Moto Verte

Objectif sécurité en vue du Dakar 2021…

- Par Claude de la Chapelle - photos KTM, DR

Contre vents (de sable) et marées, depuis 42 ans, le Dakar trace sa route d’un continent à l’autre, fidèle à l’idée de Thierry Sabine qui déclarait dans le règlement de 1982 « passionner ceux qui partent en faisant vibrer ceux qui restent ». Mais aujourd’hui, aventure rime avec une sécurité plus accrue. Un vaste chantier devenu prioritair­e auquel s’attaque ASO pour l’édition 2021.

Dans l’esprit de Thierry Sabine, le Dakar se voulait une transat des sables calquée sur les grandes courses de voile transatlan­tiques, dans le sillage des deux éditions du rallye Abidjan-Nice organisées par Jean-Claude Bertrand où, lors de la seconde, il faillit y laisser la vie. Le premier Dakar fut lancé fin décembre 1978 avec beaucoup d’enthousias­me, d’énergie et un brin de folie. L’organisati­on était approximat­ive, faute d’expérience et de moyens financiers. La sécurité était réduite à sa plus simple expression : six médecins et cinq infirmière­s répartis dans cinq voitures : trois breaks Peugeot 504, un Toyota et une Renault 12 Simpar (4x4). L’une des voitures cassera, l’autre finira sur le toit. Côté concurrent­s, le règlement impose deux litres d’eau, une couverture de survie, une boussole, des fusées de détresse, un compas/boussole et la carte Michelin de l’Afrique n° 153 au 1/400 000e, seule informatio­n disponible sur le parcours. 170 concurrent­s autosmotos-camions (chiffre Moto Verte, certains évoquent 182 concurrent­s) étaient au départ, une centaine ne verra pas le Lac Rose. Dès cette première édition, le Dakar fait parler de lui (un mort, des blessés qui attendent parfois des dizaines d’heures leur rapatrieme­nt…) et s’attire les foudres de certains médias toujours prompts à critiquer à tout-va. Jean-Claude Olivier, le patron de Sonauto-Yamaha, s’exprime dans les pages de Moto Verte et résume la situation : « Je voudrais d’abord citer un point positif : grâce à ce rallye, j’ai découvert quelque chose que je ne connaissai­s pas, une autre vie, une grande aventure. Et ça, c’est important. Mais il y a beaucoup de négatif : aucune rigueur dans l’organisati­on, le règlement bafoué à chaque étape… » Tout en suscitant toujours un peu la polémique au gré des incidents et des accidents, le Dakar ne va cesser d’évoluer et de gommer ses défauts de jeunesse. Autant dire qu’entre 1979 et aujourd’hui, c’est le jour et la nuit, tant au niveau de la préparatio­n des pilotes, de leur confort en course et au bivouac, que de la préparatio­n des motos et des moyens déployés pour

le bon déroulemen­t de l’épreuve. Deux technologi­es ont permis au Dakar de passer un cap pour la protection des pilotes. Le système Iritrak (boîtier solidaire du GPS) qui permet de connaître la position de la moto. En cas de ralentisse­ment, d’arrêt brutal de la machine, de chute à basse vitesse (décelée par un inclinomèt­re), une alerte est envoyée au PC course qui contacte le pilote. S’il ne répond pas, les secours intervienn­ent immédiatem­ent. Le système Sentinel (depuis 2011) est un émetteur/ récepteur relié à un buzzer placé dans la tête de fourche de la moto. Lorsqu’un véhicule se rapproche d’une moto, il signale sa présence en appuyant sur un bouton qui avertit le motard qui peut, lui aussi par exemple, victime d’une chute derrière une dune, prévenir les concurrent­s qui arrivent. Notez aussi que chaque moto est dotée d’une balise de détresse (jaune) à déclenchem­ent manuel permettant au PC course de connaître ses coordonnée­s GPS en temps réel. Si la sécurité du Dakar n’a cessé de s’améliorer, elle ne peut malheureus­ement pas assurer une totale intégrité des pilotes, en témoignent les décès de Paulo Goncalvez et Edwin Straver en janvier 2020. Portant une attention toute particuliè­re aux motards, les plus

La sécurité du Dakar 2021 : 6 hélicos, 1 avion sanitaire, 3 avions relais radio, 25 véhicules au sol!

vulnérable­s sur le rallye, David Castera et Thierry Viardot, ex-pilotes de haut niveau, entendent hausser le curseur des mesures permettant de mieux les protéger pour l’édition 2021 qui formera une boucle, en Arabie Saoudite pour la deuxième année consécutiv­e, autour de Jeddah, dans les terres, puis le long de la mer, du 3 au 15 janvier. Douze jours avec journée de repos et étape marathon pour 8 000 km de course dont 5 000 km de spéciales. Pour David Castera, le boss du Dakar, les choses sont claires : « L’organisati­on seule ne peut être responsabl­e de la sécurité des concurrent­s. Les pilotes, les teams managers, doivent accepter de faire des concession­s pour que, tous ensemble, nous relevions ce défi. »

La vitesse, c’est dépassé

Pour accroître la sécurité, Amaury Sport Organisati­on a dévoilé une batterie de dispositio­ns applicable­s en janvier 2021. « Chacune de ces mesures, prise seule, peut sembler peu efficace, mais toutes réunies, elles permettron­t de réduire de manière significat­ive la vitesse des pilotes », annonce, en préambule, David Castera. Le nombre de pneus mis à dispositio­n des pilotes est désormais limité à six pour les douze étapes, alors qu’auparavant, chaque pilote disposait de trois gommes arrière et deux gommes avant différente­s par jour selon le profil des étapes (rocaille, sable, mixte…), ce qui obligeait les teams à transporte­r une quantité impression­nante de pneus (une trentaine de roues montées et une dizaine de pneus en rab par pilote). Une mesure qui fera faire des économies aux teams (moins de véhicules, c’est aussi plus écolo dans l’air du temps) et ne concerne que les meilleurs pilotes, une quarantain­e, engagés en catégorie Élite (classés dans le top 10 ces dernières années ou ayant remporté, a minima, une spéciale, hors prologue) et Prioritair­e (les seconds couteaux, ayant réalisé de bonnes perfs sur les derniers Dakar, à l’appréciati­on d’ASO), obligés ainsi, pour préserver leurs gommes, de rendre les gaz. Les pneus seront marqués lors du contrôle technique, évitant ainsi une permutatio­n entre concurrent­s ou entre pilotes de pointe et porteurs d’eau. Une pénalité de trente minutes sera appliquée pour chaque pneu utilisé en plus de la dotation et d’une heure en cas de non conformité. À l’avenir, pour que tous les pilotes soient sur un pied d’égalité avec des gommes identiques, on pourrait aussi imaginer la fourniture de pneus par un seul manufactur­ier pour l’ensemble du plateau, comme cela se fait dans certaines discipline­s. À voir… Il ne sera désormais possible de changer qu’une seule fois le piston durant l’épreuve, faute de quoi une pénalité de dix minutes sera appliquée. « Certains teams ont changé trois pistons, d’autres le font par sécurité, à mi-course. L’idée, c’est qu’en cas de doute, ils préfèrent réduire la performanc­e de la moto en baissant le régime moteur, par exemple, quitte à perdre un peu en performanc­e, plutôt que de se prendre une pénalité », plaide Thierry Viardot. Ce qu’il ne dit pas et que l’on peut aisément imaginer, c’est que cette dispositio­n se durcisse dans les années à venir et que soit appliquée une pénalité dès le premier changement de piston, ce qui

La limitation à six pneus pour douze étapes est un signe fort qui devrait freiner les ardeurs des pilotes…

obligerait les constructe­urs à fiabiliser un peu plus les moteurs au détriment de la puissance pure. Ce qui équivaudra­it à revenir aux racines du Dakar, une épreuve d’endurance, ce qu’elle est de moins en moins. À suivre… Dans le même esprit, afin de préserver la machine et donc de piloter d’une main de velours en ne tirant pas sur la mécanique comme un âne avec le risque de mettre la cabane sur le chien, il ne sera plus permis aux pilotes d’intervenir sur la moto, hormis au niveau du road-book, lors des ravitaille­ments en essence de quinze minutes, faute de quoi, ils écoperont d’une pénalité. Et l’on peut faire confiance aux top teams pour se surveiller mutuelleme­nt et éventuelle­ment porter réclamatio­n en cas de faux pas. ASO affiche sa volonté de tracer un parcours qui privilégie la navigation, la recherche de waypoints obligeant les pilotes à ralentir afin de ne pas les rater. Cela les incitera aussi à rester dans le « corridor de sécurité » reconnu et validé par les ouvreurs, lors des évolutions hors piste. Autre décision également, privilégie­r des parcours plus techniques où les pilotes ne roulent pas au taquet. En 2020, l’organisati­on a enregistré chaque jour les records de vitesse en course : 186 km/h chez les pros et quand même 175 km/h chez les privés, sur des 450 cm3, c’est impression­nant. Pour sécuriser les pilotes, le road-book qui sera distribué seulement le matin (et non plus la veille), avec les inscriptio­ns déjà en couleurs (un gain de temps et de sommeil et les mêmes infos au même moment pour tous les concurrent­s) sera doublé d’alertes sonores. Lorsque le road-book annonce Danger 2 et Danger 3 (!! et !!!), 200 mètres avant ceux-ci, le pilote sera alors averti, permettant à celui qui manquait de concentrat­ion de se ressaisir et de s’y préparer. Leur vitesse pourra être limitée à 90 km/h dans certaines zones à risque. Autre nouveauté pour 2021, l’obligation pour les motards de suivre une formation aux premiers secours selon un protocole qui n’est pas encore défini car il convient de mettre en place un enseigneme­nt identique pour les concurrent­s du monde entier. Enfin, LA grosse nouveauté, c’est le port d’un gilet ou d’une veste airbag, comme cela se fait de manière obligatoir­e en MotoGP et de plus en plus par les motards lambda car son efficacité n’est plus à démontrer. Plusieurs équipement­iers (Alpinestar­s, Dainese, Furygan…) sont impliqués dans cette évolution, ainsi que certaines sociétés spécialisé­es dans la technologi­e airbag comme le Français In&Motion implanté à Annecy qui conçoit des systèmes de protection­s airbag embarqués équipant les pilotes de vitesse, des skieurs et des cavaliers. Des capteurs et un algorithme (1 000 analyses par seconde) mesurent les mouvements du pilote en étant capables de déceler un déséquilib­re irrécupéra­ble et d’anticiper un impact. Le déclenchem­ent

de l’airbag s’effectue en moins de 60 millisecon­des (0,06 s) afin de protéger les zones les plus sensibles du corps avant qu’il ne touche le sol. Chaque pilote devra emporter une cartouche de gaz de rechange et pourra en obtenir de nouvelles au bivouac chaque soir. Plus nombreux seront les utilisateu­rs, plus les données seront riches et l’algorithme s’affinera. La technologi­e airbag ne vient pas remplacer, mais s’ajouter aux habituelle­s protection­s utilisées par les pilotes. Il y a fort à parier que fort de l’expérience du Dakar, on voit cette avancée technique importante s’imposer dans les années à venir en enduro, motocross, VTT…

Une puissance réduite?

Du fait de la pandémie liée à la Covid-19, ASO n’a pu mener à terme toutes ses initiative­s car, pour que tous les acteurs du rallye adhèrent aux nouvelles mesures et jouent le jeu en les appliquant avec sincérité, il convient d’avoir un temps d’échange avec les constructe­urs, les teams, les top pilotes, sans oublier de prendre en considérat­ion le point de vue des amateurs représenté­s par le Jurassien Benjamin Melot, 30 ans, six Dakar à son actif, en tant que mécanicien de Cyril Despres (KTM) et comme pilote, 34e du Dakar 2020 en catégorie Original by Motul, ex-malle moto. « La difficulté, c’est de faire en sorte que tous les concurrent­s aient droit au même niveau de sécurité, et pas seulement les pilotes officiels qui disposent de plus de moyens techniques et financiers », explique Thierry Viardot. Bien que le Dakar ne soit pas inscrit au calendrier FIM, la force et la pertinence des propositio­ns d’ASO ont un effet locomotive sur les autres rallyes, dont ceux du championna­t du monde. Prochain chantier de l’organisati­on, le remplaceme­nt du traditionn­el dérouleur de road-book par des tablettes de navigation (dans lesquelles les infos pourront être modifiées jusqu’au dernier moment alors que l’actuel roadbook nécessite 17 heures d’impression) produites en Bretagne par ERTF (qui gère déjà le système Sentinel) et qui assurera le service après-vente sur le bivouac. Les autos, SSV, camions en bénéficier­ont dès 2021, mais il faudra attendre 2022 pour les motos et quads, les tests de fiabilité étant plus exigeants du fait des vibrations, de la poussière, de la boue, de l’eau, des chutes. « Depuis les débuts du Dakar, le dérouleur est une verrue très agressive sur la moto qui agit comme un mur en cas de chute. Les pilotes les percutent et les écrasent avec de gros dommages au niveau des côtes, du thorax, parfois de la tête. Pour l’édition 2021, et en attendant les tablettes, j’ai demandé aux teams dont KTM de travailler sur des mousses

La réduction de la puissance est dans les tuyaux avec des solutions déjà testées. Ce sera pour 2022.

de protection permettant d’atténuer l’impact en cas de chute. KTM fournissan­t l’essentiel du plateau des privés, une majorité de pilotes pourra en bénéficier pour un coût peu élevé », avoue Thierry Viardot. Autre sujet d’importance : la réduction de la performanc­e, un dossier complexe car on touche là à l’essence même de la moto, son moteur, ce qui fait sa valeur et sa réputation. « Les accidents se produisent en dessous de 110 km/h. On pourrait limiter la vitesse à 150 km/h mais du coup, les motos tireraient plus court, accélérera­ient plus fort, plus vite et ce serait tout aussi dangereux. La piste retenue est, comme dans beaucoup de sports mécaniques, une bride en réduisant le diamètre du papillon d’accélérate­ur, une solution qui est déjà en test et qui permettrai­t de ramener la puissance des 450 d’environ 60 chevaux à 50 chevaux. » Il convient enfin de préparer l’avenir avec des motorisati­ons électrique­s et à hydrogène, ce qui implique de revoir le règlement, l’autonomie, les ravitaille­ments. Si leur nombre augmente, peut-être les motos pourraient-elles alors avoir des réservoirs un peu plus petits. Mais le Dakar doit rester le Dakar, une épreuve de référence, la plus magique et difficile du monde, longue, éprouvante, épuisante, et non une baja géante. Avec David Castera et Thierry Viardot aux commandes, l’ADN du Dakar demeurera, n’en doutons pas, car ils sont les garants d’une certaine idée de la moto où le plaisir est intimement lié à la liberté d’évoluer et au pilotage avec la cohorte d’émotions qu’il procure lorsque, mené tambour battant, il devient un art.

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 ??  ?? Objectif d’ASO : réduire la vitesse des motos qui atteignent près de 190 km/h pour les meilleures, en abaissant la puissance et en imposant de nouvelles mesures.
Objectif d’ASO : réduire la vitesse des motos qui atteignent près de 190 km/h pour les meilleures, en abaissant la puissance et en imposant de nouvelles mesures.
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 ??  ?? La technologi­e airbag, grâce à 1 000 analyses/seconde, détecte les déséquilib­res irrémédiab­les et se déclenche en 60 millisecon­des. Elle devrait se généralise­r en off road…
La technologi­e airbag, grâce à 1 000 analyses/seconde, détecte les déséquilib­res irrémédiab­les et se déclenche en 60 millisecon­des. Elle devrait se généralise­r en off road…
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 ??  ?? Pour 2021, David Castera entend privilégie­r un tracé plus technique, rythmé par une navigation complexe obligeant les pilotes à « ralentir » pour ne pas les rater.
Pour 2021, David Castera entend privilégie­r un tracé plus technique, rythmé par une navigation complexe obligeant les pilotes à « ralentir » pour ne pas les rater.
 ??  ?? Le gros dérouleur de road-book, très agressif en cas de chute, vit ses dernières heures. Il sera remplacé en 2022 par une tablette de navigation.
Le gros dérouleur de road-book, très agressif en cas de chute, vit ses dernières heures. Il sera remplacé en 2022 par une tablette de navigation.
 ??  ?? En 2022, les motards qui ne perdront plus des heures à potasser le road-book le soir au bivouac découvriro­nt le tracé, le matin, peu de temps avant le départ, tous logés à la même enseigne.
En 2022, les motards qui ne perdront plus des heures à potasser le road-book le soir au bivouac découvriro­nt le tracé, le matin, peu de temps avant le départ, tous logés à la même enseigne.
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227 x 142 mm fabriquée en Bretagne par ERTF.
Le road-book de 2022 sera une tablette de 227 x 142 mm fabriquée en Bretagne par ERTF.
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 ??  ?? La mesure la plus simple et la moins coûteuse pour réduire la puissance, c’est la bride, ici au niveau du papillon d’accélérate­ur.
La mesure la plus simple et la moins coûteuse pour réduire la puissance, c’est la bride, ici au niveau du papillon d’accélérate­ur.
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