L’eau salée et le goût de la vie
Il est des jours où, pour paraphraser un célèbre slogan de la SNSM, l’eau salée a bel et bien le goût des larmes. C’est si brutal quand un équipage, parti la fleur au fusil et le sourire aux lèvres vers des îles au climat plus doux, rentre en cargo, meurtri, choqué… et incomplet. C’est ce qui est arrivé à Régis Guillemot et aux équipiers de l’ORC 50 Hallucine, avec lesquels nous avons navigué il y a quelques semaines. Yves Pélisson, ami proche de Régis Guillemot qui l’a souvent secondé en transat comme en croisière, a laissé la vie dans cette fortune de mer terrible. Le pire scénario.
Même sous-toilé pour passer la nuit tranquillement, un cata hauturier comme l’ORC 50 taille vigoureusement sa route au portant et en cas de collision avec un objet flottant, épave ou conteneur tombé à la mer, la violence du choc est considérable. Yves, qui prenait son quart à ce moment-là, a disparu – probablement éjecté à la mer. Régis n’a pu que sécuriser en urgence le reste de l’équipage, donner l’alerte puis évacuer le cata qui s’enfonçait par l’arrière. Un cargo en route pour les Açores les a récupérés, tandis qu’un autre bateau repêchait le corps d’Yves. Dans ces circonstances, nous avons naturellement différé la publication du reportage réalisé courant octobre à bord d’Hallucine, en compagnie de Régis et d’Yves – entre autres. Nos pensées vont à eux, et en particulier à Yves et à sa famille. Nous avons eu peu de temps pour le rencontrer, mais assez pour apprécier sa compétence et son sourire. Nos pensées vont aussi à tous ces pièges qui minent la haute mer et hantent nos quarts de nuit. Nous n’avons pas de certitude sur l’obstacle qui n’a laissé aucune chance à Hallucine, mais on sait avec certitude qu’à chaque gros coup de mer, des conteneurs tombent à la mer par dizaines.
Et que nombre d’entre eux restent entre deux eaux… A quand une réelle responsabilisation – au sens pénal – des affréteurs et des transporteurs ? Un balisage et une traçabilité des conteneurs ? S’il est trop tôt pour accuser les porteconteneurs dans le cas d’Hallucine, il est en revanche grand temps de transporter plus propre. Car non, la mer n’est pas cruelle. Plus que le goût des larmes, l’eau salée a celui de l’aventure, celui-là même qui poussait Yves à prendre la mer. Elle a le goût de la vie, même si parfois ça pique comme une gifle. Elle a enfin la saveur de la passion, celle de l’audace qui nous ramène encore et toujours en mer… la fleur au fusil et le sourire aux lèvres, cap sur des îles au climat plus doux et aux rythmes chaloupés.
Ces pièges qui hantent la haute mer et nos quarts de nuit