On a testé l’enduro en liberté aux USA…
Alors que rouler dans les chemins en Europe est de plus en plus compliqué, il n’en est pas de même aux USA où tout est fait pour promouvoir la pratique du tout-terrain. Le système OHV diffère selon les régions mais permet de rouler sur des milliers de kilomètres dans des espaces naturels, sans plaque ni permis, de 7 à 77 ans… Incroyable n’est pas ricain !
Si les États-unis sont souvent associés au supercross, la culture off-road dépasse là-bas l’espace exigu des stades ou des circuits de cross. Pour le public américain, une moto tout-terrain, c’est bien souvent une « dirt bike » qu’on emporte lors des week-ends en famille pour rouler entre potes, sans esprit de compétition. Les motos nécessitant peu d’entretien ont la cote et les modèles 4-temps refroidis par air comme les CRF230F se vendent toujours très bien ! Ces familles américaines disposent de peu de vacances mais d’un terrain de jeux à la hauteur de leurs ambitions. Pas besoin de permis, d’immatriculation ou de moto spécifique, les zones OHV, pour Off Highway Vehicle, sont ouvertes à tous, pour peu qu’on respecte quelques règles simples.
Les règles en vigueur
Les rangers, équivalents de nos agents ONF, ne sont pas hostiles aux deux roues et font de leur mieux pour accepter toutes les machines. Si votre machine est homologuée, ils se contenteront de vérifier la présence d’un silencieux muni d’un pare-étincelles, accessoire indispensable dans un pays où les incendies prennent des proportions gigantesques. Si vous êtes sur une moto d’enduro ou de cross démunie de plaque d’immatriculation, ils vérifieront votre échappement avant de s’assurer que vous avez acheté une vignette, collée sur la fourche, l’argent ainsi récolté servant à entretenir les chemins. Eh oui, vous avez bien lu, on peut donc rouler légalement dans les bois avec une bécane de cross ! On est déjà loin, très loin même, du mode de pensée en vigueur dans nos contrées… Si le port du casque n’est pas toujours obligatoire au-delà de 18 ans, les enfants doivent rouler accompagnés d’adultes et certains états requièrent également pour les mineurs un petit stage d’initiation. Ces règles semblent contraignantes, mais sont au final bien peu de chose en regard des possibilités offertes. Car le système OHV ce sont des centaines voire des milliers de zones dédiées à la pratique du tout-terrain réparties sur tout le territoire américain. Et l’on ne parle pas de terrains vagues à proximité de zones industrielles, mais bien d’espaces naturels, forêts ou montagnes, qui chez nous seraient classés Natura 2000 et réservés aux randonneurs à pied. Trop beau pour être vrai ? Les Européens, habitués à l’idée de circuler librement entre un point A et un point B, ne peuvent qu’être sceptiques à première vue. L’idée d’une zone délimitée peut sembler contraire à l’esprit enduro ou rando, et certains évoqueraient volontiers une possible sur-fréquentation de ces chemins dédiés pour dénoncer le principe même d’un espace réservé. Mais les USA, ce n’est pas l’europe. Les étendues sont bien plus vastes et la culture différente. Pour en avoir le coeur net, nous avons entrepris une traversée des États-unis entre l’utah, destination touristique par excellence, et le Montana et l’idaho, deux des états les moins peuplés des US. La logistique ? Un pick-up Ford F150, le véhicule le plus courant au pays de l’oncle Sam, une tente de camping, une remorque et des Honda typiques de la famille américaine moyenne : deux CRF250X et une CRF230F. Les pilotes, deux teenagers de 14 et 17 ans accompagnés de leur vieux routard de père de 48 ans, représentent un échantillon assez large en termes d’endurance et d’expérience. Début juillet, empruntant une route sillonnée chaque année par des millions de touristes, nous commençons le périple en direction de Bryce Canyon dans l’utah…
L’utah, Disneyland de l’enduro
Pour notre première balade, à Kanab, nous demandons son avis à un loueur de quads installé près de la station-service où nous faisons le plein. Celui-ci nous donne une
« Suite aux orages estivaux, les traversées de rivières en crue sont courantes. »
carte et nous invite à emprunter le chemin qui part le long du parcours de golf. S’ensuit une scène un peu surréaliste où nous déchargeons nos motos d’enduro sur le parking qui borde l’herbe du 18e trou… Pas farouches les gens du coin ! Malheureusement, les pluies de la veille ont fait déborder les rivières et cette première rando se transforme en exercice de franchissement de cours d’eau, ce qui est parfaitement légal ici, et de roulage dans la boue. On croise deux jeunes chasseurs de 15 ans qui marchent pieds nus, le fusil en bandoulière et deux lapins dans la besace… On discute un moment. Notre présence à bord d’engins motorisés ne les surprend ni ne les gêne. À notre retour, le brave loueur nous prête son Kärcher. Difficile de faire plus accueillant comme entrée en matière ! On campe ensuite, gratuitement, à quelques kilomètres de Bryce Canyon, un des parcs nationaux les plus visités des USA. En effet, lorsque la carte indique BLM, ou Bureau of
Land Management, cela signifie que l’espace est public et qu’on peut y circuler mais aussi y camper en toute liberté. Pourquoi se priver ? Barbecue sous les étoiles, nuit réparatrice, on enchaîne avec deux jours de roulage facile sur des pistes larges et bien entretenues qui serpentent entre les formations rocheuses de toutes les couleurs. Une rando accessible, idéale pour prendre en main nos montures. Avaler des bornes de piste peut toutefois donner soif, que ce soit aux pilotes ou aux motos. Le ravitaillement ne pose pas de problème : la petite ville de Panguitch est
« OHV friendly », ce qui signifie que l’on peut y rouler sur une moto non homologuée, sans permis, quel que soit son âge. Autant dire que pour notre jeune pilote de 14 ans, traverser le centre-ville en toute légalité au milieu des voitures est une expérience inoubliable ! Les jours suivants, on continue vers le nord, utilisant les innombrables possibilités offertes dans l’utah. Le réseau de chemins d’arapeen, par exemple, relie quatre villes qui toutes accueillent les motos à bras ouverts. On avale 100 km de chemins par jour, entre single tracks de fond de vallées et pistes de montagne en altitude à plus de trois mille mètres. La plupart du temps, on ne croise personne, à l’exception de quelques vaches et moutons… La peur de se perdre est inexistante car tous les chemins sont numérotés et accompagnés d’un symbole de couleur pour annoncer la difficulté. Un travail énorme a été fait pour faciliter l’accès des montagnes à tous les niveaux de pilotage et ce, sur plus de 600 km ! Le fait d’évoluer en altitude impose de vérifier la météo car les orages sont fréquents l’après-midi. Mais au moins, il ne fait pas trop chaud et les risques d’incendies sont limités !
L’idaho en mode racing
Après ces quelques jours de randonnée idylliques dans une région où la moto est plus que bienvenue, on ressent le besoin d’aller voir ailleurs si l’herbe est aussi verte.
« Des milliers de kilomètres de chemins pour s’amuser sans arrière-pensée. »
Direction l’idaho, état très peu peuplé réputé pour ses cultures de pommes de terre. Une réputation qui n’en fait pas une destination touristique, et c’est tant mieux. Le week-end, le parc OHV de Baumgartner fait le plein de camping-cars. On craint de rouler sur des chemins saturés de motos et de quads, mais on se rend vite compte que les gens roulent en fait assez peu, passant la plupart de leur temps à l’ombre des caravanes en buvant un coup avec leurs potes. Tant mieux, car on ne pourrait pas se croiser : les chemins sont techniques, à flanc de colline. Pas question de vitesse ici mais de précision, alors qu’on enchaîne les petits franchissements à flanc de falaise. On apprécie la légèreté et la traction des CRF… Les cerfs jaillissent des fourrés à l’improviste et disparaissent en deux bonds gracieux. Eux n’ont pas de problème de traction ! La petite ville d’idaho City, qui n’a pas bougé ou si peu depuis la dernière ruée vers l’or, est située au milieu de collines boisées. Un arrêt au bureau des rangers permet de récupérer des cartes type IGN sur papier glacé et d’entendre un discours réconfortant :
« Vous pouvez camper où vous voulez, et toutes les routes et pistes marquées sur la carte sont autorisées pour vos motos non immatriculées. »
On se pincerait presque pour être certain de ne pas rêver… Installés au bord d’une rivière qui sert de piscine naturelle, oasis de fraîcheur bienvenue en ces jours de canicule, on enchaîne deux journées de roulage ultratechnique. En effet, les pilotes des teams enduro voulant s’assurer une sélection aux ISDE viennent rouler ici. Les chemins sont donc de très étroits single tracks parsemés de whoops, racines, cailloux. Là encore, le balisage avec les chemins numérotés correspondant à ceux indiqués sur la carte rend l’exploration facile. Il n’y a en revanche pas de code couleur : de toute façon, les chemins sont tous techniques… Les grimpettes sont plutôt méchantes mais jamais extrêmes, et l’expérience accumulée en Utah permet aux deux adolescents de tenir le coup sur ces balades bien plus physiques. À leur âge, on apprend vite, et les progrès dans ces zones techniques croissent à vue d’oeil. Quant aux pilotes expérimentés, ils se prennent au jeu car il y a de quoi se faire vraiment plaisir et exploiter la moto dans ses retranchements. On croise d’ailleurs trois pilotes semi-officiels venus tourner une vidéo, preuve de la qualité de l’environnement… Après deux journées fabuleuses, il est temps de se reposer pendant le long trajet jusqu’au Montana. Le ranger qui nous accueille à Kalispell, petite ville proche de la frontière du Canada, n’y connaît rien à la moto. Il nous fournit cinq cartes couvrant la région connue pour le parc national de Glacier, mais ne peut nous donner aucune indication sur l’état des chemins. C’est là que nous faisons une première erreur lourde de conséquences : un arrêt au magasin moto du coin aurait permis de sélectionner les meilleurs tracés, mais on
n’y pense pas. Après tout, jusqu’ici, tout allait bien, non ? D’ailleurs, la première journée ressemble à ce qu’on a vécu dans l’idaho avec du single track technique et de belles vues sur Ashley Lake. C’est le lendemain que tout dérape. Nous partons pour une boucle de 30 km dans la forêt de Hungry Horse, un nom qui aurait dû nous mettre en alerte, d’autant qu’on voit un ours noir imposant non loin du parking. Très vite, le tracé se fait exigeant avec un roulage à flanc de montagne et des cailloux qui imposent une attention de tous les instants. On apprendra plus tard qu’il s’agit d’un des parcours les plus techniques du Montana. Le paysage, magnifique, compense les efforts. Après 20 km, une grosse descente de torrent à sec qu’on ne pourrait jamais imaginer remonter nous emmène dans une nouvelle vallée. On franchit un premier tronc, puis un deuxième. On dirait que la dernière partie de la balade est moins entretenue… Les difficultés s’enchaînent, on doit souvent porter les motos sur des arbres couchés en travers du chemin. Les heures passent, les mètres se gagnent un à un. La nuit est tombée, les gourdes sont vides, on les remplit dans une flaque de neige. Eh oui, le système OHV permet de rouler en pleine nature, ce qui signifie qu’on peut être très loin de la civilisation et confronté à de vrais défis… À minuit, on finit par abandonner les motos. Nous ne sommes qu’à 5 km de l’arrivée mais les arbres couchés sont de plus en plus nombreux et rendent notre progression impossible. À pied, c’est déjà épuisant… On marche le reste de la nuit, en faisant du bruit pour éloigner les ours qui sont nombreux dans les parages, pour rejoindre le pick-up à l’aube… Coïncidence, en Europe, c’est le jour de la Romaniacs. Bon, au moins, on n’est pas les seuls à en baver ! Après cette nuit blanche et 24 heures de repos, on revient à pied avec les bottes de cross et une tronçonneuse, via un autre chemin. Il faudra une journée complète pour dégager la voie, et ce n’est que le lendemain qu’on pourra récupérer les motos. Une aventure extrême qui impressionne même les pilotes locaux, pourtant habitués. Eux savent bien que les rangers ne sont pas assez nombreux pour maintenir les chemins. Alors chaque été, ils refont tous les parcours avec leurs tronçonneuses. Pas de chance, ils avaient prévu de faire le nôtre la semaine suivante…
Ludique Oregon
Vaccinés par cette expérience dans les espaces quasi vierges du Montana, et après avoir fait un peu de paddleboard sur un lac de montagne histoire de se relaxer, nous voici sur la route du retour. L’oregon, comme la Californie, est en proie à de violents incendies et le ciel blanchâtre filtre la lumière du soleil. On roule au sud de Bend, ville assez chic recherchée par les start-up émigrant de la Silicon Valley. Camping dans les bois, et surprise lorsqu’on entre dans le premier chemin : le balisage est parfait, avec