Fiches pays
Myriam Ababsa (Jordanie), Fabrice Balanche (Syrie), Claire Beaugrand (Koweït), Jean-paul Burdy (Bahreïn, Oman), Denis Charbit (Israël), Olivier Da Lage (Qatar), Hosham Dawod (Irak), Nicolas Dot-pouillard (Territoires palestiniens), Guillaume Fourmont (Arabie
saoudite), Saïd Haddad (Libye, Tunisie), Jean Marcou (Turquie), Daniel Meier (Liban), Ali Mostfa (Maroc), Marine Poirier (Yémen), Jean-luc Racine (Afghanistan), Thomas Serres (Algérie), Clément Steuer (Égypte), Frank Tétart (Émirats arabes unis), Clément Therme (Iran)
Entrouvert en juillet 2018 et véritablement lancé en octobre 2018, le dialogue entre l’administration américaine et les talibans a marqué le calendrier afghan ces derniers mois. Au terme de sa sixième session, tenue en mai 2019, ce dialogue reste lourd d’interrogations : il n’a débouché sur aucune rencontre officielle entre talibans et gouvernement afghan, et laisse sans réponse de multiples questions sur ce que pourrait être l’avenir du pays. La classe politique afghane est divisée en cette année d’élection présidentielle, tandis que le conflit perdure sur le terrain où l’on compte de lourdes pertes.
Le constat est dressé par les généraux américains depuis des années : il n’y aura pas de solution purement militaire au conflit afghan, pour aucun des deux camps. La nomination à Washington, en septembre 2018, d’un représentant spécial pour la réconciliation en Afghanistan, Zalmay Khalilzad, diplomate américain d’origine afghane, a ouvert un nouveau cycle dans la recherche d’un retour à la paix de ce pays sous tension depuis 1979. Entre octobre 2018 et mai 2019, l’émissaire a rencontré six fois les représentants du bureau des talibans installé au Qatar : cinq fois à Doha, une fois aux Émirats arabes unis. Une avancée notable fut annoncée en janvier 2019, confirmée en févriermars : les Américains retireront leurs troupes (les modalités et le calendrier ne sont pas précisés), tandis que les talibans s’engagent à ne pas accueillir de groupes terroristes internationaux. Restent en suspens deux questions majeures : la possibilité d’un cessez-le-feu que rejettent encore les « séminaristes », qui ont lancé leur offensive de printemps, et l’ouverture d’un dialogue direct avec le régime de Kaboul. Une rencontre interafghane prévue à Doha en avril 2019 fut finalement annulée, les deux parties se renvoyant la responsabilité de cet échec.
La Russie a organisé de son côté deux rencontres à Moscou, en novembre 2018 et février 2019, entre des émissaires talibans, des diplomates de nombreux pays et des Afghans de la société civile, des opposants politiques au président Ashraf Ghani, et même des membres du Haut Conseil pour la paix. En sus des tournées de Zalmay Khalilzad dans les pays clés (sauf l’iran), de multiples consultations diplomatiques sur l’afghanistan se poursuivent, comme celles de Téhéran en mai 2019 (Iran, Chine) ou de Moscou où Russes, Chinois et Américains ont appelé, en avril, les talibans à cesser le feu et à négocier avec Kaboul, et ont encouragé la lutte contre l’organisation de l’état islamique (EI ou Daech), Al-qaïda et le Mouvement islamique du Turkestan oriental. Les talibans légitimés sont donc devenus des interlocuteurs reconnus, et le Pakistan, qui a favorisé certaines rencontres, reçoit de nouveau les éloges de Washington après avoir été accusé de « mensonges et tromperies » par Donald Trump.
• Un régime politique affaibli, mais qui se maintient
Informé mais marginalisé de fait dans les négociations avec les talibans, le duumvirat du Gouvernement d’union nationale mis en place après l’élection présidentielle de 2014 est très affaibli, et la présidentielle de 2019, repoussée par deux fois jusqu’à septembre, ne fait qu’accentuer les divisions politiques. Pour tenter de reprendre la main, Ashraf Ghani a organisé à Kaboul une « Grande jirga consultative pour la paix » dont les conclusions, rendues publiques le 3 mai 2019, sont pertinentes, mais n’innovent guère. L’initiative
fut boycottée par la plupart des autres candidats à la présidentielle, dont le numéro deux du régime, Abdullah Abdullah.
Pour autant, la société civile est active et milite, comme nombre de politiques, pour réaffirmer les lignes rouges, et faire en sorte qu’un éventuel accord avec les talibans n’efface pas les progrès acquis depuis leur chute en 2001, en particulier en matière de droits des femmes et de sauvegarde de la république, en dépit de ses défaillances : les législatives prévues pour 2015 n’ont eu lieu qu’en octobre 2018, et la nouvelle Assemblée ne s’est réunie qu’en mai 2019, sans que les résultats de la ville de Kaboul aient été confirmés. Malgré ce contexte politique difficile, et l’insécurité constante (3 804 civils tués en 2018, soit une hausse de 11 % par rapport à 2017, et 7 189 blessés selon L’ONU), les politiques de développement sont toujours à l’oeuvre. Les nouvelles connectivités régionales commencent à prendre corps : vers l’inde, avec le port iranien de Chabahar, et vers l’europe, par la route, en passant par l’asie centrale, le Caucase et la Turquie. Mais le PIB n’a crû que de 1 % en 2018, contre 2,5 % en 2017. Les grandes conférences internationales sur l’afghanistan, comme celle de Genève en novembre 2018, maintiennent le pays sous les projecteurs, mais nul ne sait quelles seraient les conséquences d’un retrait militaire américain, même partiel, à l’heure où Moscou souligne de son côté l’intensification de la menace Daech. Et nul ne sait quelle est vraiment la vision des talibans sur l’avenir de l’afghanistan.