Freedom Fields : quel terrain pour la liberté dans la Libye postrévolutionnaire ?
La Coupe du monde féminine de football a eu lieu du 7 juin au 7 juillet 2019. Tous les pays n’y étaient pas représentés ; certains, pourtant passionnés de ballon rond, n’ont pas pu y participer faute d’équipe. C’est le cas de la Libye. En pleine guerre civile, avoir une telle équipe féminine serait un luxe. Non, pour Naziha Arebi, la réalisatrice de Freedom Fields, c’est une liberté. Née au Royaume-uni d’un père libyen, elle part à la rencontre de ses racines en 2012, lorsque, après la chute de Mouammar Kadhafi (1969-2011), tout paraissait possible. Ce documentaire, tourné sur cinq ans, suit les espoirs et les combats de Naama, Halima et Fadwa, qui rêvent de devenir footballeuses professionnelles. Cette chronique intime d’un pays en transition rappelle que, même lorsque le conflit fait rage, rêver est le premier pas vers la liberté.
Leur histoire s’ouvre en 2012, lorsque la caméra de Naziha Arebi nous plonge dans la vague d’enthousiasme qui submerge la Libye post-kadhafi. « Je veux être joueuse de football, c’est un désir qui m’appartient. On se doit de satisfaire ses désirs, non ? », s’interroge Halima depuis sa chambre tapissée de posters de l’argentin Lionel Messi. Une phrase forte quand certains dans son pays nient aux femmes le droit au désir et à la satisfaction. Son équipe s’entraîne depuis de nombreuses années, mais n’a jamais été autorisée à participer à une compétition. Beaucoup ont dû la quitter, après leur mariage. « Les petites filles grandissent trop vite », regrette Fadwa, issue d’un milieu plutôt aisé et progressiste. Dans l’équipe, il y a aussi Naama, vivant dans un camp de réfugiés de L’ONU. Le football transcende les frontières sociales. Peut-il également dépasser le joug patriarcal, dont l’étau se resserre dans une société libyenne de plus en plus conservatrice ? « Je n’ai pas peur, nous pouvons représenter notre pays », répond Halima, exaltée à la perspective de leur tout premier déplacement pour un tournoi en Allemagne.
• Un hymne à la sororité
La rencontre sera finalement annulée. À mesure que nous avançons vers la deuxième partie du long métrage, les médias s’enflamment sur le caractère non islamique du football féminin, que les prédicateurs religieux condamnent violemment. Les fatwas pleuvent sur les réseaux sociaux et des groupes islamistes menacent les joueuses. Des militaires doivent se poster aux abords du terrain pour assurer la sécurité des entraînements. À mesure que le chaos politique et sécuritaire s’installe, et que les annulations de compétitions se multiplient, certaines se résignent à abandonner. Mais les trois jeunes femmes ne déclarent pas forfait et organisent, sans le soutien de la fédération, une rencontre au Liban. Les entraînements se font de nuit, à la lumière des phares des voitures de ceux qui les soutiennent encore comme ils le peuvent. La résistance peut prendre de nombreuses formes et la transgression n’est pas toujours là où on l’attend. « Au moins, dans le précédent régime, on pouvait jouer au football », finit par lâcher Fadwa, amère. Leur espoir d’incarner la Libye sur les pelouses internationales semble définitivement avorté. Mais reste-t-il vraiment un pays à représenter ?
Perdre espoir est peut-être le meilleur moyen de le réinventer. C’est la leçon que livrent ces courageuses jeunes femmes dans la dernière partie du documentaire. Nous sommes en 2016, confrontés à l’infinie tristesse d’un peuple libyen face à l’échec de sa révolution. Mais Naama, Halima et Fadwa, infaillibles, décident alors d’utiliser le football comme outil de transformation sociale à destination des populations fragilisées par la guerre civile. Si les défis sont immenses, leur détermination l’est tout autant. « C’est un hymne à la sororité, c’est un film sur les femmes qui n’abandonnent pas », dit Naziha Arebi. C’est parfaitement résumé.
À voir également…
• Still Recording, de Saaed al-batal et Ghiath Ayoub
• Tel Aviv on Fire, de Sameh Zoabi
• Papicha, de Mounia Meddour
• Les Hirondelles de Kaboul, de Zabou Breitman et Eléa Gobbé-mévellec