Repères Turquie : Cartographie
Trait d’union géographique entre l’europe et l’asie, État tampon entre l’union européenne (UE) et le Machrek, la Turquie (783 562 kilomètres carrés et 80,8 millions d’habitants en 2017) a toujours été « à part ». Sa république, héritière de l’empire ottoman (1299-1923), est jeune, et s’est construite avec une identité forte : la nation turque n’est ni arabe, ni perse, ni confessionnelle. Elle est certes à majorité musulmane (sunnite hanafite), mais a érigé la laïcité comme principe fondateur. L’accélération de la mondialisation, l’émergence économique et le bouillonnement culturel semblaient devoir pérenniser cette option et promouvoir un développement durable de la démocratie. La main autoritaire de Recep Tayyip Erdogan, Premier ministre (20032014) puis président (depuis 2014), change cette perspective, à tel point qu’on est en droit de s’interroger : où va la Turquie ?
Aux yeux de nombreux Européens, la Turquie est d’abord une destination touristique à l’histoire unique, avec son patrimoine (de la cité antique Éphèse jusqu’à la Mosquée bleue d’istanbul) et sa gastronomie ; un « Orient rassurant », où l’on pouvait vivre à l’occidentale en oubliant les guerres dans les provinces kurdes du sud-est ou en Syrie et en Irak. Pourtant, cette « carte postale » n’est plus d’actualité. Pour le comprendre, il suffit justement d’observer les chiffres du tourisme : les revenus du secteur ont baissé de 30% entre 2015 et 2016, passant de 31 milliards de dollars à 22 milliards ; même constat quant
au nombre de visiteurs, 42 millions contre 31 millions, selon les données officielles. Le tourisme est pourtant un secteur clé du PIB turc (environ 5 %), et son évolution n’est pas sans inquiéter les autorités, même s’il a commencé à se redresser en 2017. D’après le Fonds monétaire international, les principaux obstacles sont le terrorisme et les incertitudes politiques intérieures (1).
Un tournant est intervenu en 2016, point culminant d’une série d’attaques meurtrières (400 en 2015, plus de 500 en 2016, contre une moyenne annuelle de 70 entre 1990 et 2014), notamment à Ankara et Istanbul. Le pays paie le prix de la reprise des combats, à partir de l’été 2015, entre les forces de sécurité et les membres du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), ainsi que de son engagement dans le conflit syrien contre le régime de Bachar al-assad. La Turquie pâtit également de la dégradation de son image du fait des restrictions des libertés imposées par le pouvoir, surtout depuis le coup d’état manqué de juillet 2016, date depuis laquelle Erdogan exerce une pression dans tous les secteurs (administration, armée, police, justice, religion, économie, presse), procédant à des purges et à des arrestations d’hommes politiques, de militaires, d’intellectuels…
• Un régime invulnérable ?
Les alertes ont certes été nombreuses depuis l’arrivée au pouvoir d’erdogan, qui a fait de la Turquie la puissance économique qu’elle est devenue. Mais l’on retiendra la date du 16 avril 2017, lorsque le « oui » l’a emporté au référendum constitutionnel qui doit permettre de transformer le pays en un système présidentialiste, c’est-à-dire de renforcer les pouvoirs du chef de l’état. Faut-il y voir l’institutionnalisation d’un système personnel, populiste et autoritaire ? Sans doute, répondent certains experts, rappelant les initiatives qui tendent à marginaliser l’opposition, particulièrement visée depuis le mouvement de contestation de Gezi de 2013 et le putsch de 2016. Toutefois, il est important de rappeler que le « oui » n’a obtenu que 51,4 % des voix, indiquant qu’une large part des citoyens reste opposée aux ambitions du président et rappelant que la société est polarisée (bourgeoisie puritaine, couches défavorisées, classes moyennes, jeunesse urbanisée et éduquée, etc.).
Dans un tel contexte, la Turquie fait face à de nombreux défis : économiques, politiques, sociétaux et diplomatiques. L’émergence n’est plus ce qu’elle était, avec un taux de croissance en baisse (2,8 % en 2016, contre 11,1 % en 2011) et une corruption importante. L’UE et les États-unis, principaux partenaires d’un membre stratégique de L’OTAN, s’inquiètent des évolutions du régime. Le Parti de la justice et du développement (AKP) se transforme et Erdogan affirme sa puissance, mais ils ne sont pas incontestés, car les forces d’opposition restent mobilisées et la société turque s’interroge sur son avenir. Celle-ci subit notamment les conséquences de la guerre en Syrie : au 9 novembre 2017, la Turquie accueillait 3,3 millions de réfugiés syriens sur les 5,3 millions enregistrés par les Nations unies. Cette présence, qui a transformé la démographie de certaines régions frontalières, pose des problèmes matériels, mais pourrait influer sur les équilibres politiques du pays. G. Fourmont
Note
(1) FMI, Turkey: 2017 Article IV Consultation-press Release; Staff Report; and Statement by the Executive Director for Turkey, 3 février 2017.