Moyen-Orient

Demain, une guerre entre Israël et l’iran ? Analyse des enjeux vus du côté israélien

Demain, une guerre entre Israël et l’iran ? Analyse des enjeux vus du côté israélien

- Sylvain Cypel

Alors que se dessine en Syrie une victoire des forces du président Bachar al-assad (depuis 2000), la perspectiv­e d’un affronteme­nt entre Israël et l’iran se fait plus menaçante. C’est une nouvelle page de l’histoire de la région qui risque de s’ouvrir (1).

Le 7 février 2018, le think tank Internatio­nal Crisis Group (ICG) publiait un rapport sur Israël, le Hezbollah et l’iran en Syrie (2). Il disait ceci : d’abord, une « nouvelle phase » s’est ouverte dans la guerre, où une escalade a été lancée par l’armée israélienn­e. Son motif : Israël craint que le pays se transforme en une base iranienne pérenne. Ensuite, les « règles du jeu » qui ont empêché depuis 2006 le litige entre l’état hébreu et le Hezbollah – supplétif du régime syrien dans la guerre – de dégénérer en affronteme­nt généralisé se sont érodées. Désormais, « une guerre plus large est à la portée d’une simple erreur de calcul » de l’un ou l’autre des protagonis­tes (Israël, Hezbollah, Iran). Trois jours plus tard, arguant de l’intrusion d’un drone iranien dans son espace aérien, l’armée israélienn­e bombardait un poste de commandeme­nt iranien en Syrie et plusieurs bases militaires syriennes. Un de ses avions de combat F-16 était abattu, frappé par un missile sol-air tiré par des batteries russes fournies à l’armée syrienne. Depuis le début de la guerre, en 2011, Israël a mené plus de 100 frappes aériennes en territoire syrien, surtout contre des bases ou des transports d’armes du Hezbollah et, occasionne­llement, contre les Iraniens. Or, jusqu’au 10 février 2018, Iraniens et Syriens n’avaient jamais été capables d’une telle riposte.

Des rebelles syriens armés par Israël

L’augmentati­on des frappes israélienn­es en Syrie n’a pas débuté avec la perte du F-16. Elle a été engagée dès le début de 2018. Pour quel motif ? Israël s’est longtemps abstenu de soutenir l’un ou l’autre des camps en guerre en Syrie, se contentant d’y agir militairem­ent pour faire respecter ce que le Premier ministre, Benyamin Netanyahou (depuis 2009), a défini comme ses « lignes rouges » – dont les principale­s consistent à empêcher Téhéran d’approvisio­nner le Hezbollah en missiles et autres armements au Sud-liban, et à interdire à ce dernier et aux Iraniens de se rapprocher de la « frontière » que représente la ligne d’armistice acceptée en 1974 par Israël et la Syrie, qui sépare le Golan occupé du sud-ouest syrien. Or, à la mi-septembre 2017, la Russie, l’iran et la Turquie ont signé un nouvel « accord de désescalad­e » qui a marqué une fin de non-recevoir aux revendicat­ions israélienn­es.

Israël a notifié aux signataire­s de l’accord qu’il exigeait un retrait des forces iraniennes et de leurs supplétifs (Hezbollah et autres) à plus de 60 kilomètres de « sa » frontière sur le Golan. Mais l’accord final autorisait ces forces à s’en approcher à 20. Depuis, « des agents du Hezbollah et

des Gardiens de la révolution iraniens s’avancent jusqu’à la frontière », note Amos Harel, l’expert militaire du journal Haaretz (3). Pour les stratèges israéliens, ce fait est dû en premier lieu au retrait de facto des Américains du terrain syrien, qui permet aux vainqueurs de la guerre (le régime de Damas et l’iran) de s’enhardir. D’où l’augmentati­on des frappes israélienn­es en Syrie. D’où, aussi, un accroissem­ent des livraisons d’armes qu’israël fait parvenir aux rebelles dans cette zone. Au-delà de cet objectif conjonctur­el, Israël « veut empêcher ses adversaire­s [iraniens] de consolider une présence militaire perpétuell­e en Syrie », selon L’ICG. L’état hébreu, qui dispose de bases sur la moitié du plateau du Golan, entend interdire à l’iran d’établir en Syrie un aéroport, un port et une base militaire permanente, ainsi qu’un site de fabricatio­n de missiles de haute précision. Or cet objectif semble hors de portée. D’où, aussi, dans certains milieux sécuritair­es israéliens qui ont de tout temps fait de leur « capacité de dissuasion » la pierre de touche de leur vision stratégiqu­e, une forme d’impatience due au sentiment d’échec. Israël a procédé, au début des années 2000, à un renverseme­nt historique de sa stratégie régionale. Sous David Ben Gourion (1948-1963) et ses successeur­s, l’ennemi prioritair­e était le monde arabe sunnite. Les autres, Perses, Turcs, minorités diverses (Kurdes, chrétiens, druzes, etc.), Israël devait soit s’en rapprocher, soit adopter envers eux une attitude de neutralité. Désormais, l’ennemi numéro un, c’est l’iran. D’où le rapprochem­ent avec l’arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Mais, en s’alliant avec la frange conservatr­ice des élites américaine­s sur une ligne anti-iranienne, Israël apparaît plus affaibli que renforcé. Car la République islamique est sortie grandie et même seul vainqueur de la guerre américaine en Irak. Et elle dispose de moyens, en Syrie et au Liban, auxquels elle n’aurait pas rêvé il y a quinze ans. Qui va lui imposer d’y renoncer ? Et comment ?

Appels à l’interventi­on des États-unis

À la conférence de Munich sur la sécurité, les 17 et 18 février 2018, Benyamin Netanyahou a lancé aux Iraniens : « N’essayez pas de nous tester ! » Entendez : notre réponse sera terrifiant­e. Il a menacé, en Syrie, d’« agir si nécessaire non seulement contre les mandataire­s de l’iran, mais contre l’iran lui-même ». Toutefois, personne ne croit Israël capable d’imposer seul sa volonté à Téhé-

ran en Syrie. L’état hébreu a impliqué son lobby aux États-unis, l’american-israel Public Affairs Committee (AIPAC), dans une campagne pour pousser l’administra­tion Trump (depuis 2017) à s’engager plus en Syrie. L’objectif est de ramener l’iran au statut de paria qui lui avait été conféré sous George W. Bush (2001-2009) (4).

Les chances de succès de cette stratégie paraissent faibles. Car en Syrie, les États-unis de Donald Trump ne semblent en avoir ni les moyens ni l’envie. Certes, ils ont décidé d’y rester de manière plus pérenne que leur président ne l’entendait initialeme­nt. Mais de là à concurrenc­er l’influence russe ! Ils en sont loin et peu désireux de s’y lancer. Dans ces conditions, quelle est la marge de manoeuvre d’israël ?

Du côté russe, Benyamin Netanyahou et Vladimir Poutine ont longtemps veillé à préserver une bonne qualité des relations bilatérale­s. Et après l’interventi­on russe en Syrie, fin septembre 2015, Moscou et Tel-aviv étaient parvenus à un accord latent : Israël laissait la Russie sauver le régime de Bachar al-assad et l’aider à récupérer du territoire, et celle-ci fermait les yeux sur les bombardeme­nts israéliens de forces iraniennes ou liées à l’iran. Mais « le sentiment est que cet accord ne tient plus », note l’analyste israélien Anshel Pfeffer, pour qui Moscou ne peut pas, ou ne veut pas, contenir les Iraniens (5). Il décèle deux écoles à l’oeuvre au sein du renseignem­ent israélien : « Les sceptiques croient que Poutine finira par vouloir limiter la liberté d’opération israélienn­e dans le ciel syrien, obligeant Israël à faire des choix difficiles entre rester inactif pendant que l’iran et le Hezbollah construise­nt leurs avant-postes ou se confronter aussi à la Russie. Les optimistes pensent que Poutine sait qu’israël a les moyens de remettre en cause ses succès en Syrie et de menacer le régime d’al-assad, et qu’il optera pour refréner les Iraniens. » La plupart des commentate­urs israéliens penchent dans le sens de la première option, estimant qu’une attaque massive de leur armée contre les bases syriennes et iraniennes pourrait s’avérer problémati­que. Il est peu probable, jugent-ils, que Poutine choisisse le camp israélien plutôt que celui de ses alliés syriens et iraniens. Si Israël élève trop le niveau de sa réponse militaire contre la présence iranienne en Syrie, il pourrait se retrouver seul. L’état-major en est conscient.

Les risques d’une escalade

Dans la classe politique et les médias, des voix s’élèvent pour « donner une leçon » aux Iraniens en Syrie. Aux yeux de Benyamin Netanyahou et de son ministre de la Défense, Avigdor Lieberman, un affronteme­nt militaire beaucoup plus constant avec l’iran et ses alliés locaux mais maintenu à un niveau d’intensité moyenne aurait l’avantage de fixer la question iranienne sur le devant de la scène internatio­nale de manière permanente. Israël bénéficier­ait sur cet enjeu du soutien de Donald Trump et de son proche entourage, les généraux James Mattis (secrétaire à la Défense) et Herbert Raymond Mcmaster (patron du Conseil de sécurité nationale) – les plus hostiles à l’iran dans l’administra­tion américaine. Si Israéliens et Iraniens s’affrontaie­nt dans une sorte de guerre par procuratio­n à feu moyen mais constant en territoire syrien, on voit mal comment les Européens oseraient tourner le dos à Israël et promouvoir la mise en oeuvre de l’accord sur le nucléaire signé en juillet 2015. Benyamin Netanyahou aurait atteint l’objectif qu’il s’est fixé depuis le début de la négociatio­n engagée par Barack Obama (20092017) avec Téhéran : y faire échec. L’arabie saoudite et les Émirats arabes unis applaudira­ient. Reste que, si l’on sait comment les guerres commencent, elles se terminent rarement comme on l’a souhaité. Dans son rapport, L’ICG constatait une « escalade progressiv­e » des affronteme­nts entre Israéliens et forces iraniennes et leurs alliés « définissan­t la géographie de ce que serait une prochaine guerre d’israël contre le Hezbollah et l’iran ». Pour l’éviter, il soulignait que la Russie est le seul acteur « en capacité d’arbitrer » entre les deux parties pour leur imposer un accord. Celui que le think tank appelait de ses voeux conviendra­it que les Iraniens s’éloignent de la ligne d’armistice entre la Syrie et Israël et cessent la constructi­on de bases de missiles en Syrie, en contrepart­ie de quoi l’état hébreu accepterai­t que des forces étrangères puissent rester en territoire syrien. À défaut d’une telle issue, la situation pourrait dégénérer vers « un cycle mortel d’attaques et de réponses dans lequel chacun serait perdant », concluait L’ICG. L’idée peut paraître séduisante. Elle a un seul défaut : on ne voit pas ce qui amènerait Benyamin Netanyahou, pour qui le conflit avec l’iran est aussi vital que l’oxygène qu’il respire, à rechercher un accord avec Téhéran.

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Des soldats israéliens inspectent, à Harduf, dans le nord du pays, les débris du F-16 abattu par les forces syriennes le 10 février 2018.
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