Moto Verte

Jorge Prado, nouvel homme fort en 2021 ?

- PAR PASCAL HAUDIQUERT

Double champion du monde MX2, Jorge Prado n’a pas, comme l’avaient fait avant lui Febvre ou Gajser, conquis le titre suprême dès son arrivée dans la catégorie reine. Mais le jeune Espagnol a réussi une excellente entrée en matière. On l’a rencontré à Mantova, juste avant qu’il ne se blesse légèrement…

► Jorge, nous voici à Mantova, une piste dont tu as des souvenirs mixtes je pense ? « C’est une piste où j’ai globalemen­t de bons souvenirs, comme en 2019 lors des Internatio­naux d’Italie, une de ces courses où tu as de super sensations. L’an passé, je garde aussi de bons souvenirs du triple GP, même si je n’abordais pas cette épreuve à 100 % puisque je revenais de blessure. Je me suis battu devant dans toutes les manches, c’est une piste qui m’a toujours plutôt réussi. »

► Tu as accepté la pénalité infligée pour avoir sauté sous drapeau jaune ce qui t’a fait perdre la victoire lors du premier des trois GP disputés ici?

« J’ai bien dû l’accepter ! Ce fut bizarre, j’étais sur la première marche du podium qui a été fait juste après l’arrivée, puis un peu plus tard, on a dû refaire ce podium mais je n’étais plus que sur la troisième marche. Ce qui est arrivé n’était vraiment pas de ma faute.

En tant que pilote, et comme 99 % des pilotes, j’ai toujours respecté un drapeau jaune. Je ne vais pas mettre ma santé ou celle d’un autre pilote en danger en sautant alors qu’un danger est signalé. Le problème, c’est que le commissair­e était dans une position telle que je ne pouvais pas le voir en sortant du virage. Je n’ai pas réagi parce que je n’ai vu le drapeau qu’une fois en l’air et quand j’ai atterri, je me doutais que j’aurais une pénalité à l’arrivée. D’autres pilotes ont aussi sauté car ils n’ont pas vu le drapeau. Ce sont des choses qui arrivent et ce que je ne comprends pas forcément, c’est que les pilotes soient pénalisés alors que ce n’est pas notre faute à nous. C’est une faute de l’organisati­on qui ne place ses commissair­es aux bons endroits. Ce n’est pas réglo mais que puis-je y faire ? »

► Revenons sur cette saison 2020 qui fut spéciale entre les blessures, la Covid et un calendrier mouvementé. Pas évidente cette première saison en MXGP ?

« Je dois dire que pour moi, 2020 fut quand même une bonne saison après ce qui m’est arrivé durant l’hiver. Après ma fracture du fémur, ce fut un sacré challenge d’être quand même au départ du premier GP. Je ne sais pas si beaucoup de pilotes auraient pu le faire. Deux mois après mon opération du fémur, qui reste une grosse opération, je termine dixième du GP sans avoir pu m’entraîner, ce qui est quand même pas mal ! Je n’ai pas pu m’entraîner de l’hiver, je n’avais quasiment pas roulé en 450 car tant que je faisais le Mondial MX2, je n’ai quasiment jamais roulé en 450, même pour le fun. Après il y a eu le confinemen­t, et avant que la saison ne reprenne en Lettonie, je me fracture la clavicule… Nouvelle opération, nouvelle pause dans l’entraîneme­nt, et retour sans être à 100 %. Malgré cela, je crois pouvoir dire que j’ai fait de belles courses avec un premier podium à Kegums 3.

J’ai gagné à Faenza, à Madrid, à Lommel, et je suis revenu dans la course au podium final puisqu’après avoir gagné le deuxième des trois GP de Lommel, j’étais troisième du Mondial, à deux points de Cairoli. Malheureus­ement, tout s’est arrêté là puisque du fait du Covid je n’ai pas pu disputer les quatre derniers GP, mais ce fut quand même une belle saison. »

► Les docteurs ont été surpris de la vitesse à laquelle tu as récupéré de tes blessures?

« Oui ! Tout le monde a été surpris.

Une fracture de la clavicule, c’est assez classique. Ils m’ont mis une plaque et j’ai récupéré assez vite. Le fémur, c’était autre chose. C’est un gros os avec beaucoup de muscles autour, des muscles qui ont été touchés dans la chute. Je dois dire qu’aussitôt l’opération terminée, les docteurs étaient optimistes, ce qui n’est pas toujours le cas. Quand je me suis réveillé après l’opération, le chirurgien m’a dit : “L’opération s’est parfaiteme­nt déroulée, vous pouvez marcher avec vos béquilles. Nous savons combien votre sport est difficile, nous avons mis une bonne plaque sur votre fémur et l’on a fait tout pour que vous puissiez reprendre rapidement.”

Depuis ce jour-là, j’ai bossé fort tous les jours, avec pour objectif de revenir le plus vite possible sur la moto et deux mois plus tard, j’étais au départ du premier GP. »

► Tu as eu quelques blessures depuis tes débuts en motocross. Celle-ci estelle liée au 450?

« Je n’ai pas eu quelques blessures, j’en ai eu beaucoup ! Quatre clavicules, le tibia, des doigts, le fémur… Pour moi, cette blessure n’est pas liée au fait que je roulais en 450 mais je sais que beaucoup de gens le pensent. Il faut savoir que je ne roule jamais au-dessus de 100 %, je roule toujours avec une petite réserve pour éviter les erreurs et les chutes. Mais chacun sait que ce sport est difficile, et

« MÊME SI J’AVAIS EU LA POSSIBILIT­É DE RESTER UN AN DE PLUS EN MX2, JE NE L’AURAIS PAS FAIT. »

qu’une petite faute peut avoir de grosses conséquenc­es. »

► Tu t’es rapidement adapté à la 450?

« Oui. Comme je l’ai déjà dit, je n’avais jamais roulé en 450, mis à part une journée à Malagrotta avant mon second titre mondial afin de me préparer pour le MX des Nations. Mon style de pilotage convient plutôt bien à cette cylindrée parce que je ne suis pas agressif. La 450 me convient mieux que la 250. »

► La règle des deux titres conquis en MX2 t’a obligé à passer en 450 à seulement dix-neuf ans. Déçu?

« Non. Même si j’avais eu la possibilit­é de rester une année de plus en MX2, je ne l’aurais pas fait. Si j’étais resté en MX2, je n’aurais pas progressé en 2020 autant que je l’ai fait en passant en 450. Je ne suis pas un pilote qui cherche à gagner à tout prix, y compris dans une catégorie où la compétitio­n est moins serrée. Si j’étais resté en MX2, la compétitio­n n’aurait pas été aussi intense. Mon objectif est toujours d’être meilleur que je ne l’étais l’année d’avant, meilleur que je ne l’étais hier. La décision était claire, je voulais monter en 450 et je suis convaincu que c’était la meilleure décision. »

► Doit-on en déduire qu’on ne te verra pas rouler en MXGP pendant dix ans?

« Mon objectif majeur n’est pas de gagner un maximum de titres. Ce que j’aime, c’est prendre du plaisir sur une moto et bien sûr, si je suis derrière une grille, c’est de gagner. Je le répète, je veux chaque jour être meilleur que je ne l’étais la veille, je veux progresser. Je ne sais pas ce que l’avenir me réserve. Pour l’instant, je prends du plaisir à faire ce que je fais. Peut-être qu’un jour je voudrai faire quelque chose de différent, je ne sais pas. »

► Tu as débuté en trial, puis tu es passé au motocross, what else? Moto GP?

« Pourquoi pas ? Quand j’étais petit, j’ai roulé en vitesse et j’aimais bien, mais moins que le motocross. C’étais avant que je signe mon premier contrat avec KTM. »

► En 2017 lors d’une interview, tu m’avais dit que tu rêvais d’aller faire du Supercross aux États-Unis. C’est toujours le cas?

« C’était effectivem­ent mon rêve, mais depuis les choses ont changé. En 2018, j’ai décroché le titre MX2, je suis passé dans le team De Carli et je me sens bien en Italie. Ma vie a changé, dans le bon sens. Je me sens comme chez moi en Italie et pour l’instant, je n’ai pas envie de changer à nouveau. Je suis dans un bon team, j’ai de bonnes personnes autour de moi, pourquoi changer pour avoir moins bien, pour aller vivre dans un endroit où je serai peut-être moins bien ? J’ai une longue carrière devant moi. Dans le futur peut-être que j’irai faire du SX aux USA, pourquoi pas ? »

► Quand Claudio De Carli t’a approché pour intégrer son team, quelle a été ta réaction ?

« En 2017, j’allais encore à l’école et ce fut une saison difficile avec des hauts et des bas. C’était compliqué d’être concentré sur un objectif. J’ai gagné quelques GP, fait des top cinq, mais il y a aussi quelques courses que je n’ai pas terminées. L’idée d’aller chez De Carli est venue aussi de KTM. Ils ont pensé que De Carli pourrait m’aider. À l’origine, il n’était pas prévu que j’aille vivre en Italie mais d’entrée de jeu, Claudio m’a dit qu’il n’allait pas être mon entraîneur, que ce n’était pas son métier, mais qu’il pouvait m’aider au quotidien. J’ai fait mes valises pour partir deux semaines en Italie et en fait, je n’en suis pas reparti, c’est assez fou ! Il ne m’a pas seulement aidé côté physique, il m’a aidé dans tous les domaines et c’était vraiment une bonne décision que d’aller là-bas. »

► Tu as aussi trouvé un grand frère là-bas avec Davide De Carli ?

« Davide a vraiment été une personne clé, dès mon arrivée chez eux et encore aujourd’hui. Au début, il était comme un frère, on s’entraînait tous les jours ensemble, c’était un vrai sparing partner et même si je suis toujours motivé, il m’a donné une extra-motivation. »

► La catégorie MXGP est vraiment différente du MX2 ?

(réflexion) « Oui, bien sûr, c’est différent. Il y a beaucoup de pilotes qui ont une énorme expérience, ils sont tous très forts physiqueme­nt si bien que tu dois vraiment être toi-même à 100 % de ce côté-là.

Les départs sont primordiau­x et en MXGP il y a beaucoup de pilotes qui savent très bien partir ! Il y a plus de technologi­e sur les motos, ce qui aide aussi certains pilotes à être meilleurs dans cet exercice. Je dirais que l’autre grande différence, c’est la vitesse et le rythme, surtout en fin de

« C’ÉTAIT EFFECTIVEM­ENT MON RÊVE DE ROULER AUX US MAIS LES CHOSES ONT CHANGÉ… »

seconde manche. Le rythme ne baisse jamais. En 250, c’était différent. En 2018, j’ai dû me battre pour décrocher le titre mais en 2019, la compétitio­n était moins intense et j’ai dû me concentrer sur moi-même et éviter de faire des erreurs. En MXGP, tu dois être à 100 % à chaque tour, et bien sûr gagner en MXGP est une énorme satisfacti­on. »

► Tu partais très bien en MX2. Tu pars toujours bien en MXGP et pourtant, tu m’avais confié ne pas t’entraîner spécifique­ment pour les départs ?

(sourires) « En 450, c’est un peu différent. J’ai dû m’adapter à ma nouvelle moto et j’ai un peu plus travaillé mes départs. Mais rien d’exceptionn­el, je fais quelques départs la veille d’une course pour retrouver les automatism­es, rien de plus. »

► Ta saison 2020 a été stoppée brutalemen­t quand tu as été déclaré positif à la Covid entre Lommel 2 et Lommel 3. Ce fut un sacré choc non?

« Oui, un très gros choc. J’ai fait tout ce qui était possible pour ne pas être infecté. Ma vie, c’était entraîneme­nt, maison, entraîneme­nt, maison et rien d’autre. J’étais toujours avec les mêmes personnes, et de tout le groupe, je suis le seul à l’avoir attrapé. Comment ? Je n’en sais rien ! C’est incroyable, je n’ai toujours pas compris. Je sais juste qu’après les courses de Lommel 1 et de Lommel 2, j’étais plus fatigué que de coutume, je l’ai d’ailleurs dit lors des interviews d’après course. J’avais un peu de fièvre, mais comme il faisait frais quand on est rentré en Belgique, je me suis dit que j’avais pris froid. Quand on m’a dit que j’avais la Covid, j’ai compris pourquoi j’avais ces soucis en course. »

► Ce fut dur de récupérer?

« J’ai perdu le goût et l’odeur, puis j’ai eu un problème aux poumons. Cela me gênait aussi en course pour respirer mais encore une fois, je pensais que j’avais pris froid. Pendant un mois et demi, je n’ai pas pu faire de sport à cause des poumons mais aujourd’hui, c’est du passé. Je suis en forme, je m’entraîne comme avant, je n’ai plus de symptômes. »

► Comment cela se passe avec Cairoli? Un autre grand frère? Un équipier? Un rival?

« La relation est bonne, même si c’est toujours différent quand tu roules dans la même catégorie que ton équipier. Il m’a bien aidé quand je suis arrivé en Italie, quand on s’entraînait ensemble, j’avais une référence avec lui, il m’a aidé à prendre de la vitesse avec ma 250. Aujourd’hui, c’est bien de l’avoir en équipier, mais on s’entraîne moins souvent ensemble. »

► Tu viens de fêter ton 20e anniversai­re, Antonio en a 35. Tu t’imagines courir encore dans quinze ans?

« Je pense qu’il est toujours en forme. Regarde les cyclistes de haut niveau, ils restent longtemps compétitif­s même si aujourd’hui quelques jeunes comme Van der Poel émergent. Antonio n’a pas eu trop de blessures dans sa carrière. Physiqueme­nt il est très fort et mentalemen­t pareil. Il aime vraiment son sport. Je pense que c’est ce qui l’aide à être toujours en GP aujourd’hui. Je ne sais pas combien de saisons il a déjà faites en MXGP, c’est impression­nant et c’est une source d’inspiratio­n pour beaucoup de personnes. En ce qui me concerne, je suis concentré à 100 % sur le motocross, après on verra. Je suis “open” mais j’aime tellement mon sport que je ne vois pas trop quoi faire d’autre. » (rires)

« J’AIME TELLEMENT MON SPORT QUE JE NE VOIS PAS TROP QUOI FAIRE D’AUTRE… »

► Beaucoup de stars du MotoGP sont espagnoles. Tu arrives à te faire une place dans les médias ?

« C’est difficile car en Espagne, il y a beaucoup d’athlètes de très haut niveau, dans beaucoup de sports. MotoGP, tennis, football, le motocross reste un petit sport et du coup, c’est assez difficile d’exister dans les médias. Mes deux titres MX2 ont aidé, ça se voit notamment sur les pistes de motocross où il y a beaucoup de jeunes qui se sont mis à pratiquer.

Ils ont vu qu’un Espagnol pouvait gagner des GP ! Cette année, dans toutes les catégories du championna­t d’Espagne, les grilles de départ sont pleines, les courses sont diffusées à la télévision, les pistes sont mieux préparées et tout cela est positif. La Fédération fait du bon boulot. Si je remporte un jour le titre MXGP, le motocross fera encore un bond en avant en Espagne. »

► Gagner le MXGP d’Espagne à Madrid fut un grand moment?

« Ce fut un succès important ! Ce sera encore mieux quand on pourra avoir du public en bord de piste, croisons les doigts pour que cela arrive assez vite ! »

► Tu as 20 ans, tu es pilote profession­nel depuis bientôt dix ans!

« Non, je t’arrête. Je ne suis profession­nel que depuis 2018, quand j’ai arrêté l’école. »

► Oui, mais tu es sous contrat avec KTM depuis que tu as décroché un titre 65! Tu n’as pas eu la vie des jeunes de ton âge, aucun regret?

« Cela fait effectivem­ent neuf ans que je suis pilote KTM ! Mais pour en revenir à ta question, mon cas est différent de bien des jeunes pilotes qui vivent comme des profession­nels très jeunes. Moi, je suis allé à l’école jusqu’en 2018. J’y allais tous les jours, hormis certaines journées où je devais voyager pour aller sur les courses, et je n’avais pas la possibilit­é de m’entraîner comme certains de mes adversaire­s. Mais je ne regrette rien, je fais ce que j’aime, à savoir m’entraîner, faire de la moto. Je suis heureux de la vie que je mène ! »

► On ne sait pas vraiment quand la saison va débuter. C’est dur à vivre pour un sportif?

« Oui, c’est compliqué même si pour moi c’est bien qu’on ait du temps devant nous car j’ai besoin de rouler en 450, de tester pour être vraiment prêt. Si le championna­t commence fin avril, c’est super. S’il commence plus tard, cela signifie qu’on fera des courses très tard dans l’année avec des risques côté conditions météo. L’an passé, on a déjà eu un peu de mal avec le soleil couchant en seconde manche, et ce serait bien de finir le championna­t pas trop tard. »

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 ??  ?? Les départs, l’une des grandes spécialité­s de Jorge Prado. Efficace en 250 comme en 450 désormais…
Les départs, l’une des grandes spécialité­s de Jorge Prado. Efficace en 250 comme en 450 désormais…
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Jorge Prado s’est fait une grosse frayeur à Mantova en chutant mais rien de grave heureuseme­nt…
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Jorge Prado a trouvé une seconde famille en Italie chez Claudio de Carli qui coache aussi Antonio Cairoli.

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