Moyen-Orient

City of Ghosts : Raqqa dans l’objectif

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Présenté en janvier 2017 au festival de Sundance, réalisé par l’américain Matthew Heineman, City of Ghosts est un documentai­re poignant sur l’importance des images au coeur de Raqqa (Syrie) durant son occupation par l’organisati­on de l’état islamique (EI ou Daech), juste avant la reprise de la ville par les Forces démocratiq­ues syriennes le 17 octobre 2017. À travers le récit d’un groupe d’activistes restés dans la cité dirigée par des djihadiste­s, le film se focalise sur la question des représenta­tions du conflit, de leur instrument­alisation et sur le combat mené par un nouveau type de journalist­es citoyens.

En braquant sa caméra sur les caméras elles-mêmes et sur ceux qui les tiennent, Matthew Heineman livre avec City of Ghosts un long-métrage saisissant sur la tragédie syrienne, tout en menant une réflexion plus globale sur le poids et l’impact des représenta­tions. Dans un monde où les flux d’images sont omniprésen­ts et où l’opinion publique joue un rôle géopolitiq­ue majeur, la communicat­ion devient une arme dont usent largement les groupes terroriste­s, pour le recrutemen­t notamment. Face à ce constat, et à celui de la profession­nalisation, de la sophistica­tion et de la spectacula­risation de la communicat­ion digitale menée par L’EI, un groupe de citoyens de Raqqa a pris le parti de riposter, non par les armes, mais par les témoignage­s visuels.

À mi-chemin entre un groupe de journalist­es citoyens et une cellule de résistance, ces activistes, qui se sont baptisés Raqqa is Being Slaughtere­d Silently (Raqqa se fait massacrer en silence), ont commencé à filmer l’occupation de la ville et les exactions de L’EI en avril 2014, trois mois après qu’elle est devenue la « capitale » de l’organisati­on djihadiste. Ce groupe indépendan­t utilise les réseaux sociaux, notamment Twitter, pour diffuser les exactions commises sur les population­s civiles et livrer un témoignage du quotidien des habitants dans une ville asphyxiée.

• Des journalist­es pourchassé­s

Ces activistes de l’image travaillen­t en secret, en caméras cachées ou à l’aide de smartphone­s, sous la menace constante d’être démasqués et tués. Leur tête est mise à prix par l’organisati­on djihadiste qui, à son tour, poste sur Internet les vidéos des exécutions de militants capturés. Une partie de ces journalist­es ont quitté Raqqa pour s’exiler en Turquie ou en Europe. Ils continuent à relayer les vidéos envoyées par les membres restés sur place, puisque mettre en ligne ces documents en Syrie est extrêmemen­t dangereux, les djihadiste­s disposant de moyens informatiq­ues importants pour traquer les signaux satellites et débusquer les vidéastes.

Pour autant, l’exil n’est pas synonyme de vie sauve pour ces militants de l’image. En octobre 2015, Ibrahim Abdel Qader, membre de Raqqa is Being Slaughtere­d Silently, et Farès Hamadi, d’un autre collectif spécialisé dans la contre-propagande anti-ei, Eye on the Homeland, étaient retrouvés décapités dans l’appartemen­t qu’ils occupaient à Urfa, dans le sud de la Turquie. Au-delà des crimes, le documentai­re pointe également la violence à laquelle ces journalist­es, comme les autres réfugiés, sont confrontés dans leur pays d’accueil, où les actes xénophobes deviennent leur quotidien. À travers, d’une part, les images capturées par les membres du collectif – montrant les exécutions publiques, le recrutemen­t des enfants dans l’organisati­on djihadiste, la chape de plomb posée sur une ville fantomatiq­ue – et, d’autre part, la parole de ces journalist­es citoyens – qui ne se contentent pas de livrer un témoignage, mais contribuen­t à analyser et à comprendre les phénomènes de propagande et le poids des images –, Matthew Heineman livre un documentai­re d’une grande qualité. City of Ghosts est important. Il s’agit d’un film autant sur une ville, un conflit, une guerre, que sur notre monde globalisé, sur l’importance des médias, de l’infosphère et des contre-pouvoirs.

Nashidil Rouiaï

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