Moto Verte

Jeffrey Herlings affole les compteurs…

- Par Laurent Reviron

Si le début de saison MXGP a été animé par une lutte acharnée entre Cairoli et Herlings, la fin aura été bien plus calme au niveau suspense avec une domination sans partage du pilote néerlandai­s. JH84 revient sur cette saison où il est petit à petit devenu l’homme imbattable du MXGP et sûrement le pilote le plus rapide du monde.

Tu as atteint un niveau incroyable cette année en MXGP. Qu’est-ce qui a changé pour toi depuis la saison dernière ?

« La moto a changé et elle a vraiment progressé. J’ai aussi un an de plus d’expérience dans la catégorie alors j’ai forcément progressé dans le sens où je bénéficie des enseigneme­nts de ma première saison en 450. J’ai sans doute progressé en tant que pilote et aussi au niveau de la mise au point de ma moto. Mais je pense qu’à la fin de la saison dernière, j’étais déjà proche du niveau que j’ai aujourd’hui. Si l’on regarde les six derniers GP de la saison dernière, à part une course où j’ai abandonné sur une manche à cause d’un problème mécanique, j’en ai gagné cinq sur six. Et aux Nations, j’ai aussi remporté ma catégorie. La différence en revanche, c’est que cette fois j’ai été fort toute la saison alors que l’an dernier, j’ai connu un début difficile. »

Tu n’as pas pour autant connu un parcours sans embûches avec une fracture de la clavicule en cours de saison. Comment expliquer ces blessures si fréquentes ?

« C’était vraiment une petite chute stupide. J’ai glissé sans vitesse et je suis tombé sur l’épaule. La clavicule est un os très petit et il se casse rapidement dans notre sport. Cette chute stupide ne m’a fait rater qu’une course et je suis revenu fort après cette blessure. »

Tu passes beaucoup de temps sur la moto à l’entraîneme­nt et du coup, tu augmentes aussi les risques de blessures ?

« Plus on roule et plus le risque de chute augmente en effet. Mais je ne roule jamais à 100 % à l’entraîneme­nt. Je reste dans ma zone de confort. »

Que s’est-il passé dans ta tête quand tu t’es blessé? As-tu pensé un moment que ce titre s’envolait une fois de plus ?

« Non, parce que je savais qu’après une fracture de la clavicule, il était possible de rouler deux semaines plus tard. Ce n’était pas forcément une situation confortabl­e, mais j’ai toujours continué à croire en ma victoire sur ce championna­t. »

Comment expliquer cette capacité hors du commun que tu as à revenir de blessure? C’est physique ou mental?

« Je suis revenu dix-sept jours après la fracture. On m’avait posé une petite plaque. C’était court, mais il n’y avait pas d’autre solution. J’ai souffert un peu lors du premier GP après cette blessure, mais ce n’était pas lié à la fracture, plutôt aux conséquenc­es de l’opération. »

Ça doit être assez plaisant de dominer à ce point l’un des championna­ts les plus relevés de la planète ?

« Oui, c’est vrai que je prends beaucoup de plaisir dans ce que je fais et c’est sans doute pour ça que ça marche aussi bien. Il y a des jours plus difficiles que d’autres, mais j’ai le sourire tous les matins quand je me lève. Le championna­t du monde MXGP est sans doute en effet, avec le championna­t américain, le plus relevé au monde. C’est sûr qu’être aux avant-postes de ce type de série est incroyable. Ça reste les deux trucs les plus élevés que tu puisses atteindre dans ce sport. »

Tu as longtemps été considéré comme le meilleur pilote de sable de la planète. Aujourd’hui, tu penses être le meilleur pilote de MX tout court ?

« Je me sens bien sur une moto en ce moment, c’est sûr, mais de là à dire que je suis le pilote le plus rapide de la planète, je ne sais pas. C’est ce que certaines personnes disent, mais pour le savoir vraiment, il faudrait avoir tous les meilleurs pilotes de la planète sur la même grille de départ sur un championna­t complet. Je ne roule qu’une fois dans l’année contre les Tomac, Roczen, Musquin… au MXDN. Sur une seule course, ce n’est pas forcément significat­if. Chacun peut avoir ses jours avec et ses jours sans. »

Ce n’est pas ton objectif de te sentir comme le meilleur pilote du monde?

« Si, bien sûr, mais comment le devenir sans rouler contre tous les meilleurs pilotes de la planète tous les week-ends ? Si je gagne les deux manches aux Nations, les gens vont dire que je suis le meilleur sans penser que Tomac était peut-être dans un mauvais jour. Mais c’est sûr que je vais tout faire pour gagner en individuel aux Nations. »

L’année dernière, tu t’étais aligné sur une épreuve du championna­t US et tu as gagné. Ce n’est pas une expérience que tu as souhaité renouveler cette année ?

« L’année dernière, quand on a décidé d’y aller, je n’avais plus aucune chance de décrocher le titre MXGP parce qu’antonio Cairoli avait trop d’avance. Mais mon objectif principal reste le MXGP alors cette année, ce n’était pas au programme. Si je ne m’étais pas blessé à la clavicule et que j’avais été titré plus tôt, pourquoi pas. Mais je ne suis de toute façon pas le seul à décider. KTM doit aussi donner son accord. »

Est-ce que tu comptes sur le Motocross des Nations pour montrer au monde que le MXGP est bien aussi relevé que le championna­t US ?

« Encore une fois, sur une course, c’est difficile de se faire un avis définitif. Mais c’est vrai que cette année, la course se déroule

chez les Américains, sur un circuit qu’ils connaissen­t bien puisqu’ils y roulent tous les ans. Alors c’est sûr que si l’on arrive à les battre dans ces conditions, ça sera bien pour l’image du championna­t MXGP. »

Comment as-tu vécu le début de championna­t et la rivalité importante avec Cairoli ?

« J’ai l’habitude de me battre contre mes coéquipier­s chez KTM. J’ai connu ça en MX2 avec Musquin, Roczen, Van Horebeek, Tixier… Ça fait causer les médias mais pour moi et pour le team, ça n’a rien d’exceptionn­el. C’est juste que cette fois, c’est pour le titre MXGP. »

On a quand même senti une certaine tension entre vous…

« C’est sûr qu’on ne se retrouvera pas tous les deux autour de la même table pour fêter Noël, mais je le respecte beaucoup et je pense que c’est réciproque. C’est un grand sportif et un grand pilote. Nous ne sommes pas les meilleurs amis du monde, mais ça va. On se parle. »

Il y a eu en piste quelques contacts virils. Et c’est après cet épisode que tu as clairement pris le dessus sur lui. Est-ce que ce n’était pas une stratégie de ta part pour prendre l’avantage psychologi­que sur lui?

« J’ai toujours cherché à rester clean. Il y a eu quelques moments chauds, mais si l’on prend la saison dans sa globalité, on peut dire que c’est resté correct. Et puis on se bat pour un titre de champion du monde, ça engendre forcément quelques rivalités sur la piste. Ce n’est pas toujours évident pour nous, mais aussi pour le team. D’un côté, on est dans la même équipe, la même famille, mais d’un autre, c’est le team Cairoli contre le mien et il n’y a qu’une personne qui peut gagner à la fin. Alors forcément qu’il y a parfois de la tension. Mais quand il gagne, je le félicite et il en fait autant quand c’est moi qui gagne. Sur la piste, il y a une grosse rivalité, mais en dehors, chacun se respecte. »

Lorsque la tension a été maximum, KTM a essayé d’arbitrer votre duel?

« On dispose exactement du même matériel.

« Je vais tout faire pour gagner en individuel aux Nations. »

Je suis content avec ma moto et c’est sans doute la même chose pour lui. Nous bénéficion­s tous les deux de la même attention tout au long de l’année. Ce n’est pas parce que je suis devant au championna­t que je vais avoir accès à plus de moyens que lui. »

Concrèteme­nt, Pit Beirer ne t’a donc jamais appelé pour tenter de calmer le jeu ?

« Non, jamais parce que je suis toujours resté correcte. Et je n’ai jamais raconté de mauvaises choses sur lui dans la presse. »

On n’a l’impression que tu cherches à gagner avec un maximum d’écart pour casser le moral de la concurrenc­e, c’est vrai ?

« Ma stratégie a changé en fin de championna­t où je suis plutôt entré dans une logique de gestion en pensant au championna­t et en assurant les points. Mais même en limitant les risques, je n’ai jamais laissé passer une occasion de gagner un GP »

Ton point fort reste les fins de course. Tu réalises souvent tes meilleurs temps dans les derniers tours alors que la fatigue est plus importante et la piste plus creusée. Comment c’est possible?

« J’ai beaucoup travaillé physiqueme­nt cette année. J’ai commencé ma préparatio­n fin novembre, je me suis concentré à 200 % sur cet objectif de titre. Je suis volontaire­ment célibatair­e pour rester concentré à fond sur la course. J’ai travaillé chaque jour très dur. J’ai mangé et respiré motocross. Ça représente de gros sacrifices, mais je suis récompensé tous les dimanches quand je monte sur la plus haute marche du podium. »

On dit que tu es un travailleu­r acharné, que tu es le pilote qui passe le plus de temps sur sa moto à l’entraîneme­nt. C’est selon toi ce qui fait la différence?

« Je ne sais pas ce que font les autres. La compétitio­n ne se joue pas à celui qui roule le plus à l’entraîneme­nt. Je roule en effet souvent, mais pas tous les jours pendant la saison. Plus on roule, plus on augmente les probabilit­és de blessures. Et puis c’est compliqué de rester concentré en faisant tous les jours la même chose. Il faut varier les entraîneme­nts et surtout privilégie­r la qualité à la quantité. Rouler beaucoup est important pour progresser. Mais tout ça est très personnel. Certains pilotes ont besoin de se reposer plus et de moins rouler pour garder la motivation. Il faut juste trouver sa méthode. »

« Sûr qu’on ne se retrouvera pas autour de la même table pour fêter Noël avec Cairoli. »

Tu as su bien négocier ton contrat avec KTM en faisant jouer la concurrenc­e avec Honda et tu es aujourd’hui dans le meilleur team et le pilote le plus payé du plateau, c’est le rêve…

« Je suis très content de ce que j’ai chez KTM. Je suis chez eux depuis 2009. C’est vraiment un plaisir quotidien de travailler avec eux. Ils sont derrière moi depuis que j’ai commencé ma carrière en GP. J’ai déjà gagné 82 GP avec eux et trois titres. Peu de pilotes ont fait autant de choses avec la même marque. »

Tu confirmes que tu es sans doute l’un des pilotes les mieux payés de l’histoire des GP…

« Je ne sais pas. »

Il se dit aussi que ta KTM est plus performant­e que les autres machines de tes concurrent­s ?

« Le team Husqvarna a déjà une moto comparable à la mienne. Tony et Glen ont eux exactement la même moto que moi. Ça fait déjà cinq motos quasiment identiques sur la grille. Et s’il est évident que la KTM est une très bonne moto, les autres marques comme Kawasaki, Honda, Yamaha ont elles aussi des motos performant­es. »

Tu ne sembles pas attiré par les US. Tu comptes faire toute ta carrière en Europe?

« J’aime bien aller courir de temps en temps aux US mais mes futurs objectifs sont en effet sur le championna­t du monde MXGP. »

L’équipe des Pays-bas a une belle carte à jouer au MXDN. Quelle importance accordes-tu à la victoire d’équipe sur cette course?

« On a une bonne équipe. Sans doute parmi les meilleures. Glen est en forme. De mon côté, j’ai plutôt réalisé une saison pas trop mauvaise. Sur les deux dernières éditions, nous avions Bogers en MX2 et cette fois, ce sera Vlaanderen qui fait aussi une belle saison. Ça sera difficile de gagner. Devant, il y a vraiment des équipes très fortes avec la France et les USA, mais si l’on peut déjà être sur le podium, ce sera bien. »

Tu auras un double challenge ce jour-là. Montrer au monde entier que tu es le meilleur pilote du moment et jouer la carte de l’équipe? Qu’est-ce qui est le plus important pour toi?

« Si je fais un bon résultat, ça profitera au team. Le but reste donc de faire du mieux possible. »

À combien évalues-tu vos chances de gagner ?

« Il faut rester réaliste. On a vraiment peu de chances de gagner. J’évalue à seulement 10 % nos chances de victoire. Il faudrait vraiment que nos trois pilotes soient dans un grand jour et que l’on ait un peu de chance. »

Dans quel domaine es-tu le meilleur ?

« C’est toujours difficile de s’auto-analyser mais je pense que je ne suis pas mauvais dans le sable. Sur cette surface, je dois bien être parmi les pilotes les plus rapides de la planète. »

Dans quel domaine es-tu le moins bon ?

« Les départs restent globalemen­t mon point faible. »

Tu as fait quelque chose de spéciale cette année pour t’améliorer à ce niveau ?

« J’ai essayé de travailler ce point faible. Je suis deuxième au classement “holeshot” cette année, je ne suis donc pas si mauvais, mais Tony est meilleur que moi sur ce point. »

Après ce titre, quel sera ton prochain objectif pour rester motivé?

« Gagner encore et encore. Et je compte bien battre le record des 101 victoires en GP de Stefan Everts. En revanche, son record de dix titres sera plus difficile à atteindre. À l’époque de Stefan, il y avait bien moins de GP sur une saison. Aujourd’hui, c’est plus compliqué de remporter plusieurs championna­ts et de rester au top longtemps sur des saisons aussi longues et difficiles. Mais avec 82 victoires en GP au compteur pour le moment, je suis en bonne position pour battre ce record de victoires en GP. »

Antonio Cairoli qui est aujourd’hui à neuf titres va d’ailleurs sans doute avoir du mal à aller à dix ?

« Si je n’avais pas été là cette année, sans doute qu’il aurait décroché cette dixième couronne. »

Qu’aurais-tu le plus envie de faire dans les cinq prochaines années ?

« Gagner cinq titres de champion du monde en cinq ans serait le top ! Mais battre le record de victoires en GP et remporter encore quelques titres mondiaux serait parfait pour moi et ma carrière. »

Tu comptes rouler encore combien d’années ?

« Je ne sais pas. Mon contrat avec KTM va jusqu’en 2020 et j’ai une option pour 2021. J’aurai 26 ans, ça reste assez jeune pour ce sport. Je ferai peut-être encore 3/4 saisons de plus. Mais c’est difficile de l’affirmer aujourd’hui. Tony est toujours au top à 33 ans. Peut-être que je le serai aussi dans dix ans, mais peut-être aussi que j’en aurai assez dans cinq ans. Ce qui est sûr, c’est que je vais finir ce contrat et que je vais repartir au moins pour un autre contrat d’une ou deux saisons. »

Le but reste de s’arrêter au plus haut niveau ?

« Finir au top reste un bien grand mot. Si j’arrête ma carrière à 30 ou 32 ans à la deuxième ou troisième place d’un championna­t du monde, c’est toujours être au top. Ce qui est sûr, c’est que je ne compte pas faire ma dernière saison en étant 15e tous les week-ends. »

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Jeffrey affirme avoir pris le minimum de risques pour assurer le titre en fin de championna­t, malgré tout, des pilotes comme Tim Gajser n’arrivent pas à suivre !
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JH savait que son point faible restait les départs. Aujourd’hui, il part bien souvent en tête.
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Jeffrey Herlings aura enfilé les victoires comme des perles durant toute cette saison 2018.

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