Moyen-Orient

Éditorial

- Par Guillaume FOURMONT

IIl est mort. On le savait malade, exilé à des milliers de kilomètres, mais, même ainsi, il s’est invité en plein débat démocratiq­ue dans un pays que le monde entier regarde comme le laboratoir­e d’un Moyen-orient en proie à l’instabilit­é (un euphémisme) depuis la guerre d’irak en 2003 et les « printemps arabes » de 2011. Zine el-abidine ben Ali est décédé le 19 septembre 2019. Celui qui a dirigé la Tunisie de 1987 à 2011, ayant presque tout connu de l’ère Habib Bourguiba (1957-1987), surtout les secrets du ministère de l’intérieur (et de la répression), s’en est allé à l’âge de 83 ans, moins de deux mois après un autre homme de pouvoir tunisien, Béji Caïd Essebsi, premier président élu démocratiq­uement en 2014. L’avenir du pays est en jeu et la Tunisie semble ne pas avoir le choix : elle est rattrapée par son passé. À moins que la disparitio­n de Ben Ali soit justement le signe que la page est bel et bien tournée – alors que les Tunisiens élisent leur nouveau chef de l’état et leurs députés en septembre et octobre 2019.

Il est certain que la Tunisie est « à part », tant elle paraît suivre un chemin politique serein, voire sain, par rapport à ses voisins libyen ou égyptien, le premier en pleine guerre, le second réinstallé dans l’autoritari­sme militaire que les manifestan­ts avaient pourtant combattu en 2011. Des groupes politiques autrefois interdits sont apparus, des associatio­ns auparavant jugées « indignes » (Droits de l’homme, LGBT, féminisme, entre autres) ont pignon sur rue, écrivains, journalist­es, artistes et cinéastes expriment haut et fort leurs opinions, le patriarcat est combattu jusque dans les textes de loi (héritage, mariage et divorce), tout comme le racisme… La Tunisie serait en passe d’être un « modèle » de transition pour une région souvent condamnée.

Pourtant, les défis sont si multiples. Les espoirs socio-économique­s, qui avaient porté les soulèvemen­ts de fin 2010-début 2011, ont comme été trahis par une classe politique sans projet national, par des leaders perdus dans leur ambition personnell­e. Résultat : le peuple tunisien s’est adonné, en septembre 2019, lors du premier tour de la présidenti­elle à l’une des activités électorale­s favorites de nombreux Européens, notamment les Français : le « dégagisme ». Tous les candidats de l’establishm­ent ont été éliminés. Ce qui paraît un signe de bonne santé démocratiq­ue ne doit pas cependant cacher les problèmes de fond : chômage, insertion des jeunes diplômés, inflation, croissance stagnante… Les aspects économique­s et sociaux sont la priorité d’une majorité de Tunisiens. Alors, une question s’impose face à tant de déception, d’insatisfac­tion et de rapidité en termes de transition démocratiq­ue : une autre révolution est-elle possible en Tunisie ? Une révolution conservatr­ice/populiste ouvrant la voie à d’inquiétant­es régression­s ? Rien n’est moins sûr. PROCHAIN NUMÉRO Dossier spécial sur le nucléaire au Moyen-orient

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