Le MX aux USA, c’est quoi au juste ?
Devenu un sport très médiatisé, soutenu par une industrie solide, le motocross américain ne connaît pas la crise. Nombre d’épreuves en hausse, réservoir de pratiquants inépuisable, cela fait rêver. Mais comment cela se passe-t-il concrètement sur place ? Qu’on soit pro ou amateur, il y en a pour tous les goûts et tous les budgets, surtout le plus élevé…
Apparu dans les années 1960 aux États-unis avec les premières courses organisées dans le sud de la Californie, le motocross séduit rapidement le public américain. Le premier à croire vraiment dans ce sport, l’américain Edison Dye, se met à importer des Husqvarna, à l’époque d’authentiques Suédoises. En 1966, le champion du monde Torsten Hallman débarque aux USA et bat sans problème ses concurrents américains. 42 ans plus tard, c’est un Américain, Jason Anderson, qui offre à Husky un titre historique, mais cette fois en supercross. Car les Ricains n’ont pas mis trop longtemps à adapter le MX à leur façon de faire, emmenant les motos de cross dans les stades où ils peuvent savourer le spectacle en mangeant du pop-corn. Aujourd’hui leaders en supercross, plutôt bons en MX bien que pas toujours impressionnants au rendez-vous annuel du Motocross des Nations, les pilotes d’outre-atlantique et l’industrie qui les soutient sont en fait devenus la référence. Certes, tout n’est pas parfait, mais le motocross est aux US un business qui monte en puissance, et un modèle à étudier pour les Européens soumis à la fermeture des terrains… Créée en 1924, l’american Motorcycle
Association, que l’on connaît surtout sous l’appellation AMA, est à comparer à notre FFM. Elle ne regroupe qu’une toute petite partie des motards américains, ceux qui participent à des événements officiels ou veulent s’assurer une protection juridique. Malgré cela, l’association compte environ 214 000 membres, dont cent mille pratiquent le tout-terrain. Des chiffres logiquement faibles, vu que la plupart des personnes qui roulent en loisir dans le désert ou sur les terrains de cross juste pour le fun n’ont en effet pas besoin de licence AMA. Celle-ci est pourtant peu onéreuse. Les 49 dollars d’adhésion annuels comprennent même l’abonnement au magazine de l’association. Elle reste nécessaire pour faire de grosses courses officielles gérées par L’AMA, mais pas pour participer à la myriade d’autres événements organisés par ailleurs, qu’il s’agisse de courses locales ou de petits
championnats non affiliés à cette association. Il n’empêche qu’avec un livre de règles officielles de 318 pages, un championnat du monde de Supercross et un championnat National de Motocross, L’AMA reste présente à tous les niveaux de pratique, des enfants aux pilotes professionnels en passant par les féminines.
Esprit de compétition
Les États-unis, dont la déclaration d’indépendance date de 1776, restent en effet un pays neuf, avec de l’énergie à revendre. Ici, la compétition est donc encouragée à tous les niveaux, et il y a des courses organisées absolument tous les week-ends, avec des pilotes participant à des épreuves différentes ayant lieu l’une le samedi et l’autre le dimanche ! Si l’on s’en tient aux séries sanctionnées par L’AMA, et sachant que d’autres championnats indépendants existent, on trouve déjà de quoi s’occuper : outre le championnat National Amateur et le championnat National Vintage, on trouve 13 séries, ou mini-championnats d’au moins 7 courses, et 22 championnats locaux répartis par État, hors Californie. Les plus cotés, suivis par l’industrie et par les marques qui envoient sur place leurs semi-remorques et leurs mécanos professionnels, sont Daytona, en Floride, Freestone au Texas, la California Classic, Mammoth Mountains toujours en Californie, la Loretta Lynn’s dans le Tennessee et enfin la Mini Oz en Floride. Des courses de qualification sont organisées en amont pour permettre de participer à la Loretta et Mammoth. Le plus dur n’est donc pas de participer à des épreuves, mais d’arriver à s’y retrouver dans les différents calendriers pour éviter d’être inscrit à trois épreuves différentes le même jour. À cela s’ajoutent les mini-séries locales organisées par les sociétés gérant les circuits, les magazines… Le nombre de catégories sur les événements destinés aux amateurs est généralement élevé, avec un record à la Loretta Lynn’s qui compte 35 classements ! Cela motive les participants qui ont plus de
Championnats amateurs, multiples catégories, les pilotes n’ont que l’embarras du choix…
chances de bien se classer, et rapporte plus d’argent à l’organisateur. L’âge des participants n’est pas un facteur limitant puisqu’on trouve de tout jeunes compétiteurs ayant à peine soufflé leurs 4 bougies, mais aussi un nombre incroyable de pilotes ayant dépassé la soixantaine. Les championnats les plus cotés font appel à un système de qualifications sur des courses locales avec une finale régionale. Attention, on parle des USA, ce qui signifie que « local » se comprend à l’échelle d’au moins un État et que « régional » comprend un bon quart du pays. Si l’on reste sur l’exemple de la Loretta Lynn’s, huit championnats locaux comprenant à chaque fois plusieurs états permettent d’établir une première sélection. Des finales permettent de sélectionner les meilleurs pilotes et de constituer le plateau de la Loretta. Mais vu le nombre de régions et de catégories, ce ne sont pas moins de 1 500 crossmen de tous âges qui sont attendus dans le Tennessee en août pour une semaine de course non-stop ! On le voit, la démesure n’est jamais loin. Dans ces courses, le niveau de préparation est incroyable, tant sur le plan du matériel que du pilotage ou du physique. Il n’est pas rare de voir des gosses de 8 ans, accompagnés de leur coach, rouler sur du matos semi-usine ! Un peu too much ? Pas vraiment, car ces courses servent aux teams officiels pour détecter les talents de demain. Car les catégories dites « amateur » sont l’équivalent d’un niveau championnat d’europe et voient éclore les futurs pros. Absolument tous les pilotes américains devenus des stars du SX et du MX sont passés par là. D’ailleurs, sur ces courses, les meilleurs sont traités par les teams comme de vrais professionnels, avec un semiremorque, un mécano, une prise en charge complète. Le team Honda Amsoil dédié aux amateurs est par exemple partie intégrante du team officiel Honda Geico. L’assureur Geico ne vendant pas d’assurance aux pilotes sans permis, Amsoil a pris le relais pour le financement du programme. Mais les motos sont les mêmes, préparées au même endroit par les mêmes mécanos. Ce système de sélection et de contrat amateur semi-pro permet également d’adoucir la transition entre le monde amateur et le monde pro, même en ce qui concerne le Supercross. Sous l’impulsion de Carmichael, une nouvelle règle stipule que les jeunes pilotes désirant s’aligner en SX doivent désormais avoir fait leurs preuves en Arenacross et ramener un certain nombre de points pour le prouver. C’est donc progressif, mais assez intense tout de même !
Structures haut de gamme
Tout ce beau monde ne pourrait progresser sans une infrastructure à la hauteur. Le système bénévole cher aux clubs français n’a pas pris ici et chaque élément du puzzle est en fait partie intégrante d’un business bien rodé. Les circuits ouverts au public sont ainsi gérés par des entreprises qui embauchent du personnel et entretiennent la piste tout au long de la journée, souvent 7 jours sur 7 et 365 jours par an. À ce petit jeu, la Californie
est la mieux dotée avec 33 circuits ouverts au public. Mais c’est pourtant la côte Est qui recense le plus de terrains avec un total dépassant les 250 pistes ! Afin d’attirer une clientèle la plus large possible, la plupart de ces terrains de motocross comprennent plusieurs tracés : un circuit à destination des débutants et adapté aux pee-wee, un autre pour les vétérans avec de beaux sauts mais assez courts, un troisième pour les amateurs avec déjà des doubles et de grosses tables, et enfin un « main track » avec des obstacles pour les pros. C’est efficace tant en termes de rentabilité que de pédagogie et de plaisir : les pilotes de tous niveaux se font plaisir et reviennent d’autant plus volontiers, et ceux qui veulent faire de la compétition peuvent franchir en sécurité toutes les étapes d’une bonne progression. En Californie, il n’est pas rare non plus d’avoir un ou deux circuits de supercross réservés aux possesseurs d’une licence adéquate. Ce qui permet pour les plus doués de rouler avec les stars du moment et d’apprendre encore quelques petits gestes… Ceci dit, rouler sur un circuit public, même en embauchant un coach, n’est pas toujours vu comme une garantie de résultat suffisante par certaines familles. Celles-ci vont alors s’installer pour des mois, voire des années, dans des centres d’entraînement, des fermes comme on les appelle ici. Quittant l’école mais pas le système scolaire, grâce au système du « home school » où les parents peuvent se substituer aux profs, les apprentis champions vont pouvoir rouler tous les jours sur des terrains privés avec supervision permanente et un seul objectif en tête : gagner la Loretta Lynn’s et décrocher un contrat pro. Un investissement pour des familles qui ont beaucoup sacrifié à ce rêve, et un business rentable pour ceux qui possèdent les circuits. Les Millsaps, Carmichael, Baker et consorts fonctionnent sur ce modèle d’exclusivité. La place étant comptée en Californie, c’est souvent en Floride qu’on trouve ces centres d’entraînement : terrain relativement bon marché, législation peu contraignante, météo clémente et terre souple, c’est l’endroit parfait pour élever les futures stars du SX et encaisser de beaux profits. Car si tout est pensé pour permettre de rouler aussi souvent qu’on le veut et dans les meilleures conditions, cela a un coût. À commencer par l’accès aux circuits ou les inscriptions aux courses où les catégories sont multipliées pour inciter les pilotes à s’inscrire plusieurs fois et donc à dépenser plus. Pour un pilote loisir, l’entrée sur un circuit coûte 25 dollars. Pour un accès au terrain de SX, cela passe déjà à 65 ! Quant aux compétitions, elles sont rarement gratuites et il faut débourser entre 90 et 200 euros par épreuve. Des chiffres qui semblent abordables mais qui se cumulent assez vite, sans compter que les déplacements, souvent lointains, engendrent des frais supplémentaires. Les motos, vendues plus cher aux USA qu’en Europe, ne sont absolument jamais d’origine. Le niveau des préparations est tel ici que tout le monde dispose de suspensions et de moteurs préparés. Le marketing tourne à plein et l’accès aux plus fameux préparateurs étant facilité par l’envoi de pièces par transporteur, pourquoi se priver ? D’autant que les Américains n’hésitent jamais à utiliser leur carte de crédit pour avoir le meilleur matos possible. Ceux qui sont assez doués pour se faire remarquer peuvent espérer décrocher assez jeune des aides en matériel, puis des contrats officiels. Un pilote de 14 ans peut tout à fait se voir confier motos et pièces, ainsi qu’un budget d’environ soixante mille dollars annuels. Pas de quoi sauter au plafond : cela couvre le salaire du mécano, les honoraires du coach, l’assurance, les déplacements, les frais d’entraînement, les inscriptions aux courses… On est encore loin de mettre de l’argent de côté, seuls les meilleurs pros y arrivent. Pour les moins rapides, il faut avoir recours au crédit, l’arme à double tranchant que tout le monde manie plus ou moins bien aux USA. Ceci dit, les constructeurs essaient d’encourager les familles et sont très présents sur les gros championnats. À la Loretta Lynn’s, toutes les marques ont un camion atelier qui offre la réparation gratuite des motos des amateurs. Certains, victimes d’une casse moteur, repartent ainsi avec un bloc neuf, sans débourser un centime ! Par ailleurs, les primes ne sont pas ridicules et les six fabricants de motos mettent la main à la poche. Si les montants ne sont souvent que de quelques centaines de dollars pour les plus jeunes, cela peut monter assez vite sur une épreuve du championnat Outdoor National : un pilote Honda touchera ainsi entre $150 et $5 000 selon sa place finale, ce qui représente plus d’un million au total pour les rouges. Chez Kawasaki, on met la barre plus haut avec $25 000 pour le premier d’un outdoor et 1,5 million distribués en tout sur la série ! Si l’on ajoute les primes sur les courses amateurs, les verts distribuent via leur programme Team Green près de 9 millions de dollars en primes diverses… Bien entendu, tous les fabricants d’accessoires jouent le même jeu, dans des proportions moindres, en sponsorisant les courses, en offrant des lots ou des primes sur les événements locaux. Il arrive que des entreprises externes offrent des voitures, des séjours… Il est donc possible d’envisager une carrière de « chasseur de primes » et de couvrir une partie de ses frais si l’on joue
Les constructeurs s’investissent énormément et sont présents sur tous les championnats…
les bonnes cartes. Weston Peick a vécu quelques années comme cela, dormant dans son van et utilisant les primes de courses pour payer ses déplacements et ses pièces. Ça n’a pas été toujours rose mais cela lui aura permis d’être indépendant et de se faire remarquer par JGR.
Du cross à la télé
Tout cela ne serait bien entendu pas possible sans une grosse couverture médiatique. Les journaux papier, sponsorisés par les accessoiristes, sont très peu chers aux US, voire carrément distribués gratuitement sur les événements. Tous parlent des courses amateurs, encore une fois, ce terme trompeur est à rapporter au niveau d’un championnat de France ou d’europe, comme des événements professionnels. On est loin de la qualité rédactionnelle des journaux français, mais c’est mensuel et donne de la visibilité aux teams. Les réseaux sociaux, Instagram en tête, sont utilisés de manière intensive par les pilotes qui atteignent un nombre assez impressionnant d’abonnés sur leurs pages. Sans parler d’un Ken Roczen qui dépasse le million de followers, un pilote débutant sa carrière pro peut facilement toucher un large public et faire monter sa cote auprès de ses partenaires. On peut ainsi citer le cas du jeune Chase Sexton qui n’a pas encore gagné de courses mais va avoir facilement 80 000 personnes qui suivent son compte, soit plus du double d’un Brian Moreau, pilote Bud Racing et champion d’europe 125 en 2017. Si l’on compare les plus rapides, Aaron Plessinger avec 148 000 « amis » met un tour à son coéquipier français et vainqueur des Nations Dylan Ferrandis qui culmine à 75 000. Ce massif support du public permet aux pilotes de préparer leur avenir, les plus malins d’entre eux développant des stratégies qui les préparent à une « aprèscarrière » orientée business. Mais le vrai changement est venu avec la couverture TV. Certes, cela ne concerne que le Supercross et le Motocross National, mais les courses sont toutes retransmises en direct, avec des audiences se comptant en millions. Si cela ne fait pas forcément vendre des motos dans la minute suivant la retransmission, cela contribue a minima à donner une bonne image du sport et à pousser les sponsors extra-sportifs à investir sur la discipline. Pour autant, cela ne signifie pas que les pilotes roulent sur l’or et trouvent des guidons en claquant des doigts. Si économiquement la situation est plus favorable aux US qu’en Europe, le nombre de bons pilotes est élevé et se faire remarquer n’est pas si simple. Rouler aux US est sur bien des points presque idyllique, l’herbe paraissant toujours plus verte sur le circuit du voisin, mais on se rend vite compte que rouler plus signifie aussi dépenser plus. Alors que la pression mise sur les compétiteurs qui veulent réussir semble donc plus élevée, les pilotes loisirs, eux, se régalent. Et si c’était ça le plus important ?