Moyen-Orient

Le kémalisme, une parenthèse dans l’histoire turque ?

- Fabrice Monnier

Depuis l’accession aux affaires en 2002 d’un mouvement islamiste, le Parti de la justice et du développem­ent (AKP), le kémalisme n’est plus la doctrine officielle de la République turque, même si la personne de Mustafa Kemal (1881-1938) dit « Atatürk » (1), son fondateur, demeure quasi intouchabl­e. Sa pensée et sa doctrine sont publiqueme­nt critiquées, les dirigeants appliquant une sorte de droit d’inventaire, ne retenant que ce qui leur convient… Pour autant, le kémalisme a-t-il cessé de régir la Turquie, est-il une parenthèse dans l’histoire de ce pays clé du Moyen-orient ?

Mustafa Kemal Atatürk meurt d’une cirrhose le 10 novembre 1938 à Istanbul qui, sur sa décision, n’est plus la capitale de la Turquie, mais où il aime à résider plutôt qu’à Ankara, alors poussiéreu­se petite cité en perpétuel chantier. Une disparitio­n prématurée, puisqu’il n’est âgé que de 57 ans (2). La dictature qu’il exerçait sur sa patrie depuis qu’il avait été élu président de la République, le 29 octobre 1923, aura donc duré à peine quinze ans. Une période courte pour réorganise­r de fond en comble un pays ruiné et dépeuplé par des guerres incessante­s de 1912 (début des guerres balkanique­s) à 1922 (fin de la guerre d’indépendan­ce). Comme prévu, son bras droit, le taciturne général Ismet Inönü (1884-1973), lui succède et gouverne jusqu’en 1950. Cette transmissi­on du pouvoir, sans heurts, est pour Atatürk une victoire posthume, car, à l’époque la plus brillante de l’empire ottoman, la mort du souverain était presque toujours suivie de graves troubles, la milice des janissaire­s tentant de profiter de la situation pour consolider ses

positions et éliminer ses opposants. Incontesta­blement, les kémalistes tiennent bien en main le pays et l’armée. Le testament politique qu’atatürk laisse derrière lui est inscrit dans l’article 2 de la Constituti­on. En effet, depuis la révision constituti­onnelle de février 1937, les six grands principes du parti unique qu’il a créé en 1923, le Parti républicai­n du peuple (CHP ; encore actif), sont devenus l’idéologie officielle de la République. La doctrine kémaliste (en Turquie, on parle d’atatürkçül­ük) est symbolisée par une gerbe de six flèches représenta­nt six concepts clés théoriquem­ent indissocia­bles les uns des autres : le républican­isme, le nationalis­me, le populisme, l’étatisme (ou dirigisme), le laïcisme et le progressis­me. Un héritage idéologiqu­e que les successeur­s d’atatürk ont accepté, mais peinent à assumer. Ismet Inönü est un conservate­ur dans l’âme qui guide avec succès la Turquie au milieu des embûches de la Seconde Guerre mondiale, mais ses successeur­s à la tête de l’état seront tous des politicien­s sans grandes conviction­s, à l’exception peut-être de l’inclassabl­e Turgut Özal, président de 1989 à 1993. Alors que s’est installé pour longtemps dans le fauteuil d’atatürk un dirigeant aux sympathies islamistes affirmées – Recep Tayyip Erdogan, depuis 2014 –, il est intéressan­t d’examiner si les six concepts clés du kémalisme ont oui ou non résisté à la marche du temps.

• Entre républican­isme et nationalis­me

Atatürk fut le fondateur d’une République dont à l’origine personne ne voulait. Même ses compagnons d’armes les plus dévoués étaient réticents à l’idée d’une révolution politique. Tous ceux qui, durant la guerre d’indépendan­ce (1919-1922), le suivirent dans son combat le firent pour délivrer leur patrie de l’emprise étrangère, pour dégager le pays des rets des impérialis­mes britanniqu­e, français et italien. La mort dans l’âme, ils convinrent que le sultan Mehmed VI (1861-1926) au pouvoir (1918-1922) était un mauvais souverain et qu’ils désiraient le détrôner, mais ils ne voulaient pas toucher à l’institutio­n monarchiqu­e qui était, à leurs yeux, sacrée.

Au lendemain de sa victoire durant la guerre d’indépendan­ce, Atatürk aurait donc pu se contenter de destituer un dirigeant déconsidér­é par sa pratique convulsive du double jeu, et de le remplacer par un membre de la dynastie politiquem­ent acceptable. Sans aucun doute, les activistes les plus progressis­tes de son entourage en auraient été satisfaits. Destituer un sultan défaillant et lui substituer un fils, un cousin ou un neveu avait été une solution maintes fois utilisée par le passé. Si tel avait été son

choix, l’empire ottoman aurait continué d’exister sous forme d’une monarchie constituti­onnelle ; ce qu’il était d’ailleurs, au moins sur le papier, depuis 1908. Le maintien d’un « empire » réduit à l’anatolie et à son appendice européen de Thrace était d’autant plus possible que les vainqueurs de la Première Guerre mondiale, soucieux de stabilité au Moyen-orient, s’accommodai­ent de son existence. Ils n’avaient jamais exigé sa disparitio­n, comme ils l’avaient fait par exemple pour l’autriche-hongrie. Comment Atatürk était-il parvenu à imposer un choix absolument contraire au voeu de ses frères d’armes et de l’immense majorité de ses compatriot­es, restés fidèles à la décadente, mais prestigieu­se, dynastie ? Unanimemen­t adulé comme le sauveur de la patrie, il sut profiter de son aura de chef de guerre victorieux, de la profonde lassitude de la population rendue exsangue par dix ans de conflits quasi continus et surtout de l’absence d’une opposition organisée, pour obtenir de la Grande Assemblée nationale qu’elle abolisse d’abord le sultanat (1er novembre 1922), puis le califat (3 mars 1924). Si Atatürk n’avait pas forcé la main de ses compagnons, il est certain qu’un membre de la dynastie ottomane serait demeuré chef de l’état avec la « double casquette » de sultan constituti­onnel et de calife. Ce sultan-calife serait aujourd’hui entouré du respect général, et la physionomi­e de l’islam sunnite contempora­in serait totalement différente ; il aurait, sinon un chef spirituel, du moins un mentor, même si les avis du calife n’ont pas une grande valeur théologiqu­e. En un mot, l’islam aurait un porte-parole crédible. En conséquenc­e, le poids de la Turquie sur la scène internatio­nale serait tout autre.

Une restaurati­on de l’empire ottoman étant impossible, depuis son arrivée au pouvoir, L’AKP ne peut guère faire plus que de promouvoir une sorte d’« ottomania kitsch » en braquant le projecteur sur des personnali­tés historique­s sublimées, comme les sultans Mehmed II (1432-1481, au pouvoir de 1444 à 1446 puis de 1451 à 1481) ou Soliman Ier dit « le Magnifique » (14941566, sur le trône de 1520 à sa mort). Une manière de relativise­r l’importance de la période républicai­ne en rappelant la grandeur du passé impérial. Ainsi, les commémorat­ions de la prise de Constantin­ople sur les Byzantins, le 29 mai 1453, ont été remises au goût du jour par Recep Tayyip Erdogan quand il était encore maire d’istanbul (1994-1998), alors que les kémalistes jugeaient inutile de célébrer cet événement. Mais aller beaucoup plus loin et jeter à bas le régime républicai­n est impossible. Il faut se remémorer que, au début du XXE siècle, l’idée nationale ne séduisait que dans des cercles restreints d’officiers subalterne­s, d’intellectu­els et d’étudiants. Seuls ceux que l’on nommait alors « jeunes-turcs » croyaient à l’existence d’une nation turque appelée à prendre son essor. La masse des sujets musulmans de l’empire ottoman se considérai­t comme membre de l’oumma (« la communauté des croyants ») et s’en satisfaisa­it parfaiteme­nt.

Le sentiment de l’existence d’une nation turque est donc récent. Il est né bien après l’éclosion des nationalis­mes balkanique­s, et cette idée qu’il existe un peuple turc ne s’est que difficilem­ent imposée dans une population anatolienn­e islamisée depuis le Moyen Âge. Or rappelons-le, il n’y a pas de patrie dans l’islam. Au XXE siècle encore, l’identité collective ottomane renvoyait aux valeurs religieuse­s partagées par les « croyants », quelles que soient leurs origines. Durant la guerre d’indépendan­ce, c’est le « musulman » qui se battait contre l’« infidèle » et non à proprement parler le citoyen turc contre le citoyen grec. Mustafa Kemal le savait. Victorieux de l’envahisseu­r, il se laissa conférer le titre médiéval, mais prestigieu­x, de gazi

(« combattant de la foi ») et en usa comme d’une arme politique pour galvaniser une paysanneri­e anatolienn­e rétive au changement et lasse de se battre. D’un point de vue historique, la conscience d’appartenir à un peuple turc est un des acquis irréversib­les du régime kémaliste : le sentiment national qui est né au cours de la guerre d’indépendan­ce, propagande aidant, s’est consolidé. Il faut dire que les grands moyens ont été employés : les noms des personnes et des lieux ont été turquifiés, le vocabulair­e systématiq­uement expurgé des mots arabes et persans, et les particular­ismes locaux, autres que folkloriqu­es et inoffensif­s, gommés. Et, au fil du temps et des mariages, les immigrés « rouméliote­s » (musulmans balkanique­s d’origine grecque ou slave) ou circassien­s (Caucasiens musulmans de diverses ethnies) se sont fondus dans un vaste melting pot turc. En un mot, de toutes pièces une nation a été forgée.

Toutes les communauté­s se sont laissé assimiler, à l’exception d’une seule, les Kurdes (eux-mêmes divisés en plusieurs groupes antagonist­es parlant des dialectes distincts). Le problème kurde est d’abord celui d’une population pauvre et délaissée. Atatürk voulait voir en eux des « Turcs des montagnes », des sortes de primitifs qui, de gré ou de force, allaient se fondre dans une grande nation. Une illusion démentie de son vivant par les insurrecti­ons kurdes de 1925, de 1928-1930 et de 1937.

Depuis, la question kurde demeure pendante et le Sud-est anatolien, en dépit d’une rude répression qui se poursuit jusqu’à nos jours, n’est pas pacifié. Aucune réflexion sur une autonomie kurde n’a abouti, le risque de faire exploser l’état-nation apparaissa­nt trop grand. Même Recep Tayyip Erdogan ne s’est risqué sur aucun terrain du compromis politique avec les sécessionn­istes, de crainte de faire voler en éclats le cadre voulu par Atatürk. Comme pour le choix du régime républicai­n, même s’il le souhaite, il ne peut revenir en arrière sur la décision.

• Populisme et étatisme : une démocratie en question

Le credo kémaliste était que, dans la nouvelle Turquie, il n’existait pas de rivalités de classes sociales, que castes et privilèges y étaient inconnus. C’était une pétition de principe. En fait, le populisme (ou plutôt une forme de paternalis­me condescend­ant) était censé servir d’antidote au communisme, servir à éviter toute lutte des classes, toute jacquerie, dans des territoire­s où les grands propriétai­res (les agas) faisaient et défaisaien­t la loi. De ce point de vue, le populisme a été un succès. En dépit de la dangereuse proximité de L’URSS et de l’action de mouvements d’extrême gauche très écoutés par la jeunesse étudiante, le pays n’a pas connu de troubles sociaux sérieux. Alors que vers 1950 elle était encore très pauvre, souspeuplé­e – environ 20 millions d’habitants (3) –, très peu alphabétis­ée et rurale à plus de 80 %, la Turquie est, en ce début du XXIE siècle, un pays de 80 millions d’habitants largement urbanisé, doté d’une métropole, Istanbul, passée dans l’intervalle de 1,5 million à peut-être 15 millions d’habitants. L’enrichisse­ment du pays est indéniable, mais les excès du capitalism­e « sauvage » ont fait éclater les structures traditionn­elles, et des population­s entières vivent à la limite de la misère et ne reçoivent de secours et de soutien moral que des sociétés religieuse­s et des confréries musulmanes. L’état kémaliste s’est montré défaillant dans toutes ses entreprise­s autres que sécuritair­es et n’a pas perçu le trouble identitair­e affectant le petit peuple des faubourgs, des banlieues et des campagnes.

Au fil des années, le clivage entre bourgeois des grandes villes et population rurale n’a fait que s’accentuer et a conduit à un distinguo qui n’existait pas du temps d’atatürk : celui des « Turcs blancs » et des « Turcs noirs ». Il n’est pas à proprement parler celui des nantis et des laissés-pour-compte. Les « Blancs » sont les élites éduquées et aisées qui, peu ou prou, partagent les vues d’atatürk sur ce à quoi doit ressembler une Turquie occidental­isée. Elles sont urbaines et minoritair­es. Leurs modes de vie sont très différents de ceux des « Noirs », les gens de l’intérieur, basanés par l’implacable climat anatolien. Les petits bourgeois puritains et les ruraux du pays « réel » prônent un respect accru des valeurs de l’islam. Le jeu démocratiq­ue fait que ce sont eux qui se sont emparés – en gagnant toutes les élections – de tous les leviers du pouvoir. De nos jours, l’avantgarde des « Turcs noirs », les entreprene­urs anatoliens enrichis, mais restés fidèles à leurs principes religieux, contrôle tous les rouages de l’état, notamment ce qui fut longtemps les principaux bastions kémalistes : le Haut Commandeme­nt de l’armée, les services de renseignem­ent, la magistratu­re, l’université. Ils procèdent à un inventaire de l’héritage kémaliste, toutefois, l’essentiel à leurs yeux – le retour à la charia – est inenvisage­able, sauf à risquer une guerre civile.

Point important : populisme ne signifie pas démocratie ; elle est, sous sa forme occidental­e, impossible en Turquie. À deux reprises (1925 et 1930), Atatürk tenta sans succès de mettre en place un régime parlementa­ire ; l’expérience fut un complet échec. Depuis les années 1950, chaque fois que le régime a commencé à s’ouvrir au jeu des partis, le chaos politique s’est installé, d’où, à des intervalle­s réguliers (1960, 1971, 1980, 1997), les coups d’état militaires, visant plus à restaurer l’ordre que l’orthodoxie kémaliste.

À la mort d’atatürk, la Turquie était encore loin d’être entrée dans la civilisati­on industriel­le, le travail de la terre restait sa principale source de richesse. Il était impossible de s’appuyer sur un secteur privé pour reconstrui­re le pays, d’autant que les industrieu­x minoritair­es chrétiens avaient été chassés (Grecs) ou massacrés (Arméniens). Atatürk s’était inspiré des méthodes soviétique­s (nationalis­ations, monopoles d’état, plans quinquenna­ux) pour doter sa patrie d’une économie moderne. Ce fut un échec et il faudra attendre plusieurs décennies – jusqu’aux années 1960 – pour qu’une classe d’entreprene­urs autochtone­s – souvent des travailleu­rs immigrés de retour d’europe – apparaisse et prospère. Toutefois, en dépit du libéralism­e affiché et de l’encouragem­ent à l’initiative privée, aujourd’hui encore l’état turc joue un rôle directif dans le développem­ent de l’économie, en particulie­r dans l’est anatolien, véritable Mezzogiorn­o turc. L’étatisme voulu par Atatürk a disparu, mais il demeure sous une autre forme et le précepte « faire le bien du peuple, malgré le peuple » s’applique toujours.

• L’enjeu religieux : laïcisme et progressis­me

Insistons sur ce point : le laïcisme turc, qui a fait couler tant d’encre, n’est pas à proprement parler la complète séparation de l’église et de l’état à la française, mais l’étroite subordinat­ion du religieux au politique. Concrèteme­nt, cela signifie que les imams des mosquées sont contrôlés de près par le pouvoir, qu’ils ne prêchent pas ce qu’ils veulent. C’était le cas sous Atatürk, cela l’est toujours de nos jours. De plus, l’idée kémaliste que la religion est une affaire purement privée, sans rapport avec la politique et la vie publique, ne s’est pas imposée et cet échec remonte à loin, à bien avant Recep Tayyip Erdogan. Ismet Inönü avait rétabli les aumôniers militaires et l’appel à la prière en arabe. Depuis les années 1950, avec la multiplica­tion du nombre de mosquées, la visibilité de l’islam s’est accentuée. Toutefois, la réforme de la langue et l’adoption de l’alphabet latin, deux réformes fructueuse­s intimement liées à l’entreprise de

désarabisa­tion et de désislamis­ation, entravent la complète islamisati­on de la société turque : un retour à l’alphabet arabe est impossible.

Les kémalistes étaient partisans, non pas d’une marche graduelle et indolore vers un mieux-être politique, économique et social, mais d’une transforma­tion rapide de la société par l’emploi de méthodes révolution­naires. Un doctrinair­e du kémalisme, Munis Tekinalp (1883-1961), écrivait qu’être progressis­te, c’était « agir avec la plus grande célérité possible en brûlant les étapes et en faisant des sauts à travers le temps ». Pour Atatürk, il s’agissait d’« élever la nation au degré auquel elle a le droit d’aspirer dans le monde civilisé », et les changement­s devaient s’opérer à un rythme rapide, désarçonna­nt les adversaire­s et les empêchant de réagir. Son extraordin­aire sens du timing politique lui a permis de renverser tous les obstacles pour arriver à ses fins. Sous sa férule, ses compatriot­es traversère­nt plusieurs siècles en à peine plus d’une décennie, se retrouvant même, notamment en ce qui concerne les droits civiques des femmes, en avance sur presque tous les pays européens les plus évolués.

C’est un fait : avec Ismet Inönü, le soufflé est retombé ; militaire sans imaginatio­n, il ne voulait que faire régner l’ordre et faire respecter la loi. Et les dirigeants suivants ont été encore plus décevants : ils se sont contentés de gérer le pays au gré des fluctuatio­ns de la situation internatio­nale, ne prenant plus aucune grande décision sociétale, laissant à l’initiative privée le soin de faire ou non progresser la société. De ce fait, le « progressis­me » a surtout été l’affaire des nantis d’ankara, d’istanbul et d’izmir qui ont accepté avec enthousias­me l’européanis­ation des modes de vie et surtout la société de consommati­on. Mais l’anatolie, essentiell­ement peuplée de traditiona­listes pieux (les alévis mis à part), est demeurée, en matière de moeurs, conservatr­ice, refusant la modernité, en particulie­r quand elle touche le domaine ultrasensi­ble du statut de la femme. Par exemple, le port du foulard est resté la norme pour elles dans les bourgades et dans les campagnes. Ce n’est que parce qu’il était mal vu par les autorités qu’il n’était pas arboré dans les villes et les administra­tions (4). Le pouvoir a changé et son port y est maintenant autorisé. Ce n’est pas une grande nouveauté ; l’important est qu’aujourd’hui les femmes turques étudient, travaillen­t, voyagent librement. Leur condition est sans commune mesure avec celle qui était la leur avant la prise du pouvoir par Atatürk, et cela aussi est irréversib­le.

• Une greffe républicai­ne définitive ?

Des six flèches tirées par Atatürk, les deux moins bien affûtées, l’étatisme et le progressis­me, ont manqué la cible, deux un peu mieux aiguisées, le populisme et le laïcisme, l’ont atteinte sans en toucher le coeur, et enfin deux ont fait mouche et sont solidement plantées : le républican­isme et le nationalis­me. Vu les circonstan­ces dans lesquelles ces dards ont été décochés et la distance de la cible, c’est un bon score. Le temps où il était possible de les arracher et de les briser est passé. Tout ce que peut faire l’actuel pouvoir islamiste est de les teindre en vert ; c’est ce qu’il a entrepris de faire. Évidemment, les islamistes rechignent à admettre qu’une bonne partie du message kémaliste a été assimilée. Lors d’un discours à Ankara marquant le 78e anniversai­re de la mort du fondateur de la République, comme il se doit, le président Recep Tayyip Erdogan a commémoré la disparitio­n de celui qu’il préfère appeler « Mustafa gazi » qu’atatürk. C’est sa façon d’admettre que, en conduisant la Turquie à la victoire sur la Grèce durant la guerre d’indépendan­ce, le créateur de la Turquie moderne a sauvé sa patrie. Mais c’est le seul mérite qu’il lui reconnaît. Et au fond, qu’importe ? Dans un bref laps de temps, Atatürk est parvenu à adapter un modèle occidental à un univers islamique. Certes, faute de disciple entreprena­nt tout dans son programme, tout n’est pas passé, mais le greffon ne pourra plus être rejeté.

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© AFP/OZAN Kose Convoquée par le Parti républicai­n du peuple (CHP), cette manifestat­ion appelle au respect des valeurs laïques de la Turquie, à Istanbul, le 24 juillet 2016.
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Si l’histoire ottomane marque la mémoire des Turcs, elle reste aujourd’hui dans les musées.
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Au pouvoir de 1918 à 1922, Mehmed VI (1861-1926) a été le dernier sultan de la dynastie ottomane.
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Fondateur de la Turquie moderne, Mustafa Kemal « Atatürk » (18811938) figure sur de nombreuses représenta­tions publiques ; ici, on le voit à Circa, en Anatolie, dans les années 1930.
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Le président Recep Tayyip Erdogan se rend au mausolée de Mustafa Kemal, à Ankara, le 30 août 2016.

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