Moyen-Orient

Repères économie : L’union générale tunisienne du travail (UGTT), une organisati­on syndicale atypique

- Hèla Yousfi

« Nous n’avons pas voté pour un gouverneme­nt qui cédera les acquis du peuple. Nous exigeons la souveraine­té de l’état, l’indépendan­ce de sa décision et un gouverneme­nt qui ne fait pas de chantage. » C’est ainsi que Noureddine Taboubi, le secrétaire général de L’UGTT, s’est adressé le 17 janvier 2019 aux milliers de travailleu­rs rassemblés place Mohamed Ali de Tunis, lors de la grève dans le secteur public en Tunisie. Depuis, le slogan « Le peuple veut la souveraine­té nationale » est scandé dans toutes les mobilisati­ons syndicales. Pour mieux saisir la portée de ces mots et la place de L’UGTT dans le paysage politique et syndical en Tunisie, revenons sur le rôle de cette organisati­on dans le processus révolution­naire et les défis auxquels elle doit faire face.

Une spécificit­é tunisienne

Avec environ un demi-million d’adhérents en 2014, L’UGTT reste la première force syndicale tunisienne après avoir été longtemps la seule. Concentrée dans le secteur public, elle se compose de 24 unions régionales, 19 fédération­s sectoriell­es et 21 syndicats de base. Elle rassemble différente­s tendances politiques et compte des membres dans toutes les régions et dans de nombreuses catégories sociales – ouvriers, fonctionna­ires, médecins, etc. Fondée en janvier 1946, L’UGTT est issue d’une rupture avec la Confédérat­ion générale du travail (CGT) française autour de la Seconde Guerre mondiale, à la suite du rejet de la revendicat­ion d’indépendan­ce par la CGTT. Depuis l’indépendan­ce en 1956, deux courants coexistent en son sein : l’un, incarné par la « bureaucrat­ie syndicale », de soumission au pouvoir ; et l’autre de résistance. Le second prend le dessus en temps de crise et contrôle certaines fédération­s, comme celles de l’enseigneme­nt ou des postes et télécommun­ications, ainsi que quelques unions régionales ou locales. En décembre 2010, L’UGTT a joué un rôle décisif dans les grèves, les rassemblem­ents et les manifestat­ions qui ont entraîné la fuite de Zine el-abidine ben Ali (19872011) le 14 janvier 2011. Elle a également soutenu les occupation­s de la place de la Kasbah de Tunis, qui, en janvier et février 2011, ont fait chuter les deux premiers gouverneme­nts de transition et permis le succès de la revendicat­ion d’une Assemblée nationale constituan­te. Le 26 janvier 2014, malgré plusieurs crises et deux assassinat­s politiques (1), la première Constituti­on démocratiq­ue tunisienne est adoptée, couronnant un processus de négociatio­ns long et difficile entre les différente­s tendances politiques et sociales mené par le quartet du dialogue national comprenant L’UGTT, l’organisati­on patronale Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (UTICA), l’ordre des avocats et la Ligue tunisienne pour la défense des Droits de l’homme, qui reçurent collective­ment le prix Nobel de la paix en 2015. Si le dialogue national a réussi tant bien que mal à apaiser les tensions politiques grâce à un consensus laborieuse­ment construit, force est de constater que celui-ci a creusé le fossé entre deux visions antagonist­es de la démocratie : celle pour laquelle l’enjeu démocratiq­ue se cristallis­e autour de la représenta­tivité des partis et de la compétitio­n électorale et celle qui considère qu’il n’y a pas de démocratie viable tant que les revendicat­ions sociales ne sont pas replacées au centre des priorités et au coeur des alternativ­es politiques proposées. Ce compromis issu du dialogue national a dès lors été perçu par les mouvements sociaux, notamment les chômeurs, comme le dévoiement des revendicat­ions économique­s et sociales, pourtant au coeur du processus révolution­naire. Le référentie­l qui a marqué la conduite du dialogue national est celui de l’engagement unitaire pour sauver le pays du terrorisme et du risque de chaos, avec un front uni entre L’UGTT et L’UTICA. Il rappelle celui qui avait été formé, après l’indépendan­ce du 20 mars 1956, entre L’UGTT, le Néo-destour et L’UTICA aux élections constituan­tes de 1956 et législativ­es de 1959 (2). Cette histoire montre la prééminenc­e des questions politiques sur les enjeux économique­s et sociaux dans les débats politiques. Cela a conduit certains analystes critiques à qualifier de

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Un manifestan­t brandit le portrait de Mohamed Brahmi, lors d’un rassemblem­ent de L’UGTT à Tunis, en janvier 2018.

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