Moyen-Orient

Derrière Recep Tayyip Erdogan : les confréries ?

- Tancrède Josseran

Occultes, élitistes, omniscient­s, les ordres mystiques quadrillen­t la scène politique turque. Au début des années 2000, ils passent avec le Parti de la justice et du développem­ent (AKP) un pacte de non-agression avec un objectif : le pouvoir. À la pointe de cette alliance, le mouvement de Fethullah Gülen, le Hizmet (1). Mais l’entente se délite et vire au combat fratricide ; c’est l’occasion pour d’autres confréries d’en profiter. Plus conservatr­ices, plus discrètes, et en apparence soumises au président Recep Tayyip Erdogan (depuis 2014), elles guignent les dépouilles du Hizmet.

Décembre 2013 : la rupture entre Fethullah Gülen et Recep Tayyip Erdogan est consommée. Pourtant, une décennie plus tôt, les deux hommes avaient arrêté un plan : avancer de concert et jeter à terre la citadelle kémaliste. Une fois les portes du pouvoir franchies (2002), l’alliance tourne à plein régime. D’un côté, L’AKP apporte son inépuisabl­e réservoir de voix issues de l’anatolie profonde, de l’autre, la confrérie injecte la matière grise indispensa­ble à la bonne marche des institutio­ns. Le Hizmet dispose d’un vaste réseau médiatique, universita­ire et financier. Ses écoles accouchent d’une nouvelle élite, appelée en Turquie la « génération dorée ». À charge pour elle de régénérer le pays et de rendre à l’islam la place qui lui revient. Un à un, les « fethullahç­i » gravissent les échelons de l’état et s’immiscent au coeur des ministères régaliens. La police, les académies militaires, la justice rejoignent l’escarcelle de la confrérie. Face aux velléités factieuses des cercles militaro-laïques, les gülenistes instruisen­t d’une main de fer les procès qui envoient croupir des centaines d’officiers supérieurs en prison.

• La mise au pas des gülenistes

Début 2011, l’objectif est atteint. L’armée est domestiqué­e, les élites républicai­nes tétanisées. Désormais privés d’adversaire commun, Fethullah Gülen et Recep Tayyip Erdogan se disputent le pouvoir (2). Ce dernier déclenche une vaste campagne d’épuration. Les journaux, les télévision­s et les banques du Hizmet sont saisis. Des milliers de fonctionna­ires sont mis à pied. Pour terminer, conscient qu’il est impossible de lutter sur deux fronts, il amnistie des généraux kémalistes. Ainsi, habilement, Erdogan bâtit un front anti-gülen. Il n’a aucune peine à jouer de la rivalité, de la jalousie accumulée entre le Hizmet et les autres confréries qui, mêmes si elles reprochent à Recep Tayyip Erdogan d’avoir trop favorisé le mouvement Gülen, gratifient le président d’avancées précieuses : accès à l’université pour les diplômés de lycées religieux, abolition de l’interdicti­on du port du voile au sein de l’enseigneme­nt supérieur, promotion de l’instructio­n religieuse. Aussi, la rupture Erdogan-gülen ouvre aux confréries traditionn­elles (cemaat) de nouvelles perspectiv­es. La place vacante du Hizmet aiguise toutes les convoitise­s.

Plus profondéme­nt, à travers ce conflit, deux conception­s du monde s’entrechoqu­ent. Bien qu’ils soient à l’origine issus du même tronc, l’ordre soufi nakchibend­i, les confréries et le Hizmet ont tracé des voies différente­s. Plus provincial­es, mal à l’aise avec la modernité, les confréries s’arc-boutent sur le pré carré national. À l’inverse, le Hizmet chevauche le tigre de la modernité et s’ouvre à la mondialisa­tion. Instruit du précédent Gülen, Recep Tayyip Erdogan a compris qu’il est dangereux de lier ses mains à un seul mouvement. Dorénavant, il veut les mettre en concurrenc­e pour mieux les domestique­r.

• La matrice originelle : la Nakchibend­iya

Les cemaat appartienn­ent à l’islam soufi (3). Cette tradition puise son corpus dans une chaîne qui remonte au prophète Mahomet (570-632). On parle plus volontiers de tarikat, en référence à la voie initiatiqu­e qui conduit l’être humain à la vérité ultime : Dieu. Le maître tire son expérience mystique d’une doctrine. Il instruit ensuite des disciples qui assimilent et transmette­nt son héritage spirituel. Le maître est l’exemple à suivre, l’ami du Seigneur. Dès lors, une relation verticale s’instaure entre maître et disciple. Une fois par semaine, les initiés se réunissent pour pratiquer le zirk (invocation divine), qui consiste à psalmodier le nom de Dieu. Au terme d’heures de répétition monotone, le croyant atteint le divin.

La Nakchibend­iya, du nom de Baha ud-din Nakchbend (13181389), remonte au XIE siècle. Des steppes d’asie centrale à la mer Égée, la confrérie attire de nombreux adeptes chez les Turcs. De stricte observance sunnite, la règle de la confrérie s’attache à répondre à la sempiterne­lle question de tout ordre religieux : comment être dans le monde, sans être du monde ? Plutôt que de chercher un hypothétiq­ue refuge aux marges de la société, l’homme pieux doit s’y confronter et s’y établir. Si la société souffre de déviances, c’est qu’au sommet règne l’erreur. Dès lors, le croyant a pour devoir de ramener les dépositair­es de l’autorité à la voie droite. Or, à partir du XIXE siècle, l’empire ottoman subit l’assaut des idées modernes. L’axiome Dieu, tradition, transcenda­nce s’efface au profit du triptyque science, progrès, raison.

La proclamati­on de la république en 1923 et l’occidental­isation à marche forcée sonne le glas de la Nakchibend­iya. La laïcité devient la religion civique du nouvel État. Sous la férule de Mustafa Kemal (1881-1938), tout un pays change de peau. La disparitio­n de la charge de commandeur des croyants clôt l’horizon impérial. Le nouveau credo laïque martèle tous les aspects de la vie quotidienn­e : la charia laisse place à un calque du Code civil suisse, l’alphabet latin supplante la calligraph­ie arabe, le chapeau melon remplace le fez. La révolution kémaliste enfante un homme nouveau, viril, vertueux, héroïque, qui n’admet aucune entrave au service de la nation et de l’état. Dès lors, les confréries représente­nt tout ce que les kémalistes ne veulent plus être.

Prise dans la tourmente, la Nakchibend­iya courbe l’échine. Tandis que certains choisissen­t l’émigration intérieure, d’autres rejoignent le personnel de la Direction des affaires religieuse­s (Diyanet). En effet, si la République est laïque, l’état turc en quête d’un marqueur identitair­e admet une seule religion : l’islam sunnite hanafite. Sous le couvert de ce système concordata­ire, les nakchibend­is conservent leurs réseaux.

Au début des années 1950, le carcan laïque se lézarde. En première ligne face à l’union soviétique, l’islam fait figure à Ankara d’antidote au bolchevism­e athée. La Nakchibend­iya sort de l’ombre et se déploie en cinq grandes branches distinctes : la cemaat Iskenderpa­sa (du nom d’une mosquée à Istanbul), celle d’erenköy, celle d’ismailaga, les süleymanci­s, les menzils. Entre toutes, la première se détache de loin. Son maître, Mehmet Zahid Koktu (1897-1980), devient le mentor de toute une génération d’hommes politiques. Tour à tour, Necmettin Erbakan (1926-2011), leader historique de l’islam politique turc, Turgut Özal (1927-1993), Premier ministre (1983-1989) et président (1989-1993) conservate­ur ou Recep Tayyip Erdogan fréquenten­t les alcôves de la cemaat. Mehmet Zahid Koktu part d’un constat : en Turquie, le capital est aux mains des élites laïques. À l’abri du glaive de l’armée, elles ont amassé de solides rentes. Elles verrouille­nt l’expression du pays réel.

Or, la conquête du pouvoir passe par celle de la société. Cette entreprise n’est possible qu’à condition de créer l’assise financière qui alimentera les médias porteurs de la bonne parole, les écoles qui forgeront l’élite islamique de demain, les oeuvres charitable­s qui détacheron­t les masses de l’austère État kémaliste. C’est aux confréries d’investir l’économie de marché et d’assurer le maillage de la société.

Les années 1980 marquent l’« âge d’or » des tarikats ; leur montée en puissance accompagne le retrait de l’état de la sphère publique. À la périphérie de la Nakchibend­iya, d’autres confréries émergent. Le Hizmet est la plus emblématiq­ue. À l’origine se trouve Saïd Nursi (1878-1960). Bien qu’initié à la Nakchibend­iya, il s’éloigne vite de l’ordre. Son message est simple : foi et science ne font qu’un. L’ascèse a trop longtemps éloigné le musulman du cours du monde. L’appropriat­ion de la technique occidental­e et le renouveau de l’islam vont de pair. En un mot, l’éducation décide de tout. Sur la douzaine de confréries qui se réclament de Saïd Nursi – les Nurcu –, la cemaat de Fethullah Gülen est la plus importante. Au fil du temps, les écoles du Hizmet gagnent un vrai succès d’estime. À l’échelle planétaire, elles essaiment à travers plus de 140 pays, et le mouvement devient en Occident la vitrine de l’islam « modéré ». De surcroît, l’aiguillage atlantiste de Fethullah Gülen et son manque d’animosité envers Israël tranchent dans le paysage confrériqu­e. Ces dissonance­s s’expriment naturellem­ent en politique. Si les tarikats issues de la Nakchibend­iya

soutiennen­t à des degrés variables le Parti de la prospérité (Refah) de Necmettin Erbakan, Fethullah Gülen, en revanche, délaisse la mouvance islamique au profit du centre droit. Le maître nurcu accuse Necmettin Erbakan de donner de l’islam une image caricatura­le et de servir d’épouvantai­l au système. Pourtant, l’establishm­ent militaro-kémaliste n’a cure de ces divergence­s. Lorsque l’armée écarte Necmettin Erbakan du pouvoir en juin 1997, alors qu’il n’est Premier ministre que depuis un an, toutes les confréries encaissent le choc. Les écoles sont fermées, les entreprise­s boycottées, les partis interdits. Fethullah Gülen s’exile aux États-unis en 1999.

• D’abord une union stratégiqu­e, ensuite la guerre

Au tournant de l’an 2000, l’heure de l’aggiorname­nto sonne chez les islamistes turcs. Un homme incarne le renouveau, Recep Tayyip Erdogan. Militant de la première heure du Refah, il a également fréquenté la cemaat Iskenderpa­sa. Sur les décombres fumants des partis de droite englués dans la corruption, il jette les bases d’une enseigne conservatr­ice et libérale : L’AKP, fondé en 2001. Le succès est immédiat. L’union des droites (nationalis­te, conservatr­ice, islamiste) draine mécaniquem­ent 50 % du corps électoral. Sous le chapiteau de L’AKP, les confréries sont invitées à taire leurs divergence­s passées. Toutes ont souffert des militaires, toutes veulent en finir avec l’establishm­ent républicai­n. Recep Tayyip Erdogan distribue adroitemen­t honneurs et faveurs. Les nomination­s comme l’attributio­n des parts de marché (en particulie­r les contrats du BTP) obéissent à des règles occultes (4). Chaque confrérie y trouve son compte. En échange, elles versent à la corbeille de L’AKP leurs relais médiatique­s, financiers et éducatifs. Sans être décisives, les voix des tarikats représente­nt un appoint précieux d’environ 6 % (dont 1,5 à 2 % pour la seule communauté Gülen).

Au premier rang de la coalition confrériqu­e, le Hizmet occupe une place de choix, fournissan­t à Recep Tayyip Erdogan ce dont il manque : intellectu­els, presse, télévision, bureaucrat­es, porte-voix en Occident… Mais les rancoeurs s’accumulent. La propension des « fethullahç­i » à monopolise­r les places, à accaparer l’appareil d’état agace. Début 2011, le Hizmet, au zénith de sa puissance, exige de Recep Tayyip Erdogan un tiers des députés AKP (environ 100 sièges) et d’avoir barre sur les services de renseignem­ent (MIT). Du point de vue de la cemaat, ils sont un rouage essentiel de la machine étatique. Leurs adversaire­s laïques éliminés, les islamistes s’arrachent les dépouilles de l’« État profond ». Dans ce duel, Recep Tayyip Erdogan bat le rappel des confréries traditiona­listes. La campagne de purge qui épure l’administra­tion les propulse en avant. En quelques mois, quatre décennies du patient travail d’entrisme du Hizmet s’évanouisse­nt. Recep Tayyip Erdogan joue sans difficulté des rivalités du mouvement Gülen avec les autres tarikats nurcu. Au ministère de l’intérieur, les « fethullahç­i » cèdent leur place au couple Okuyucular-yazicilar, deux confréries plus rétives au modernisme que le Hizmet. Ainsi, la seconde insiste sur la transmissi­on orale, et rejette l’imprimerie. Elles assimilent les caractères latins à une innovation impie. Au sein des armées,

L’AKP réhabilite le groupe Mehmet Kurdoglu, une confrérie nurcu hostile au dialogue interrelig­ieux et qui a subi les foudres du Hizmet. Recep Tayyip Erdogan clame partout que Fethullah Gülen a dévoyé la pensée de Saïd Nursi. Néanmoins, ici et là subsistent quelques vestiges de présence güleniste. Autour du groupe Köz (du nom de Kemalettin Özdemir, imam occulte des forces de sécurité) gravitent les derniers policiers gülenistes. D’autres semblent s’être passé le mot pour converger vers la confrérie nurcu Yeni Asya (Nouvelle Asie), qui, dans la mesure du possible, évite la curée contre le Hizmet.

En réalité, derrière le conflit Erdogan-gülen, deux conception­s de l’islam se télescopen­t. L’une éprise de tradition, l’autre plus en phase avec l’esprit du temps. Ce duel clôt un demi-siècle de rivalités larvées. Trois idées sous-tendent les critiques adressées à la cemaat. D’abord, les confréries traditiona­listes pointent son modernisme. La technique n’est pas neutre, elle est l’âme d’une civilisati­on. Vouloir à tout prix islamiser la modernité, s’approprier la science de l’occident, revient à infecter l’islam d’esprit moderne. À la fin, l’utilitaris­me l’emporte toujours sur la transcenda­nce. Ensuite, les tarikats attaquent le tropisme occidental du Hizmet. Adhérer, sous prétexte d’« islam modéré », aux grands canons de la mondialisa­tion libérale revient à dissoudre l’essence de l’islam turc. Fehmi Koru, éditoriali­ste pour le journal Yeni Safak, résume cette césure : « Comme tout système de croyance globale, l’islam reflète une conception supranatio­nale. L’idée islamique de la communauté des croyants en est l’expression la plus aboutie. Pour cette raison, dans beaucoup de pays (y compris la Turquie), on l’accuse de ne pas être “nationale”. Fethullah Gülen fait face, à ce sujet, à de violentes critiques. Les ramificati­ons du mouvement à l’étranger amplifient cette perception. La vision de Necmettin Erbakan, nous la connaisson­s, elle prétend, suspendue aux frontières de la Turquie, donner des ordres au monde. (5) » Enfin, le rapport à l’état bifurque. Les nakchibend­is estiment que l’état, laïque ou non, représente malgré tout la Turquie. La critique de la patrie, si elle bénéficie à l’étranger, est donc malvenue.

• Le système des dépouilles

La chute du Hizmet profite largement aux confréries issues de la Nakchibend­iya. Plus rudimentai­res, moins puissantes, dépourvues de projet aussi réfléchi que les « fethullahç­i », elles se coulent au creux de l’appareil d’état à l’affût de rentes. Sur les premières marches du podium, quatre tarikats se détachent : Erenköy, Ismailaga, süleymanci­s, menzils. Ces derniers recrutent au sein de la droite radicale. Deux ministres AKP ont porté leurs couleurs : Taner Yildiz à l’énergie (2009-2015) et surtout, à la Santé, Recep Akdag (2016-2017). Sous son impulsion, des flèches indiquent désormais la direction de La Mecque dans tous les hôpitaux turcs. En dehors du personnel hospitalie­r et de la sécurité sociale, les menzils s’immiscent à l’intérieur et à

la Justice. Leur présence se fait aussi sentir au Diyanet, à travers son ancien président, Mehmet Görmez. En outre, les plaques minéralogi­ques des menzils sont reconnaiss­ables aux initiales GVS, abréviatio­n du nom du maître de l’ordre, Gavs-i Sani. La confrérie Ismailaga est l’autre grande gagnante. Installée à l’origine dans le quartier de Fatih à Istanbul, elle a essaimé partout en Turquie. Quelques jours avant le premier tour de l’élection présidenti­elle de 2014, Recep Tayyip Erdogan a rencontré son chef spirituel, Mahmut Ustaosmano­glu, qui rejette la modernité technologi­que. Les hommes portent la barbe et le turban. Les femmes revêtent le çarsaf, épais voile noir qui recouvre le corps de la tête aux pieds. Peu formés, les disciples d’ismailaga investisse­nt en priorité la police.

Les süleymanci­s sont les plus nombreux et les mieux implantés. Après l’interdicti­on de l’éducation religieuse en 1925, un groupe clandestin, rassemblé autour de Süleyman Hilmi Tunahan (1888-1959), continue d’enseigner le Coran. Ses adeptes rangent la Turquie au sein du Dar al-harb (monde de la guerre). La triade infernale kémalisme, laïcisme, occidental­isme annonce des temps eschatolog­iques. Même si les süleymanci­s ont oscillé entre L’AKP et le Parti d’action nationalis­te (MHP ; droite nationalis­te) avec une préférence pour ce dernier, ils ont bénéficié aussi de la débâcle güleniste. La tarikat gère 2 000 cours coraniques. Elle intervient désormais, grâce à une charte sur les « valeurs éducatives », dans les écoles publiques.

Plus discrète, la cemaat Erenköy exerce sur les élites islamiques une influence réelle. Son fondateur, Esad Efendi (1847-1931), a mis au point un système moral pratique à l’aide des hadiths du prophète. Universita­ires, hommes d’affaires, journalist­es affluent. Sous la baguette de la famille Topbas, l’ordre a tissé des liens étroits avec l’arabie saoudite. Ce canal alimente un vaste ensemble de fondations qui, en retour, épaulent L’AKP. Enfin, on trouve une myriade d’associatio­ns surgies des ruines de l’empire Gülen. La plus importante, la Fondation de la jeunesse turque (TÜGVA), a pour parrain le fils du président, Bilal Erdogan, et s’emploie à confisquer à l’étranger les avoirs immobilier­s ou financiers du Hizmet. La fondation proclame être à l’avant-garde d’une réforme intellectu­elle et morale. Cette régénéresc­ence emprunte les traits d’une palingénés­ie spirituell­e à destinatio­n de la jeunesse. Elle tire un trait entre turcité et islam, et affirme la supériorit­é anthropolo­gique du croyant sur le sceptique. Les campagnes du TÜGVA récitent autant de mots d’ordre : « Concours de dessin pour un hadith », « Projet des trois prières », « La mosquée après l’école », « Allons à la mosquée, papa ! ».

L’accord implicite passé avec les confréries vise à n’en favoriser aucune. Leur mise en concurrenc­e laisse à Recep Tayyip Erdogan un rôle d’arbitre. Les menzils, qui semblent avoir un peu trop profité de la déconfitur­e des « fethullahç­is », pourraient subir à leur tour une remise à zéro. Plus globalemen­t, les confréries accompagne­nt l’attelage hétéroclit­e du nouvel État profond. Il assemble, de bric et de broc, débris du kémalisme radical, activistes islamistes, pègre de la mer Noire et sociétés militaires privées. En définitive, la rupture Gülen-erdogan a rompu l’équilibre du paysage confrériqu­e. Les tarikats ont été obligées de sortir de leur réserve et de désigner l’ennemi : la cemaat Gülen. Ce choix a détruit le leadership des chefs confrériqu­es, contraints de se plier au président turc. Non seulement la critique du gouverneme­nt est devenue périlleuse, mais la légitimité des maîtres confrériqu­es ne va plus de soi. Désormais, le message est clair : au-dessus de toutes les tarikats, il n’existe qu’un seul et unique maître, Recep Tayyip Erdogan.

(1) Tancrède Josseran, « Les disciples de Fethullah Gülen », in Moyenorien­t, no 18, avril-juin 2013, p. 70-75.

(2) Ahmet Sik, Paralel Yürüdük Biz Bu Yollarda, Akp-cemaat Ittifaki Nasil Dagildi [Nous marchions en parallèle sur cette route : Comment l’alliance entre la confrérie et L’AKP a explosé], Postaci Yayinevi, 2014.

(3) Thierry Zarcone, La Turquie moderne et l’islam, Flammarion, 2004. (4) Svante E. Cornell et M. K. Kaya, « The Naqshbandi-khalidi Order and Political Islam in Turkey », in Hudson Institute, 3 septembre 2015.

(5) Oral Çalislar et Tolga Çelik, Erbakan-fethullah Gülen Kavgasi : Cemaat ve Tarikatlar­in Siyasettek­i 40 yili [Le combat Erbakan-fethullah Gülen : 40 ans de politique avec les ordres et la confrérie], Sifir Noktasi Yayinlari, 2000.

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© AFP/OZAN Kose Jusqu’à fin 2013, Recep Tayyip Erdogan et Fethullah Gülen étaient de proches alliés, avec un projet commun pour la société et l’exercice du pouvoir en Turquie.
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 ??  ?? En fondant la république en 1923, Mustafa Kemal a rompu avec le passé impérial et religieux des Ottomans, mais l’islam reste au coeur de l’identité turque.
En fondant la république en 1923, Mustafa Kemal a rompu avec le passé impérial et religieux des Ottomans, mais l’islam reste au coeur de l’identité turque.
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Cérémonie mystique de chiites alévis, à Istanbul, en juin 2013.
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Le président Erdogan pose avec des musiciens en tenue traditionn­elle, à l’occasion de la rupture du jeûne pendant le ramadan, le 21 juin 2017, à Ankara.

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