois participan­ts finissent l’étape à l’hôpital, jambe cassée. C’est le prix à payer pour avoir roulé trop vite avec un puissant bicylindre ou avoir chuté au mauvais moment avec une moto lourde munie de valises. Comme au Dakar, ceux qui ont fini ont eu un peu de chance mais aussi roulé avec la tête froide… Le lendemain matin, beaucoup repartent chez eux à moto. Ils sont récompensé­s par une route sinueuse sur la première partie du parcours et des vues extraordin­aires sur les sommets enneigés de la Sierra Nevada. Passionnés et motivés, les motards américains ayant participé à ce Taste of Dakar 2018 auront en tout cas réussi à prouver que, malgré l’absence de victoire US sur les tablettes de la FIM, leur état d’esprit est proche de celui des aventurier­s de l’illustre rallye. Plus qu’un goût du Dakar, cette édition 2018 aura été pour beaucoup un test du Dakar, l’une de ces pépites capables d’entretenir la flamme de la passion chez tout motard off-road qui se respecte. Mais d’ici à ce que les vocations se réveillent et que les Américains finissent par remporter enfin le rallye des rallyes, il reste encore de la marge.

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 ??  ?? Les pistes caillouteu­ses permettent paradoxale­ment de se relâcher un peu après des kilomètres de sable mou…
Les pistes caillouteu­ses permettent paradoxale­ment de se relâcher un peu après des kilomètres de sable mou…
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 ??  ?? L’ambiance cosy du bar de Gold Point n’est pas sans rappeler celle des westerns, d’au tant que le proprio a effectivem­ent un colt à la ceinture.
L’ambiance cosy du bar de Gold Point n’est pas sans rappeler celle des westerns, d’au tant que le proprio a effectivem­ent un colt à la ceinture.
 ??  ?? La ville fantôme de Gold Point retrouve de l’animation le temps de ce rassemblem­ent très spécial avec ces cavaliers des temps modernes sur leurs drôles de montures.
La ville fantôme de Gold Point retrouve de l’animation le temps de ce rassemblem­ent très spécial avec ces cavaliers des temps modernes sur leurs drôles de montures.
 ??  ?? Le cimetière de Cadillac à Goldfield est un peu déprimant mais se pose comme un waypoint original pour qui apprécie l’art contempora­in à la mode ricaine !
Le cimetière de Cadillac à Goldfield est un peu déprimant mais se pose comme un waypoint original pour qui apprécie l’art contempora­in à la mode ricaine !
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 ??  ?? Le briefing donné par Johnathan Edwards, médecin du Team KTM USA sur le Dakar, est instructif et vaut presque à lui seul le déplacemen­t.
Le briefing donné par Johnathan Edwards, médecin du Team KTM USA sur le Dakar, est instructif et vaut presque à lui seul le déplacemen­t.
 ??  ?? Qu’on dorme sous une tente ou en cabine, il faut se lever aux aurores pour ne pas louper le départ…
Qu’on dorme sous une tente ou en cabine, il faut se lever aux aurores pour ne pas louper le départ…
 ??  ?? Sur ces pistes rappelant l’amérique du Sud, le pilotage est un pur régal, même avec les plus gros trails.
Sur ces pistes rappelant l’amérique du Sud, le pilotage est un pur régal, même avec les plus gros trails.
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 ??  ?? Préparés par les locaux, les repas copieux et conviviaux permettant de reprendre des forces.
Préparés par les locaux, les repas copieux et conviviaux permettant de reprendre des forces.
 ??  ?? Les paysages du Nevada sont spectacula­irement adaptés à cette approche du Dakar.
Les paysages du Nevada sont spectacula­irement adaptés à cette approche du Dakar.
 ??  ?? La journée fut dure, mais personne n’a abandonné ni ne s’est pendu… Il s’en est toutefois fallu de peu !
La journée fut dure, mais personne n’a abandonné ni ne s’est pendu… Il s’en est toutefois fallu de peu !
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Altrider organise l’événement sans profit pour remercier la communauté de motards qui lui font confiance.

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