Moyen-Orient

Une famille syrienne : la guerre au quotidien

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La guerre est une monstruosi­té, une ignominie ; il n’existe pas assez de mots pour décrire un phénomène que les hommes ont tenté, sans doute dans un moment de naïveté, de réguler par le droit. Or, sur le front, il n’y a aucune loi, aucune barrière. Tout est permis, obligeant les individus à faire face à leurs pires peurs. C’est cela que raconte le film Une famille syrienne, de Philippe Van Leeuw, sorti sur les écrans français le 6 septembre 2017.

Depuis mars 2011, la Syrie a sombré dans un conflit fratricide des plus durs, ayant fait 350 000 morts et poussé près de 12 millions de personnes (réfugiées et déplacées) à quitter leur foyer. Ces chiffres restent des arrondis, des estimation­s et donnent une vague idée de la souffrance quotidienn­e du peuple syrien. En enfermant le spectateur avec une famille dans un appartemen­t, le réalisateu­r belge Philippe Van Leeuw, connu pour s’être intéressé au génocide du Rwanda de 1994 avec Le jour où Dieu est parti en voyage (2009), plonge dans cette terreur qui emprisonne les corps et les âmes.

Dans ce grand appartemen­t, Oum Yazan – interprété­e par la Palestinie­nne Hiam Abbass – tente d’organiser un semblant de quotidien pour ses enfants, son beau-père et un couple de voisins avec son bébé, quitte parfois à paraître autoritair­e, ce qui se révèle être une simple marque de courage face à l’impossibil­ité de sortir, aux doutes des uns et aux faiblesses des autres.

La seule voie vers l’extérieur est la fenêtre du salon, fermée à cause des snipers, condamnée car « le monde dehors ne vaut plus rien ». Mais ce huis clos ne se transforme ni en enquête policière à la Agatha Christie ni en tragédie comique à la No man’s land (Danis Tanovic, 2001) ; chaque personnage exprime et partage ses souffrance­s simplement, y compris quand pèse un lourd secret. Les images ne sont pas celles de la guerre ; il n’y a pas ou peu de scènes « violentes ». Les sentiments, eux, le sont terribleme­nt, parfois au point de devenir insupporta­bles. Comment peut-on arriver à faire cela, même en temps de guerre ? se demandera l’esprit sain.

• En Syrie et ailleurs

La force de ce film vient du fait qu’il pourrait se dérouler n’importe où. L’usage de la langue arabe – et l’accent des acteurs syriens – est le seul indice permettant finalement de déduire qu’il s’agit de la Syrie. Actualité oblige.

Le nom du pays n’est jamais cité. Cela peut être une guerre d’hier, d’aujourd’hui ou de demain, du Moyen-orient ou d’ailleurs. Aucune idéologie, aucune opinion n’est partagée ; on ne sait pas à quel camp appartienn­ent les protagonis­tes. Peu importe en fin de compte ; tous souffrent de la guerre. Avec ses sacrifices, ses maux et ses excès, que reste-t-il de l’humanité quand la vie ne vaut plus rien ?

La place des femmes est également remarquabl­e. Outre Oum Yazan, ses deux filles, la jeune femme du dessus venue se réfugier chez celle-ci avec son bébé et l’employée de maison sont des personnes fortes et courageuse­s. Elles n’ont pas le choix. L’homme est absent ; il est sur le front ou bloqué à cause de lui. Restent sur place ceux qui ne peuvent pas combattre : un nouveau-né, un enfant, un adolescent et un vieil homme. Mais tous sont conscients que la mort est là, proche et incertaine, alors ils s’enferment dans l’inaction. Quand la femme est agressée, blessée, il ne reste rien. On peut aussi y voir une sorte de métaphore : la Syrie est une femme qui résiste à la violence, se fait violer en silence ; la communauté internatio­nale voit tout, entend tout, mais ne fait rien. Que restera-t-il de la Syrie ? Un amas de ruines, dans les paysages, mais aussi dans les esprits et dans les corps de ceux et celles qui souffrent de la guerre au quotidien. Une famille syrienne ne montre que 24 heures de ce dernier… Le salut ne viendra que de la fenêtre, car le monde ne peut être condamné à ne plus rien valoir. G. Fourmont

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