de l’état islamique Les défis de la gouvernance urbaine d’une ville détruite
Depuis la chute de L’EI en octobre 2017, deux conseils civils revendiquent la gestion de Raqqa. Le premier conseil a été formé en mai 2016 par des opposants soutenus par l’armée syrienne libre (ASL), à Gaziantep (Turquie), où siégeait le gouvernement de transition. Il se tient désormais à Sanliurfa. L’autre a été créé en avril 2017, dans le camp d’aïn Issa par les FDS, soutenues par le Parti de l’union démocratique (PYD), comprenant des Kurdes étrangers à la ville. Ce dernier est rejeté par la majorité de la population raqqawie, qui conteste le projet d’intégrer Raqqa au « Rojava », la province kurde autoproclamée dans le nord-est syrien. La population raqqawie s’impatiente de voir les FDS retarder les opérations de déminage et de déblaiement des décombres. Le 10 janvier 2018, le responsable des travaux de reconstruction de Raqqa du conseil civil des FDS a été victime d’une tentative d’assassinat à Tel Abyad. C’est dans ce contexte de grande tension que le directeur général de l’agence américaine pour le développement international (USAID), Mark Green, a fait une visite surprise de la ville le 28 janvier 2018, accompagné du général Joseph Votel, qui a dirigé la bataille de Raqqa. L’enjeu pour les Américains est de soutenir l’effort de reconstruction conduit par les Kurdes avant que des forces salafistes ne puissent reprendre le contrôle de la ville.
Une colonie intérieure de la Syrie (1963-2011)
Ancienne capitale de l’empire abbasside (7501258), rasée par les Mongols en 1258, Raqqa est demeurée une ville fantôme jusqu’à ce que l’empire ottoman (1299-1923), présent en Syrie de 1516 à 1921, y installe une garnison en 1864 pour sécuriser la route de l’euphrate vers Bagdad. La région connaît alors un premier essor économique autour de la culture du coton, à l’initiative de commerçants aleppins. La population se développe, contrôlée par deux rassemblements de familles citadines, les Acharin et les Akrad, qui comptent des éléments kurdes progressivement mêlés aux Arabes. Les seminomades de la région (tribus des Afadla, Sabkha, Beggara, Bou Hamid) utilisent la ville comme marché et empruntent l’argent des semences aux citadins en hypothéquant leurs terres. Ils paient un impôt de fraternité aux Bédouins des Anaza Fedaan. Le mandat français (19201946) encourage la sédentarisation des semi-nomades, crée la première banque agricole afin de libérer les petits propriétaires des citadins et paie les grands chefs nomades pour sécuriser la région. À l’indépendance de la Syrie en 1946, la Djézireh connaît une ruée vers l’« or blanc » du coton conduite par des entrepreneurs d’alep, de Raqqa et de Deir ez-zor, qui installent des motopompes pour irriguer les plateaux. Lors de la République arabe unie (union syroégyptienne de 1958 à 1961), la réforme agraire est adoptée. Arrivé au pouvoir en mars 1963, le Baas entreprend d’atteindre l’autosuffisance alimentaire et de modifier les rapports de production par la création de coopératives. Conçu pour doubler les superficies irriguées du pays (640 000 hectares), le « Projet de l’euphrate » débute avec le soutien financier et technique de l’union soviétique. Trois barrages sont construits,
dont celui de Tabqa, ainsi qu’une ville nouvelle (Thawra, la Révolution) et quinze fermes d’état. La population de Raqqa se diversifie avec l’arrivée d’ingénieurs syriens et des pays de l’est, et une partie des déplacés venant de la zone de construction du barrage (membres de la tribu Walda).
Le brassage de populations dont Raqqa est le témoin s’accompagne d’une réorganisation des hiérarchies sociales sous la houlette du Baas. Des membres des tribus de l’euphrate (les Afadla, Sabkha, Beggara, Bou Hamid), qui adhèrent au parti, reçoivent les principaux postes administratifs. Le politologue raqqawi Sulayman Khalaf a montré comment la nomination de membres minoritaires des tribus à des rangs administratifs a conduit à la rupture des liens tribaux et à leur recomposition, les cheikhs traditionnels étant déclassés (1). Les citadins se trouvent alors écartés du pouvoir municipal, et une partie de leurs terres est confisquée pour développer des logements sociaux et des jardins publics, selon un modèle d’urbanisme soviétique. Mais le régime syrien instaure une politique habile consistant à ne pas couper les notables de leurs bases financières, en n’appliquant la réforme agraire que sur les deux tiers des terres. L’idée est de leur laisser de quoi dynamiser l’industrialisation de la ville. Car le « Projet de l’euphrate » ne s’est pas accompagné d’un développement industriel. La première usine d’égrenage du coton y est inaugurée en 2004, mais il n’y a aucune filature, toute la chaîne de transformation textile s’effectuant à Alep. Le sous-équipement de la Djézireh fait dire aux intellectuels que la région est une « colonie intérieure » de la Syrie pillée au seul profit d’autorités corrompues.
À partir de 2001, le régime de Bachar al-assad (depuis juillet 2000) se lance dans une politique de libéralisation économique. Elle se traduit à Raqqa par le démantèlement des fermes d’état distribuées aux anciens propriétaires, aux ouvriers et aux fonctionnaires par lots de trois hectares. Mais les bénéficiaires n’ont pas les moyens d’exploiter ces lopins. Ces terres sont rachetées de manière informelle par des entrepreneurs moyens qui développent de grands domaines, bénéficiant de l’eau subventionnée par l’état. C’est une contre-réforme agraire. Des investisseurs aleppins et raqqawis créent des filatures, une université privée est ouverte ainsi qu’une faculté agricole. Deux vastes complexes industriels, dont l’un au capital de 30 millions de dollars, sont édifiés à la périphérie de Raqqa. Ils comprennent les quatre premières filatures de la ville. Toutefois, ces investissements sont insuffisants pour lutter contre le chômage. Cinquième ville de Syrie, Raqqa est pauvre et négligée par le régime.
L’invasion de l’irak par les forces américaines en 2003 constitue un choc pour les populations raqqawies. Des soldats de l’armée irakienne mis à pied forment des mouvements salafistes qui soutiennent Al-qaïda. Ils sont présents à Raqqa dès cette date. Dans ce contexte de bouleversement géopolitique et de déclassement économique, l’ensemble du Moyenorient subit alors une sécheresse exceptionnelle, entre 2007 et 2009, qui décime la moitié des cheptels ovins. Des milliers de ruraux s’amassent dans les quartiers informels du nord de Raqqa, de Hassatké et de l’est d’alep. La sécheresse est aggravée par la suspension des subventions sur les hydrocarbures décidée en 2008, dans un contexte de crise économique mondiale. À la veille du « printemps arabe » de 2011, Raqqa présente un chômage des jeunes massif (un sur deux) et un conservatisme grandissant. Les plus chanceux des enfants raqqawis parviennent à émigrer en Arabie saoudite ou dans les monarchies du Golfe en quête de travail pour soutenir leur famille.
De l’« hôtel » de la Syrie à la « capitale » de la révolution
Au début du « printemps arabe », Raqqa est l’une des villes où les combats sont les moins intenses, les principaux cheikhs de tribu recevant des subventions du régime pour maintenir l’ordre. Mais une rupture générationnelle se fait jour. Les enfants exclus de la
croissance économique des années 2000, dépourvus de terres et d’emplois, regagnent L’ASL ou forment des bataillons salafistes. En quête de revanche contre le régime, accusé d’avoir entravé leur développement et de les avoir spoliés, les jeunes hommes des tribus de l’euphrate soutiennent les mouvements de libération infiltrés dans la région dès 2011, tandis que leurs parents restent fidèles au régime, non pas par attachement, mais par tactique.
En novembre 2011, le calme qui règne à Raqqa est si grand que le président Bachar al-assad s’y rend pour célébrer l’aïd al-adha. Afin de garantir la sécurité du chef de l’état, 55 millions de livres syriennes (825 000 euros) sont distribuées aux cinq principaux chefs de tribu (Mohamed al-huwaidi, cheikh des Afadla ; Abdel-mohsen Anwar Rakan alsawan, des Al-sabkha ; Mohamed Ismaïl al-berri, des Al-bou Khamis ; et Khalil Ibrahim al-kachcheh, de la tribu des Al-majadmeh). Ces derniers reçoivent aussi des paiements pour protéger les pipelines qui conduisent le pétrole des champs de Deir ez-zor à la raffinerie de Homs (2). En janvier 2012, le régime organise la dixième Rencontre des tribus syriennes à Raqqa afin de publiciser ces allégeances. En 2011-2012, elle est une ville tranquille, au point que des dizaines de milliers de déplacés des villes et des campagnes d’alep, de Hama et de Homs s’y réfugient.
Le 2 mars 2013, Raqqa tombe entre les mains de l’opposition armée au terme de brefs combats. Cette victoire est le fait d’une coalition d’unités affiliées à L’ASL et de groupes islamistes indépendants regroupés dans le Jabhat Tahrir al-raqqa (Front de libération de Raqqa), créé en décembre 2012. Les principaux artisans de cette victoire sont le Harakat Ahrar alsham al-islamiyya (Mouvement des hommes libres de la Syrie islamique), un mouvement djihadiste qui limite ses ambitions à la Syrie et ne prône pas un djihad global comme Al-qaïda et Jabhat al-nosra (3). Un conseil municipal révolutionnaire est créé, soutenu par le Harakat Ahrar al-sham al-islamiyya, mais compte des fonctionnaires et des ingénieurs de la ville issus des principales familles citadines, peu radicalisées.
En mars 2013, les habitants de Raqqa, des jeunes réunis dans l’union des étudiants libres, les organisations de la société civile telles que Notre droit (Haqquna) ou les Petits-enfants de Rashid expriment leur fierté d’être libérés. Pendant cinq jours, des jeunes conduisent la campagne « Le drapeau de la révolution me représente », destinée à peindre l’objet sur les murs des principales voies du centre-ville. Ces groupes citoyens déblayent les gravats et nettoient les rues. Une distribution de pain pour les plus démunis est menée. Des manifestations ont lieu pour réclamer le paiement des salaires.
Raqqa, centre du « califat » de L’EI
La période de joie relative lors de la libération de la ville ne dure que quelques semaines. Dès avril 2013, des
membres de L’EI s’y infiltrent. Abou Bakr al-baghdadi affirme que Jabhat al-nosra est une émanation de son mouvement et annonce qu’ils fusionnent, propos rejetés par le dirigeant du second, Abou Mohamed al-joulani. Le 14 mai 2013, Daech exécute trois citoyens alaouites accusés d’espionnage. Des habitants de Raqqa produisent alors des tracts anti-ei et appellent L’ASL à intervenir. Mais au cours de l’été 2013, L’EI parvint à prendre le contrôle de la ville en soumettant Jabhat al-nosra. Des activités islamiques sont alors organisées : lectures du Coran et séances de prédication. Les militants critiques à l’égard de L’EI sont persécutés, dont les membres de la famille Alhaj Saleh, connue pour l’engagement de l’écrivain et militant communiste Yassin. En juillet, les forces d’opposition créent un conseil militaire révolutionnaire affilié à L’ASL pour résister à la présence du régime dans le gouvernorat. L’EI y voit une tentative de sahwa (réveil) des forces sunnites tribales contre les salafistes, et le condamne.
Le 15 septembre 2013, L’ASL quitte Raqqa et des panneaux annoncent que la ville est désormais centre de L’EI. En novembre 2013, 14 chefs de tribu de l’euphrate, qui soutenaient auparavant le régime syrien, prêtent allégeance à Daech, dont les deux députés de Raqqa, Mohamed al-huwaidi et Abdel-mohsen Anwar Rakan.
Raqqa est atrocement administrée par L’EI pendant quatre années, jusqu’en octobre 2017. Exécutions publiques et enlèvements marquent une barbarie quotidienne. Des centaines de combattants étrangers rejoignent Raqqa. Certains sont mariés à de jeunes Raqqawies par leurs pères issus des tribus de l’euphrate. La ville comptait de grands mausolées chiites construits par l’iran entre 1994 et 2003 sur les tombes d’ammar ibn Yasir (570-657) et d’uways al-qarani (594-657), compagnons du prophète Mahomet (570-632) tombés lors de la bataille de Siffin (juillet 657). Ils constituaient pour les Raqqawis le symbole de la volonté de division du peuple syrien par l’état alaouite. Ils sont détruits dès les premiers jours du contrôle de la ville par L’EI. Notons que le petit peuple non éduqué visitait le tombeau d’uways, témoignant d’un islam populaire et soufi combattu par les salafistes. Pendant ces quatre années, la société civile raqqawie demeure mobilisée, très courageusement. Les femmes manifestent dès 2013 devant le palais du gouverneur, devenu centre de L’EI, pour la libération de leurs proches prisonniers. Les tagueurs dessinent des messages antidaech. Des manifestations spontanées
de la société civile ont lieu lors de la destruction des croix des trois églises de la ville en 2014, au cri de « Uni, le peuple de Raqqa demeure uni ». Des membres courageux créent le site Internet « Raqqa est égorgée en silence » pour témoigner des exactions, au péril de leurs vies (www.raqqa-sl.com). Des Raqqawis se sont organisés pour racheter les femmes yézidies vendues sur le marché aux esclaves, afin de les protéger (même si certains en ont fait des domestiques). Des écoles clandestines pour filles sont créées. La population est détenue en otage. Les passeurs demandent près de 500 dollars par personne pour rejoindre Tel Abyad et la Turquie.
Les forces de la coalition internationale bombardent les militants de L’EI de juin à octobre 2017, tandis que les FDS se battent, appuyées par 4 000 soldats américains. Raqqa est pendant l’été 2017 le « pire endroit sur Terre », selon le conseiller spécial des Nations unies, Jan Egeland, qui exige la création de corridors d’évacuation pour les 20 000 civils utilisés comme bouclier humain par L’EI. Au total, 2 323 civils, pour la plupart des otages de djihadistes, y seraient morts, dont 1 321 sous les bombes de la coalition, selon le Syrian Network for Human Rights. Près de 80 % des immeubles sont détruits, ainsi que toutes les infrastructures.
Deux conseils civils (octobre 2017janvier 2018)
Quand la ville est conquise en octobre 2017, des soldats kurdes brandissent des drapeaux du PYD et des portraits d’abdullah Öcalan, leader du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) turc, branche mère du PYD. Devant la réaction négative des Raqqawis d’aïn Issa, ils sont retirés. Les habitants sont pour la majorité opposés au fédéralisme kurde. Selon une enquête conduite auprès de 80 Raqqawis vivant dans les camps de réfugiés de Turquie, 67 % considèrent que les FDS défendent avant tout des priorités kurdes, 65 % disent préférer que la gestion de la ville relève de Damas plutôt que des Kurdes des FDS, 65 % estiment que la réconciliation tribale sera possible, tout en annonçant des règlements de compte dans le sang (4). Afin de contrôler la région, le régime continue de verser les salaires des fonctionnaires, ce qui est nécessaire pour leur famille et les nombreuses veuves.
Un conseil civil de Raqqa est créé en avril 2017 par les FDS dans le camp de déplacés d’aïn Issa, à 40 kilomètres au nord de Raqqa. Il est dirigé par Mahmoud Bursan, le cheikh des Walda, dont les terres ont été submergées par le lac de barrage en 1974, ainsi que par Leila Mustafa, une jeune ingénieure kurde de vingt-neuf ans. Il compte 120 membres, dont 15% sont Kurdes, ce qui est contesté par les opposants raqqawis. L’habileté de Mahmoud Bursan et des FDS est d’être arrivés à convaincre des membres du conseil civil qui a libéré la ville en mars 2013 de les rejoindre. Le but de cette entité est de « gagner la paix », d’assurer la reconstruction, notamment les écoles, en reprenant le programme scolaire syrien du régime. Des élections municipales sont annoncées pour le mois de mai 2018. Ce sera difficile, car si la population veut la paix et retourner dans sa ville, elle ne veut pas que Raqqa rejoigne le Rojava kurde, au sein de la province Al-furat.
À ce conseil s’oppose le conseil provincial de Raqqa, dirigé par Saad Shawish et composé des révolutionnaires qui ont libéré la ville en mars 2013. Il est plus légitime, mais sans moyens réels. Créé à Gaziantep, il est installé à Sanliurfa, liée administrativement à Raqqa sous les Ottomans. Ses membres, issus pour partie de l’union des enseignants de Raqqa, publient des magazines (Al-harmel,
Ennab Baladi). Son dirigeant refuse catégoriquement l’intégration de Raqqa au Rojava et souligne que les Kurdes n’ont pas à diriger la ville, alors « qu’ils constituent moins de 15 % de la population du gouvernorat » (5). En mai 2017, le gouvernement syrien d’opposition installé à Gaziantep a organisé des élections pour désigner le chef ainsi que les dix membres du conseil provincial de Raqqa. Mais les FDS multiplient les erreurs de gestion de la ville. Le 26 octobre 2017, elles ont blessé dix habitants qui souhaitaient regagner le quartier de Machlab, dont les chefs avaient soutenu le régime puis L’EI. On les accuse de réclamer des indemnités de déminage trop élevées. Chaque semaine, des civils meurent ou sont mutilés à cause des mines ou des munitions et missiles qui n’ont pas explosé. Il est vrai que la tâche des FDS est immense : déblayer les gravats des rues et ruelles, donner une sépulture aux victimes tombées sous les décombres, remettre en état le réseau d’eau et d’électricité. Elles n’ont pas de véhicules de déminage, leur technique consistant à jeter des bombes artisanales à l’entrée de chaque immeuble afin d’y faire exploser les mines dissimulées par L’EI. Ainsi les immeubles les moins détruits sont achevés de l’intérieur. En l’absence d’état central, les FDS facturent l’utilisation des tractopelles 100 dollars par heure aux particuliers. Ceux qui ne peuvent payer vendent le droit de récupérer le métal des armatures d’acier de leur immeuble détruit. En l’absence de matériau de construction, un marché de l’acier d’occasion est apparu dans le quartier industriel de Roumeila. Il serait possible d’utiliser les décombres pour fabriquer des parpaings, comme cela est en discussion à Mossoul (Irak). Les rues principales de la ville sont désormais dégagées, mais les immeubles sont en ruines. Les campagnes de Raqqa, les plaines fertiles et les plateaux irrigués par les canaux sont dévastés. La production agricole est moribonde alors que les canaux d’irrigation sont détruits et l’essence trop chère pour actionner les motopompes qui irriguaient les plateaux dès les années 1950. Raqqa n’a aucune autre ressource que son fleuve et son agriculture. Les hydrocarbures sont à Deir ez-zor, à 130 kilomètres, et les raffineries à Homs. Économiquement, le gouvernorat de Raqqa est dépendant du reste de la Djézireh, et ne pourrait survivre dans le seul Rojava.
Les FDS tentent de convaincre les villageois de leur prêter allégeance. À Karama, elles le font en leur promettant la libération des membres des tribus qui ont soutenu L’EI (6). Elles enrôlent de force les jeunes pour six mois, leur enseignant le kurde, ce qui est mal perçu par la population arabe. Amnesty International a montré que les FDS ont détruit deux villages et interdit à des centaines de familles arabes soupçonnées d’avoir soutenu L’EI de retourner chez elles (7). Kobané et Qamishliyé ont des conseils locaux kurdes, ainsi que Tel Abyad, où la polygamie a été décrétée illégale. La tâche la plus urgente consiste à refonder le système éducatif pour les centaines de milliers d’enfants qui ont été traumatisés par la guerre et l’endoctrinement de L’EI. Le gouvernorat comptait 1 500 écoles avant le début de la guerre, elles sont toutes à reconstruire. La population raqqawie, appauvrie, dans des camps de fortune, tente de survivre et n’a pas de recours politique autre que celui du plus fort, en l’occurrence les FDS. Les opposants raqqawis dénoncent le projet fédéraliste annoncé par celles-ci pour la région de Raqqa (8). Des élections municipales sont annoncées pour mai 2018, afin de concilier les deux conseils locaux. Le slogan du conseil local de Raqqa en 2013 est plus que jamais d’actualité : « Rien n’est plus précieux que la liberté, et le pire péché est de la voler ».