TEST FRANCHISSEMENT
Le team MV à l’assaut de l’extrême…
Extrême, franchissement, hard enduro… Tu peux l’appeler comme tu veux, ça reste un truc de dingue. Pour s’en rendre compte, on a donné rendez-vous à Paul Bury, le meilleur grimpeur français, au domaine de Rochepaule en Ardèche. Et là, on a bien rigolé ! Récit.
« À LA FOIS TRIALISTE PATENTÉ ET MEILLEUR FRANCHISSEUR TRICOLORE, LE SAVOYARD. »
Rochepaule, tu connais ? Dommage si c’est pas le cas. Parce que l’endroit vaut l’enfer (mauvais jeu de mots, mais véritable paradis toutterrain). Rochepaule, c’est un spot de 350 hectares de forêts en Ardèche, à forte pente, qui s’étalent sur trois vallées sauvages, le tout dominé par une ancienne ferme transformée en gîte-bar-restaurant-atelier. Olivier, le boss actuel, y reçoit enduristes et trialistes tous les jours de la semaine entre avril et novembre. Quinze balles la journée et tu roules sur des parcours et des zones fléchés, tracés par quelques noms de l’équilibre et du franchissement. Un spot de dingue en altitude, quasi montagnard dans ses sous-bois de feuillus et pins, ses pierriers, ses cascades et ses chemins de chèvres qui serpentent de tous les côtés. Déjà, la route qui t’amène là est un poème. Mi-avril, des traces de neige traînent çà et là après un hiver avec 70 cm à peu près partout aux dires d’Olivier. On est à 1 100 mètres d’altitude et ça pique encore quand on se change près des véhicules, Guédaro et moi. Paul Bury et son suiveur Jérémy de chez Atomic Moto sont quasi prêts, en train de fignoler la 300 GasGas de Polo Burette (le surnom du n° 1 français du hard enduro).
Polo est aussi sympa et timide dans la vie que teigneux et tenace au guidon. Montagnard un peu taiseux (il est de Haute-Savoie) mais affûté et expérimenté (15 ans de trial, plusieurs titres français, il a évolué en Mondial 125 avant de passer à l’enduro). Kevin de chez KTM France nous a amené une GasGas 300 EC et une GasGas 250 TXT. Une enduro et une trial. Pourquoi ? Pour voir ce que vaut le franchissement sur une moto sans selle et ce qu’on vaut, nous, sur une enduro dans des zones de trial (ou assimilées). Polo Bury sera notre guide, notre maître, notre référence. À la fois trialiste patenté et meilleur enduriste franchisseur tricolore (deux fois vainqueur du Challenge Extrême).
Genou de vieille
On fait un peu le tour des motos après un café digestif et avant de se lancer dans les sapins. La Gas de Polo est
joliment préparée, avec suspattes WP mixant du Kayaba et du BPRS, échappement FMF, protections de partout, réglage de valve S3, ventilo et sabot long. La 300 EC de série paraît un peu nue à côté, sans protège-mains, un sabot riquiqui et son bel échappement chromé qui semble aussi exposé qu’une jouvencelle à la foire aux célibataires de Langogne. La TXT de trial est, elle, carrément minimale, sans selle et avec ses dimensions de ballerine. Ses pneus à petits crampons peuvent paraître hors de propos pour qui ne connaît pas la discipline. Mais le pneu arrière Michelin tubeless permet de rouler à 350 grammes, bien mieux qu’un gommard d’enduro extrême avec une mousse usée de chez usée… Ceci dit, nos deux endureuses sont équipées en Michelin Medium, pas extrême. Comme ça, on va comparer ce qui est comparable. Ou presque.
Allez, on fait le point avec Olivier qui nous explique comment suivre le parcours extrême de dix kilomètres qui traverse Rochepaule : « Flèches rouges, c’est le hard. Les vertes, ce sont les déviations. Le tour fait trois quarts d’heure pour les meilleurs, trois heures pour les autres ! », lâche-t-il en se marrant. Nous voilà avertis. Le but, c’est de s’échanger les motos pour voir ce que ça donne suivant les situations que l’on va rencontrer. S’échanger nos impressions aussi. J’suis confiant comme avant un premier saut en parachute. Il y a longtemps que j’ai pas folâtré dans les falaises. Passé
50 balais, tu penses parfois à la retraite et à un bon feu de cheminée… Guédaro semble lui aussi affûté qu’un genou de vieille mais rigole encore. Paulo ne dit rien au moment de faire craquer les moulins, déjà concentré. Ah, ah, deux cinquantenaires usés dans la roue du jeune champion de 26 ans, ça ne peut que le faire. D’ailleurs je m’empare de la trial pour entamer le parcours, faut pas déconner. Le premier kilomètre, on va dire que c’est une gentille mise en jambes malgré la grosse dalle de vingt mètres à grimper non-stop. Bon, Rochepaule et l’Ardèche, c’est un tas de cailloux plus ou moins gros et plus ou moins roulants. Ça, on le sait. Mais à froid, ça te réveille. Surtout avec la trial qui te secoue comme une saucisse industrielle à chaque paveton ! Mince, c’est pas stable l’histoire. C’est mieux sur la grosse dalle que mon poteau breton s’avale sans sourciller. En trial comme en enduro, dans la roue du Polo qui lui s’amuse un peu en roue arrière en montée, sur la roue avant en descente sur sa GasGas numéro 24. Peut pas user ses tétines comme tout le monde ? J’en profite pour immortaliser
cette montée, Polo devant Aro qui tente de le suivre sur la trial. Et là – coup de pression subite ? – Paul s’envoie dans le décor avec sa belle EC affûtée. Genre dégringolade de quatre mètres qu’il parvient à contrôler en grand écart afin de ne pas laisser sa Gas faire des tonneaux. Un arbre arrête ce décrochage violent en fin de course. Avec Guédard, on a la bouche ouverte, tétanisés. Mais Polo n’a rien. Ouf ! Et sa GG juste quelques égratignures. Voilà, même les meilleurs, etc., etc. ça nous met tout chose le Breton et moi. À nos âges, on a beau savoir que la vie ne tient qu’à un fil, parfois l’enthousiasme nous le fait oublier. Put’… de rappel ! Zou, on continue sur notre lancée. Les singles de Rochepaule sont géniaux, enfin là où il y a de la terre qui recouvre la caillasse. Et c’est le cas dans plein d’endroits. Paulo file comme une flèche et j’ai un peu de mal à tenir le rythme sur la TXT de trial. Mais ces petits bestiaux sont étonnants quand le sol n’est pas trop défoncé. Agiles, avec de bonnes reprises et un poids plume. Yes ! Muscles chauds, on se retrouve à mi-pente de la forêt quand la trace plonge vers un extorrent asséché. Les flèches zigzaguent là-dedans façon zone du scottish : des rochers plus ou moins gros, humides, des racines partout et un dénivelé de « sa puta madre » comme on dit dans les zones catalanes. Là, on regarde filer Paulo Bury dans ce premier casse-tête chinois. Tu parles, ils posent à peine une paire de pieds, debout, guidant sa Gas comme un jouet. Plutôt comme une trial qui aurait pris de l’embonpoint. Les autres sont moins propres, ça usine dans les rochers, ça patine dans le gras, ça pousse. Dans ce contexte, la TXT est un vrai jouet : mazette le grip sur les cailloux mouillés ! Je dis pas que mon style est
« ENTRE UNE MOTO STOCK ET UNE MOTO PRÉPARÉE POUR L’EXTRÊME, PAS DE GRANDE DIFFÉRENCE. »
académique mais j’essaie d’enrouler au maximum, sans trop de vitesse ni de bourrinage et ça marche. Et quand ça bloque, ben, t’as qu’à soulever l’avant ou bouger la moto sans forcer (65 kg, ah, ah…). Reste que la fin du goulet est un monstre. Une zone de trial mondial, pas de la rando extrême. On prend le délestage en suivant les flèches vertes pendant que Polo se lance avec succès dans le spot. Il reste bloqué trente secondes dans la partie la plus spectaculaire et se reprend d’un coup de reins efficace qui lui redonne la motricité et juste ce qu’il lui fallait d’élan pour passer. On est trois à se regarder comme une bande de débutantes au bal du même nom.
Les Grandes Jorasses
Mais on n’a encore rien vu. Plus loin, on se retrouve dans une montée sans fin, tout en terre meuble plus rochers et racines saillants. La trace est en zigzag là-dedans et semble ne jamais s’arrêter tellement la pente dure longtemps au-dessus de nous. Maman ! Même histoire, Paul se lance dans le goulet sans même réfléchir et se met à gravir l’Everest avec une facilité déconcertante. La GasGas ronronne sévère mais grimpe mètre après mètre. Plutôt confiant dans mes évolutions précédentes avec la TXT, je me lance pépère. Et là, pas la même limonade. Dans la terre meuble, le pneu
« magique » ne débourre pas et ne trouve pas la motricité. Faut vraiment que je prenne de l’élan et que je m’y emploie pour grimper jusqu’à mipente. Mais là, j’suis sec, souffle coupé, palpitant à 190 et bras en feu.
Je choisis l’esquive fléchée vert qui grimpe tout en haut mais en tirant des bords plus longs, plus faciles. Mes camarades arriveront eux tout en haut en suivant le rouge après plusieurs longues minutes de galères sur les enduros. Guédaro se teste avec la trial dans ce genre de franchissement. Il passera même la marche finale, plus à l’aise qu’avec l’enduro mais faisant lui aussi remarquer qu’il faut s’en occuper dans le meuble. Paulo nous refait la sortie pour finir de nous dégoûter. Quasi à l’arrêt pour une prise d’élan très courte. Là encore, son coup de reins, associé à son coup de gaz précis, lui permet de sortir de l’embûche sans une goutte de sueur. Bon sang !
« Comment qu’il fait ?, lance Kévin.
J’ai l’impression de ne pas savoir piloter quand je le regarde passer. » Lui qui a remporté le championnat enduro Rhône-Alpes il y a trois-quatre ans est pourtant un pilote confirmé. Mais là, la technique d’un Paul Bury te fait passer pour un débutant. C’est bien d’ailleurs ce qui joue des tours aux néofranchisseurs de l’extrême, tous ces p’tits jeunes abreuvés de vidéos redboulisées où les Jarvis, Bolt, Lettenbichler, Blazusiak et Cie te font croire qu’une enduro, ça passe des zones de trial mondial à zéro. Tout l’enjeu marketing est là, mettre des trialistes de niveau mondial au guidon et te laisser rêver. Suffit de se mettre dans le dur pour comprendre que ton enduro, ben elle n’a pas quatre roues motrices. Et que si t’as pas fait un Master trial sup’ cinquième année, ça va pas se faire tout seul. Mais c’est vrai, on a tous envie de se prendre au jeu quand on les voit faire. La facilité du Paulo ! Perso, c’est bien avec la trial que j’arrive à la terminer cette boucle extrême de Rochepaule après quelques autres belles côtes et des passages techniques en dévers plutôt sérieux, deux-trois descentes où tu trouves que t’as les bras trop courts et une paire de gués glissants comme des sales vannes de Vuillemin (le dessinateur de Charlie Hebdo, pas le supercrossman marseillais ni la speakrine provençale). Mon physique ne m’aurait jamais permis ça sur une enduro. J’suis bien entamé et suant comme après un marathon dans les Alpes. Guédaro boucle le tour sur l’enduro. Suant, mais heureux du défi relevé. Il y retourne d’ailleurs un peu plus tard avec la trial et mettra bien moins de temps à venir à bout du tracé : « Ouais, quand même, avec la trial c’est bien plus facile, dit-il à son retour. À part dans le mou, ça grimpe facile, sans trop forcer. Une fois que t’as bien pris la mesure de la moto et des performances, parce qu’il faut un peu d’habitude avec la motricité et l’embrayage, c’est bien plus simple qu’en enduro. Moins bourrin surtout. » Évidemment, une trial est interdite en courses extrêmes. Mais s’il s’agit de randonner en montagne ou sur des parcours couillus, c’est l’arme absolue. Pas bruyante en plus. Qui laisse quasiment pas de traces. Et avec laquelle tu t’éclates carrément, hein Kévin ? Et puis il suffit de trois rochers pour passer une heure à faire des acrobaties et progresser en pilotage de façon exponentielle. J’dis ça, j’dis rien les gars. Perso, avec mon enduro, je vais continuer à endurer, pas à me prendre pour un chamois dans les Grandes Jorasses. Passé l’âge de ces conner… ! Rochepaule, on te dit merci pour ce moment de grâce. Olivier, tu me sers un demi ?
« S’IL S’AGIT DE RANDONNER SUR DES PARCOURS COUILLUS, LA TRIAL RESTE L’ARME ABSOLUE. »