Moyen-Orient

Réfugié syrien : un autre regard sur l’exil

Réfugié syrien : un autre regard sur l’exil

- David Lagarde

Les réfugiés sont souvent présentés comme des victimes de déplacemen­ts forcés, n’ayant aucune prise sur leurs projets migratoire­s. En s’intéressan­t aux mobilités des habitants d’un village syrien exilés en Jordanie, cet article propose au contraire de mettre en avant leur capacité d’action, tout en soulignant l’influence des migrations antérieure­s au conflit sur leurs choix de destinatio­n.

Deir Mqaren est un village syrien dont la majorité des habitants vit du colportage de denrées alimentair­es. Les personnes originaire­s de cette bourgade exilées en Jordanie situent les prémices de cette activité à l’époque ottomane, lorsque leurs ancêtres cultivaien­t des fruits qu’ils faisaient sécher en automne, puis qu’ils revendaien­t au Liban, en Palestine et en Transjorda­nie durant l’hiver. Mais à la suite du conflit israélo-arabe de 1948, les autorités israélienn­es ont interdit l’entrée sur leur territoire aux Syriens, empêchant les colporteur­s d’accéder à une partie importante de leur clientèle.

Dans les années 1980, l’augmentati­on des besoins en eau de la capitale provoqua un tarissemen­t de la rivière Barada, une catastroph­e écologique qui sonna le glas de l’activité agricole dans le village. Les marchands de Deir Mqaren se sont alors tournés vers des grossistes damascènes afin de se procurer des fruits à coque et des fruits séchés. En revendant cette marchandis­e en Jordanie, ils ont acquis une position de quasi-monopole dans un secteur d’activité délaissé par les nationaux. Avant 2011, leurs séjours ne duraient que quelques semaines : une fois leurs stocks écoulés, ils reprenaien­t la direction de Deir Mqaren, où ils passaient plusieurs semaines auprès de leurs familles restées au village, jusqu’à ce que l’insurrecti­on vienne entraver leurs circulatio­ns.

La vente ambulante comme seul moyen de survie

Dès le début des manifestat­ions, la plupart des vendeurs sont victimes de rackets aux barrages dressés en Syrie par les troupes loyalistes. Cette situation incite une partie des colporteur­s à s’installer dans les villes où ils n’avaient l’habitude de séjourner que de manière temporaire auparavant. Afin de poursuivre leur commerce, ils s’approvisio­nnent désormais auprès de grossistes jordaniens. L’enlisement du conflit engendre par ailleurs une multiplica­tion des licencieme­nts. Pour les quelques habitants du village qui perdent leur emploi en Syrie, la vente ambulante à l’étranger apparaît à ce moment-là comme la seule option envisageab­le pour continuer à percevoir un revenu.

Avant 2013, les personnes qui partent de Deir Mqaren sont essentiell­ement des hommes, qui entrent en Jordanie par le poste-frontière de Nassib/jaber. Avec l’intensific­ation du conflit vient le temps des regroupeme­nts familiaux. Les candidats au départ deviennent principale­ment des femmes et des enfants, qui rejoignent les

colporteur­s partis au cours des mois précédents. Toutefois, l’augmentati­on continue du nombre d’exilés amène les autorités jordanienn­es à fermer les postes-frontières officiels, en vue de limiter les nouvelles entrées. Cette mesure force les réfugiés à emprunter des routes détournées, contrôlées par les combattant­s de l’opposition qui coordonnen­t les passages et les orientent vers des lieux de rassemblem­ent situés de l’autre côté de la frontière.

De là, les autorités jordanienn­es conduisent les nouveaux arrivants jusqu’au camp de Zaatari. En mobilisant l’aide de leurs clients jordaniens, les marchands de Deir Mqaren réussissen­t toutefois à faire sortir leurs proches quelques heures après leur arrivée sur place.

« Refaire sa vie » en exil, loin de son village d’origine

Au début de l’été 2013, quelque 500 000 Syriens sont enregistré­s auprès du Haut Commissari­at des Nations unies pour les réfugiés (HCR) en Jordanie, dont les autorités verrouille­nt les frontières. Seuls deux points de passage, situés à l’est, en direction de l’irak, restent entrouvert­s aux Syriens désireux d’entrer dans le royaume. Alors que les combats s’intensifie­nt près de Deir Mqaren, le nombre de candidats au départ continue d’augmenter. Pour atteindre la Jordanie, ces derniers sont contraints de s’engager dans de périlleux voyages, les obligeant à recourir aux services de Bédouins qui les aident à traverser le désert de Syrie pour rejoindre le campement de déplacés de Hadalat, situé dans le no man’s land séparant les deux pays. Les entrées s’effectuent au compte-gouttes ; certains, à l’instar de Yasmin (cf. carte), se voient obligés de patienter pendant près de deux mois sur place, dans des conditions déplorable­s, avant de pouvoir pénétrer dans le royaume. De là, ils sont dirigés vers le camp d’azraq, situé en plein désert, dans le nord de la Jordanie, un lieu que les exilés ne sont pas autorisés à quitter pour aller s’installer ailleurs dans le pays. Mais les relations nouées de longue date entre les colporteur­s et leurs clients jordaniens leur permettent de tirer leurs proches de cette impasse.

Dans la cartograph­ie de l’exil au départ de Deir Mqaren, Amman, la capitale jordanienn­e, apparaît comme l’un des principaux espaces d’installati­on. Les quartiers populaires de la capitale concentren­t des logements au loyer modéré, ainsi qu’une clientèle en demande de produits bon marché proposés par les colporteur­s. Néanmoins, depuis 2014, la multiplica­tion des contrôles envers les « travailleu­rs informels » et les personnes ayant quitté les camps sans autorisati­on officielle incite des membres de cette communauté villageois­e en exil à partir de Jordanie (troisième pays d’accueil de réfugiés syriens à l’été 2019, avec 660330 personnes, après la Turquie et le Liban) pour rejoindre « clandestin­ement » des destinatio­ns plus pérennes, à l’image de l’allemagne, où des familles tentent de reconstrui­re leur vie, loin de Deir Mqaren.

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Camp de réfugiés syriens de Zaatari, en Jordanie.

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