« On ne peut pas laisser l’afghanistan aux talibans, c’est une faute morale »
Ethnologue et historien américain, professeur à l’université de Princeton (États-unis) et à l’université américaine de Kaboul (Afghanistan) ; auteur de nombreux ouvrages, dont, en français, Le royaume de l’insolence : Afghanistan 1504-2011 (Flammarion, 2011) et Massoud : De l’islamisme à la liberté (Louis Audibert, 2002) Guerres contre les Soviétiques, les Américains, conflits civils, talibans…, l’afghanistan est entré dans un cycle de violence en 1979. Pourquoi n’en sort-il pas ?
Il n’en sort pas à cause d’un vice de forme dès le départ. La crise actuelle est née presque au moment du conflit israélopalestinien. En 1947, l’afghanistan commet une erreur diplomatique catastrophique : il vote contre l’adhésion aux Nations unies du Pakistan à peine indépendant. L’empire britannique avait annexé, en 1893, des territoires d’origine afghane, dont le Pachtounistan, pour des raisons stratégiques ; c’est la fameuse ligne Durand. Quand il se retire en 1947, les populations de cette zone doivent se prononcer pour une adhésion soit à l’inde, soit au Pakistan. Kaboul proteste auprès des Britanniques et de leurs successeurs pakistanais pour proposer une autodétermination en vue d’un rattachement à l’afghanistan. Londres refuse, Islamabad aussi. Le gouvernement afghan dénonce alors la frontière et revendique ces territoires. Or L’URSS soutient aussitôt Kaboul face au Pakistan, lequel s’allie donc avec les États-unis.
Néanmoins, dans les comptes rendus des militaires britanniques sur leur retrait, Londres avertit les Américains qu’ils ne peuvent plus garantir que l’inde ne serait pas tentée de se rapprocher des Soviétiques. En revanche, ils rappellent qu’il reste essentiel que le Pakistan, où se trouvaient les bases indo-britanniques les plus importantes, demeure dans le camp occidental, assurant un couloir menant d’asie centrale au golfe Persique.
Se met en place dès 1947 un affrontement à mort entre le Pakistan et l’afghanistan, car ce dernier représente pour Islamabad un danger pour son unité territoriale. L’afghanistan, alors monarchie résolument laïque et nationaliste, s’affirme neutre, mais demeure soutenu par New Delhi et Moscou. Le Pakistan s’arme grâce aux Américains et intègre en 1953 le pacte de Bagdad (CENTO), pendant moyen-oriental de L’OTAN. Le gouvernement afghan avait bien perçu que la stratégie pakistanaise consistait à vouloir placer à Kaboul un exécutif islamiste dominé par l’idéologie en cours au Pakistan qui répondrait aux intérêts pakistanais, renoncerait aux revendications territoriales et serait un allié contre l’inde. Et si cela s’avérait impossible, il lui fallait faire en sorte que Kaboul soit incapable de maîtriser son propre territoire ; pour cela, les autorités pakistanaises appuieraient des forces contestataires islamistes.
En 1953, la monarchie afghane hésite cependant à accepter l’aide des Soviétiques et, avec l’adhésion du Pakistan au CENTO, pense se rapprocher des États-unis, avec cette idée que cela la protégerait d’islamabad. Mais Washington refuse que l’afghanistan entre dans l’organisation, argumentant que fournir des armes aux Afghans causerait plus de problèmes que cela en résoudrait, tout en conseillant à Kaboul de régler le litige du Pachtounistan directement avec Islamabad. Les États-unis vont plus loin en trahissant le secret diplomatique : ils font parvenir une copie de leur lettre de refus à l’ambassade du Pakistan à Washington ; et, pire encore, l’afghanistan l’apprend ! Et accepte donc l’offre soviétique.
L’afghanistan tombe alors sous l’influence soviétique. Le prix à payer est cher : une guerre de dix ans (1979-1989). Comment est-on arrivé à l’internationalisation du conflit avec les talibans et Al-qaïda ?
De 1953 à 1978, l’influence soviétique à Kaboul devient forte. Au début de cette période, les États-unis tentent de donner une assistance pour la contrecarrer, même si Washington se rend compte que Moscou a parfaitement noyauté l’armée et la police afghanes, particulièrement l’état-major, formé en URSS. À compter d’avril 1978, date du coup d’état contre Mohammad Daoud Khan (1909-1978), la persécution tous azimuts contre quiconque n’adhérait pas à la ligne du président Nour Mohammad Taraki a touché les libéraux, les religieux, les maoïstes, provoquant des mutineries dans l’armée, des soulèvements dans les campagnes. En décembre 1979, Léonid Brejnev (1964-1982) décide d’envoyer l’armée rouge, avec l’idée de permettre au gouvernement communiste de Kaboul de se solidifier, de gagner du temps. C’est une erreur, car l’initiative soulève contre Moscou une coalition proprement formidable. Pour le Pakistan, c’est la preuve que l’afghanistan est bien un vecteur antipakistanais inadmissible pour la sécurité du pays. En revanche, dans la stratégie soviétique à l’époque, Léonid Brejnev croit gagner en misant sur des élites militaires locales marxistes-léninistes, comme au Sud-yémen, qui prendraient le pouvoir et accepteraient la lourde présence soviétique. L’armée afghane communiste ne suffit pas, étant débordée tant dans l’est du pays, où la résistance est éparpillée, que dans l’ouest, où elle s’organise autour de la mutinerie militaire d’ismail Khan (né en 1946) à Hérat. Cela donne une idée de la catastrophe afghane dans les années 1980, laquelle se poursuivra jusqu’en 1996.
Le président pakistanais d’alors, le général Mohammad Zia-ul Haq (1978-1988), est un ancien mercenaire ayant servi en Jordanie en 1971 lors du « Septembre noir ». Il a retenu la leçon de ne jamais permettre à des réfugiés sur le territoire national de créer une formation politique pouvant mettre en péril le régime du pays hôte ; il fallait donc maintenir à tout prix la division de cette résistance afghane.
De 1980 à 1986, les Soviétiques poussent dehors toutes les populations frontalières vers le Pakistan, pour isoler le coeur du pays et mieux l’écraser. Arrivant à la frontière, ces individus se voyaient demander par les gardes-frontières pakistanais de quel parti politique afghan ils étaient membres. Les réfugiés s’entendaient dire que s’ils n’en avaient pas un, ils ne se seraient pas déclarés aux Nations unies pour recevoir tente et rationnement. Résultat : le Pakistan divise la résistance afghane en six mouvements, notamment celui de Gulbuddin Hekmatyar (né en 1949), islamiste sunnite radical et chef du Hezb-e Islami. Avec la perte de l’iran comme allié depuis la révolution islamique de 1979, le Pakistan se retrouve en première ligne avec l’aide des États-unis, de la Chine et de l’arabie saoudite ; il assure son soutien logistique et militaire aux forces de la résistance afghane contre le gouvernement communiste afin de garantir, comme toujours, que Kaboul ne puisse pas contrôler son territoire et, éventuellement, qu’un Afghanistan postsoviétique ne tombe pas sous l’influence iranienne. Pour les Chinois, le Pakistan se présente comme un allié contre l’inde, offrant un corridor entre la République populaire et l’entrée du golfe Persique. Il fallait donc, pour Islamabad, pousser les sunnites afghans radicaux dans le but de neutraliser les sentiments nationaux et d’empêcher les chiites d’afghanistan de chercher, éventuellement, la protection iranienne. Les États-unis et la Chine tirent profit d’une révolution antisoviétique.
Le retrait soviétique en 1989 laisse certes un gouvernement afghan communiste, avec une certaine structure étatique. Mais une partie de la résistance a compris qu’elle était manipulée par le Pakistan ; c’est le cas d’ahmad Shah Massoud (1953-2001), qui s’inscrit dans la logique laïque et nationaliste de l’ancien régime. Il sait que pour sauver une entité nationale afghane, il lui faut négocier avec le régime communiste après 1989 pour remettre Kaboul intacte aux maquisards. En 1992, la capitale cède et se donne à Massoud ; pour sauvegarder alors l’état, celui-ci maintient par exemple toutes les femmes de la fonction publique (50 % dans les ministères, 70 % dans les corps scolaire et médical). Le Pakistan organise avec Hekmatyar un siège visant à détruire la capitale. Car cela revient à détruire la nation afghane, la ville regroupant toutes les ethnies. Qui contrôle une province est un seigneur de la guerre ; qui contrôle Kaboul peut envisager une envergure nationale. Massoud se retire de la capitale en 1996, car il savait qu’y rester conduirait à l’anéantissement et de Kaboul et du pays. Le Pakistan ne cesse alors de le poursuivre jusque dans son réduit montagnard du nord-est, le Panshir, en s’alliant notamment avec Al-qaïda.
On arrive à une seconde internationalisation du conflit. Pour Oussama ben Laden (1957-2011) et Al-qaïda, l’afghanistan représente une mythologie essentielle. Pour celui-ci et le monde musulman dans son ensemble, le XXE siècle aura été une série d’humiliations ; au lendemain de la Première Guerre mondiale, tous les pays de la région se trouvent sous une forme directe ou indirecte de domination européenne. Puis, il y a le sursaut de Mustafa Kemal « Atatürk » (1881-1938) en Turquie, et celui de l’algérie en 1962. Dans l’opinion musulmane, il n’y a pas plus prestigieux qu’une indépendance obtenue par le prix du sang. Mais l’évolution laïque de ces deux derniers exemples fait apparaître plus que jamais l’afghanistan des années 1980 comme un pays de guerriers résolument musulmans affrontant la nation mécréante par excellence, L’URSS, et se réclamant de la charia. Le retrait soviétique en février 1989 signifie leur victoire. Aussi, pour Ben Laden, fallait-il se débarrasser d’un homme comme Massoud, car il incarnait une continuité plus ou moins laïque, même si musulmane, nationaliste, de l’état afghan. Pour Ben Laden, l’afghanistan devait être la « base », Al-qaïda en arabe, de la contre-offensive contre le monde mécréant d’une part et contre les musulmans traîtres, car trop occidentalisés, d’autre part. C’est dire la force du symbole afghan pour la mouvance d’al-qaïda d’abord et celle de l’organisation de l’état islamique (EI ou Daech) ensuite !
Dans quelle mesure le régime taliban (1996-2001) sape-t-il les bases de l’état afghan ?
Quand les talibans entrent dans Kaboul en septembre 1996, ils procèdent à la destruction systématique des structures étatiques afghanes. Cela consiste à terroriser tout le monde. Quand vous n’êtes pas musulman, on vous dit que vous ne comprenez rien aux valeurs locales, et quand vous l’êtes, on vous intimide en affirmant que vous faites mal la prière, portez mal la barbe, etc. On terrorise ; c’est très commode et habile. Les talibans abattent les trois piliers du nationalisme afghan du XXE siècle. D’abord, la Constitution de 1923 avait promulgué une idée forte : le refus d’identifier les habitants du pays sur les documents officiels en fonction de la tribu ou de la secte religieuse ; tout sujet du royaume était appelé officiellement « Afghan », quelle que soit son origine ethnique. Ensuite, dès 1919, quand l’afghanistan, après avoir mené trois guerres, contraint les Britanniques à reconnaître son indépendance, il sait que la nouvelle nation ne pourra se construire sans une population féminine éduquée, et se lance dans des programmes de scolarisation des filles. Enfin, l’archéologie nationale est promue pour affirmer le passé culturel du pays, qui a des racines profondes, exaltant avec fierté jusqu’au passé préislamique. Les talibans cassent ces trois fondements.
Pour les talibans et le Pakistan, en effet, seuls les Pachtounes doivent régner en Afghanistan. Au nom d’un islam qu’euxmêmes ont interprété, ils renvoient toutes les femmes travaillant dans la fonction publique, entraînant la destruction de la structure étatique. Et ils s’attaquent à l’archéologie en dynamitant les bouddhas de Bamiyan en mars 2001. Il n’existe alors aucune autre identité nationale qu’un panislamisme enseigné dans les écoles, financées par l’arabie saoudite. Oussama ben Laden est conforté dans l’idée que porter une attaque contre les Américains les contraindrait à entrer en Afghanistan, pour qu’ils y soient saignés, comme l’avaient été les Soviétiques. Le 11 septembre 2001 était donc provocation. Mais, pour le Pakistan, il fallait d’abord tuer Massoud afin de provoquer la dissolution de l’alliance du Nord. Ainsi, les Américains n’allaient plus trouver de relais local.
Les États-unis ont prévu de se retirer d’afghanistan, laissant un pays parmi les plus pauvres de la planète. Quel regard portez-vous sur l’intervention étrangère et les effets de son absence ?
Toutes les interventions étrangères en Afghanistan depuis deux siècles ont été négatives. Les Britanniques ont conduit des guerres non pas pour annexer le pays, mais pour qu’il ne passe pas sous domination de l’empire russe. En 1989, les Soviétiques se retirent en espérant que le gouvernement communiste sera suffisamment fort pour que le pays ne soit pas une menace pour L’URSS en Asie centrale. Et depuis 2001, l’intervention américaine est également négative, car elle ne vise pas à reconstruire le pays pour son bien, mais à empêcher que l’afghanistan ne devienne de nouveau une menace pour les États-unis, ne redevienne un « sanctuaire de la terreur ». Les Américains sont certes mus par une tradition enracinée de liberté, avec de vrais idéaux. Mais ils sont intervenus en Afghanistan avec une logique purement négative, une logique qui trahit notre civilisation. L’armée américaine savait d’ailleurs que la guerre était gérable, mais avec des troupes professionnelles et des appuis locaux. La stratégie pakistanaise continue de diviser l’opposition afghane, avec les talibans et à présent L’EI, à côté de laquelle les premiers apparaissent presque comme des « modérés ». Ni Daech ni les talibans ne pourraient opérer sans l’assistance d’une partie de la population, certes, mais pas non plus sans le soutien du Pakistan et de l’arabie saoudite. L’afghanistan reste pour ces deux États le symbole d’une résistance islamiste victorieuse.
La victoire des talibans aurait un impact gigantesque sur le reste du monde musulman. Décomplexifions la situation en employant la terminologie politique de droite et de gauche. Car l’étiquette « islamiste » masque les problèmes. Si l’on prend les mouvements islamiques soutenus par le Pakistan en Afghanistan, on obtient une extrême droite. Les talibans en sont. Car ils sont les partisans d’un pouvoir autoritaire sans Constitution, préconisant l’exclusion ou l’asservissement de parties de la population (chiites, femmes, etc.) ; c’est aussi une force qui a réussi à convaincre une ethnie presque entière, les Pachtounes, qu’elle représente ses intérêts fondamentaux pour les défendre.
Le retrait américain est l’aboutissement de la négativité, car les Occidentaux ont commis l’erreur de ne pas consentir un véritable « plan Marshall » pour sortir le pays du sous-développement. Tout l’argent donné a fondu dans des postes de fonctionnaires ou pour l’armée. Kaboul est en train de pourrir littéralement. La population ne voit pas dans sa capitale une vitrine qui vaudrait la peine d’être défendue. La ville est un scandale d’insalubrité. Les Américains ont contribué à laisser Kaboul et Bagdad à l’état de bidonvilles, c’est une honte.
Peut-on encore parler d’« État » en Afghanistan ? Qu’est-ce que l’« État » afghan ?
Il se constitue essentiellement à partir de 1880 : l’émir Abdur Rahman Khan (1880-1901) reçoit suffisamment d’aide économique des Britanniques pour instaurer un système préfectoral, un peu comme en France, avec des gouverneurs nommés par le pouvoir central et non pas élus localement. Dans l’afghanistan traditionnel, aucun chef n’est reconnu comme légitime s’il ne redistribue pas, auprès au moins des notables, les ressources qu’il a pu obtenir soit du gouvernement central, soit d’une puissance étrangère. Donc le pouvoir central subit des pressions constantes, sachant en plus qu’il n’y a aucune espèce de vénération afghane pour la monarchie en tant que telle. Les souverains afghans étaient des chefs de
guerre remplacés par les plus ambitieux. Avoir un pouvoir fort à Kaboul, c’est nommer des préfets pour éviter la naissance de pouvoirs forts locaux, mais à la condition de redistribuer des financements provenant de l’étranger. Ainsi l’état afghan s’est maintenu cahin-caha. Le président actuel, Ashraf Ghani (depuis 2014), un technocrate, a du mal à se dégager du piège ethnique, car l’état est trop faible. À partir du moment où le pouvoir est perçu comme incapable d’obtenir des soutiens occidentaux, il est très vulnérable, comme si cet échec était de sa faute.
Les talibans et des notables afghans voient ainsi la Russie redevenir une valeur sûre, car la politique du président russe, Vladimir Poutine (depuis 2012), ne varie pas en fonction d’intérêts électoralistes, à la différence de celle de Donald Trump (depuis 2017). Ce dernier a commis une erreur en rompant le dialogue avec Téhéran, car les États-unis se retrouvent en difficulté avec les deux pays voisins de l’afghanistan que sont l’iran et le Pakistan. C’est une aberration. Un écroulement de l’état afghan entraînerait sans doute une guerre ethnique, avec la persécution de chiites, qui par millions prendraient le chemin de l’exil vers l’iran, poussant ce dernier, qui sait, à envoyer des forces terrestres en Afghanistan. Le Pakistan, lui, reste sur sa position de maintenir un Afghanistan faible, pauvre et divisé en permanence. La guerre d’afghanistan est le théâtre d’une guerre plus grande, impliquant toute la zone. Tant que le conflit entre l’iran et l’arabie saoudite durera, toutes les sociétés de la région en souffriront ; on le voit en Syrie, au Yémen, en Irak… Ces tensions ne peuvent se résorber qu’avec le retour de Téhéran sur l’échiquier international. On pense à la visite du président Richard Nixon (1969-1974) à Pékin en 1972, apaisant les conflits américains en Asie. À quand un voyage d’un dirigeant américain dans la capitale iranienne ?
L’afghanistan est un pays aux multiples identités. Comment définissez-vous le « sentiment national afghan » ? Qu’estce qu’« être afghan » ?
À Kaboul, tout le monde a peur et reste dans l’incertitude. Cela dit, les Afghans, quelle que soit leur ethnie, se définissent eux-mêmes comme les « gens de l’intérieur », les autres sont « de l’extérieur ». Par exemple, un Tadjik afghan dira d’un Tadjik du Tadjikistan qu’il est « étranger ». C’est très important. Les Afghans forment une communauté de souffrance, soumis à une catastrophe ; ils ressentent une connivence telle qu’aucun étranger ne peut entrer dans leur intimité. C’est un sentiment national fort. Et donc il n’y a pas de séparatisme : chaque groupe veut sa part du gâteau, certes, mais sans l’émietter, même si de miettes il est fait… C’est un sentiment puissant. Cela ne signifie pas qu’un conflit ethnique ne pourrait avoir lieu, et ce, de manière atroce. Il faut voir les choses différemment : ne disons plus l’état afghan est faible à cause des divisions ethniques ; il est faible, donc les individus se replient sur leur ethnie pour se protéger. L’ethnicité exacerbée est issue de la grande faiblesse de l’état. Depuis des millénaires, une société est tribale quand il n’y a pas d’état pour protéger les individus.
On annonce un retour des talibans à Kaboul inéluctable. Pourtant, leur régime entre 1996 et 2001 a terrorisé la société afghane. Celle-ci se laisserait-elle à nouveau faire ?
Il est certain qu’ils affronteront une forte résistance. Le Pakistan veut que les talibans, une fois à Kaboul, continuent leur mission de démantèlement de l’état afghan. Et, qui dit talibans au pouvoir, dit dissidence de toute ethnie non pachtoune, donc la division ; c’est le but d’islamabad. La terreur sera là, celle qui inspire l’effroi, l’obéissance. Le régime ne pourrait pas s’imposer sans réveiller une résistance qui s’orienterait du côté iranien ; la Russie jouerait l’arbitre, laissant faire ; l’arabie saoudite resterait l’argentier du Pakistan… On est dans la boucle d’une guerre sans fin. Surtout que tous les éléments conduisant à un conflit ethnique, une atrocité à la rwandaise, sont réunis. Il ne faudra pas s’en étonner. J’appelle donc les Américains à leurs responsabilités. On ne part pas ainsi, on ne donne pas un pays à une force d’extrême droite, ce n’est pas moralement acceptable. En revanche, négocier, obtenir des ralliements, surtout consentir à reconstruire l’afghanistan, notamment Kaboul, en faire un lieu de vie décent, c’est ainsi que l’on gagne. Et pas simplement en bombardant des groupuscules dans la montagne.