MX Magazine

Faux départ

- Par M. Brunner – Photos Haudiquert, Sandra, Reviron, MB

À 24 ans, Jordi Tixier s’apprête à entamer sa deuxième saison en MXGP au sein du team usine Kawasaki KRT. Handicapé par son poignet pour ses débuts dans la catégorie reine, le Parisien évolue enfin sans douleur. Il sait qu’avec un bon hiver, il peut jouer aux avant-postes d’une catégorie qui s’annonce comme la plus relevée de l’histoire du MXGP.

Que retiens-tu de cette première saison en MXGP? « Ça a été une saison compliquée suite à ma blessure en 2015. Je me suis blessé en août 2015, j’ai repris la moto en janvier mais avec de grosses douleurs. On a refait des examens une semaine avant Valence qui ont révélé une nouvelle rupture du ligament. J’ai vu un grand spécialist­e du poignet, le Dr Mathoulin qui m’a opéré. J’ai pu reprendre la moto doucement pour revenir au GP d’arco en mai avec un poignet loin d’être à 100 %. Je suis donc resté sur la touche pendant neuf mois. L’objectif était de progresser et de préparer les saisons suivantes. Ça a pris du temps mais on a progressé sur la moto et sur moi-même car je n’avais pas roulé de l’hiver. Je n’étais pas loin du top 10 au début et vers la fin comme en Suisse, je me suis rapproché du top 5. On connaît maintenant les points à travailler pour être prêt l’année prochaine. »

Revenons sur ce titre de champion du monde en 2014. Avec le recul, at-il été facile à assumer face à KTM et ta non-sélection en équipe de France des Nations? « Quand j’ai appris que KTM ne me gardait pas, j’étais sur le cul mais ça m’a donné des forces et je suis arrivé à Loket en gagnant mon premier GP. On est allé sur les deux dernières courses overseas au moment où mon frère s’était gravement blessé. C’est la pire chose qui puisse arriver. Tu es à 10 000 km de chez toi mais tu joues le titre. Il y avait une ambiance difficile dans le team car on avait l’impression d’être séparé avec mes proches. À la base, je voulais carrément rentrer et rater le GP du Mexique. Dans ces moments-là, tu te dis qu’il y a des choses plus importante­s dans la vie. Mon frère m’a rassuré et dès que j’ai gagné, on est rentré en France. On a fêté ça bien après car un titre de champion du monde, on en a peut-être qu’un dans la vie. »

Ce fut une période difficile à vivre pour toi et ta famille ? « Quand tu connais des périodes comme cela, il faut avoir des gens de confiance autour de toi. C’est la seule fois de toute l’histoire qu’un champion du monde de motocross n’est pas sélectionn­é par sa fédération pour les Nations. C’était leur choix et leur problème. Maintenant, faire cette course ou non, je m’en fiche. Je m’attends à tout et ne pas être sélectionn­é ne me dérange absolument pas. »

Tu en veux aujourd’hui encore à la fédération? « Oui, bien sûr et je pense qu’ils peuvent m’appeler (silence…). Si à l’avenir ils veulent me faire venir dans l’équipe de France, je demanderai des choses qu’un pilote n’a jamais demandées auparavant. »

« J’espère faire mieux qu’un top 5 final en 2017. »

En 2015, tu rejoins les rangs de Kawasaki pour ta dernière saison en MX2. Tu pouvais devenir le deuxième pilote français, après Musquin, à remporter deux titres dans cette catégorie. Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné ? « On avait une moto aussi bonne que la KTM pour jouer le titre. On avait fait un bon hiver mais il y a eu du stress d’arriver avec le numéro 1. Ça a mal commencé avec les incidents de Thaïlande où l’on m’a reproché des choses que je n’ai pas faites. J’ai pris un retrait de licence d’un mois et mentalemen­t, c’était compliqué. Même après ça, j’étais 4e du MX2 à 30 points du leader mais je me suis blessé à Mantova. La saison s’est terminée là-dessus. »

Pour tes débuts en MXGP, tu espérais secrètemen­t faire comme Febvre sur qui tu prenais régulièrem­ent l’ascendant en MX2? « Romain l’a fait, c’est vrai. On se battait ensemble en MX2 avec le résultat que l’on connaît, mais mon objectif était de faire du mieux que je pouvais. Tous les pilotes sont différents. À l’inverse, il y a aussi d’autres pilotes qui ne seront jamais champion du monde après dix ans en MXGP. Le plan était de faire une année d’apprentiss­age pour confirmer en 2017. »

Sans ce contretemp­s, quelle aurait été ta place? « Je pense qu’il aurait été possible d’entrer dans le top 5 régulièrem­ent et proche du podium sur quelques GP. »

Le fait de te retrouver en milieu de plateau alors que tu avais l’habitude de rouler devant en MX2, ça a été difficile à gérer? « Ça renforce on va dire (rire !). Non, j’étais déjà super content d’arriver à Arco les mains dans les poches en étant proche du top 10. Bien sûr, il y a eu des courses difficiles, mais on voyait qu’il y avait une progressio­n à chaque sortie, donc ça motivait. Ça a fini par payer en Suisse avec une sixième place et le deuxième meilleur temps en première manche. Maintenant, on sait sur quelle voie aller pour l’année prochaine. »

Surpris du niveau en MXGP? « Oui et non. Je sais ce que je vaux en termes de vitesse. C’est vrai que ça roule très vite et le niveau est très homogène. On est dix pilotes à pouvoir faire un podium de manche et l’année prochaine avec la venue d’herlings, le retour de Tonus et la montée d’anstie, ça va être encore plus homogène. Pour notre sport, c’est valorisant et ça montre la qualité du championna­t. Par contre, c’est triste pour le MX2. »

La 450 KX-F semble être une moto difficile à mettre au point, une particular­ité qu’évoquait Clément Desalle et qui s’est vue aux US avec Tomac. Tu partages ce ressenti? « Clément a mis au point une moto tout l’hiver qu’il juge bonne ou pas, c’est son problème j’ai envie de dire. Moi, je suis vraiment parti de zéro avec cette nouvelle moto sur laquelle je n’ai pas pu faire tous les tests. Quand je suis passé en 450, j’ai trouvé que la moto était assez puissante, mais une fois que tu es habitué au moteur, tu comprends qu’il faut que ça crack du feu de dieu pour rouler en Mondial. Il en faut toujours plus et c’est sur ce point qu’on doit progresser. Niveau châssis et suspension­s, on a une très bonne base par contre. »

Vas-tu suivre avec attention les débuts de son ancien coéquipier Herlings en 450? « On est resté en bonne relation mais je ne vais pas me concentrer sur lui plus que sur un autre. On a roulé un peu en supercross avant la SMX. Je pense qu’il va rouler devant car il a déjà une grosse vitesse en 450. »

Le niveau ne cesse d’augmenter dans cette catégorie avec les rookies Herlings, Gajser, Febvre. Quel sera ton objectif pour 2017? « Je veux, comme tout pilote qui roule dans un team usine, essayer de gagner. Après, ça serait prétentieu­x de dire que je veux être champion du monde, mais jouer le top 5 dans toutes les manches serait déjà un très bon résultat. La saison va être longue et il va falloir être régulier. Ça va être la clé du succès. Au fond de moi, j’espère faire mieux qu’un top 5 final et me rapprocher du podium. Lorsqu’on voit la liste des pilotes derrière la grille en 2017, ça serait super. »

Il y a une pression supplément­aire de la part de Kawasaki pour ta deuxième année? « Non, je n’ai jamais eu de pression si l’on peut dire ça, même si on devine que rouler dans un team factory engendre une certaine obligation de résultat. Il n’y a pas d’objectif fixe pour 2017, si ce n’est rouler au maximum devant. »

2017 marque également l’arrivée des grilles de départ métallique. C’est une bonne chose? « Oui, car ça va niveler les chances au départ. En fait, ce qui me plaît, c’est qu’on n’aura plus besoin d’arriver 30 minutes avant le départ pour faire sa trace. C’est la période la plus stressante. Attendre, c’est l’enfer pour moi. Si on pouvait faire camion, moto, course, ça serait parfait. » (rire !)

Quel rôle joue ton père dans ta carrière? « C’est mon mécano d’entraîneme­nt. On travaille ensemble depuis tout petit et ça, le team l’a compris. Il est toujours là pour me dire ce qui ne va pas et me conseiller. C’est lui qui conduit le camping-car par exemple. Il a vraiment un rôle très important. » À l’image de Roczen et son père, si un team te demandait de couper les ponts, quelle serait ta réaction? « Je pense que ça serait compliqué car je n’ai jamais travaillé seul. C’est bien d’avoir une personne de confiance, surtout quand c’est ton père. Je ferais tout pour qu’il vienne et si ce n’était pas possible, j’irais dans un autre team. Il joue un rôle primordial. J’ai besoin de lui quand je roule, sinon ça ne va pas. »

La réalité de ta vie actuelle de pilote profession­nelle correspond à tes rêves? « Oui, arriver à être champion du monde, c’était un rêve d’enfant qui s’est réalisé. J’avais le rêve américain en tête aussi, mais ça n’est plus le cas depuis que j’y suis allé. Je n’aime pas le style de vie. La vie que j’ai actuelleme­nt est ce dont j’ai toujours rêvé car c’est une chance de pouvoir vivre de la moto. Des fois, c’est dur de s’entraîner quand il pleut ou qu’il neige, mais ça fait partie du job. Il n’y a pas de mauvais côté pour ma part. Il faut continuer à travailler dur pour atteindre le titre MXGP qui serait l’accompliss­ement. »

As-tu changé ta vision de la course depuis la blessure de ton petit frère? « Non, pas forcément. Mon frère s’est fait mal en s’amusant sur un petit saut à vélo. Quand je le vois maintenant avec son mental d’enfer, il me remonte le moral et me donne encore plus envie d’y arriver. Il n’y a pas eu d’avant et d’après sa blessure à ce niveau-là. » Avec les possibilit­és des 450 usine actuelles et les circuits pas toujours à la hauteur de vos attentes, il t’arrive d’avoir peur ? « Quand tu commences à avoir peur, c’est plus le début de la fin je pense. Il y a des terrains où je me sens moins à l’aise, où je vais me poser un peu plus de questions, mais c’est tout. J’ai confiance en la moto et mes capacités, donc aucun souci de ce côté-là ».

Quel est ton avis sur le dopage dans le motocross et plus précisémen­t le championna­t du monde ? « C’est vrai que tu entends tout et rien sur ce sujet, mais c’est difficile de me prononcer là-dessus. Il y a des sports où tu sais que le dopage est omniprésen­t comme le vélo et j’espère sincèremen­t qu’il n’y a rien en motocross. On est des sportifs à la base, on s’entraîne pour rouler devant, on fait énormément de sacrifices également, donc ça serait vraiment dommage pour notre sport si c’était le cas. Je pense que j’arrêterais de rouler ou du moins je trouverais autre chose. Depuis que je suis en GP, j’ai été contrôlé une fois en cinq ans. Il devrait y avoir des contrôles à chaque GP sur les trois premiers et un pilote pris au hasard. »

Si à l’avenir vous deviez choisir entre le championna­t du monde de motocross ou de supercross, quelle voie choisirais-tu? « Le supercross me plaît beaucoup mais je ne sais pas si je pourrais faire ça toute la saison. Si je devais choisir entre les deux, ça serait difficile. J’aime bien rouler en SX en fin d’année et faire quelques courses pour faire autre chose sur la moto. L’ambiance et les à-côtés me plaisent avec ce côté show de la discipline, ce n’est pas comme l’entraîneme­nt en motocross où tu dois faire deux manches de 40 minutes en roll-off sous la pluie à Lommel. »

Il fera quoi Jordi Tixier après sa carrière? « Eh bien, il ne s’est même pas posé la question (rire !). J’aimerais bien avoir un grand campound avec plusieurs pistes pour apprendre aux jeunes ou encore suivre un jeune pilote pour l’amener à haut niveau. Il y a plein de choses à faire mais pour le moment, je suis concentré sur ma carrière, je n’ai que 24 ans. Je n’exclus pas non plus la piste US. On ne sait pas de quoi l’avenir sera fait mais j’aimerais faire quelques courses là-bas comme un outdoor ou la Monster Cup. »

« Depuis que je roule en GP, je n’ai été contrôlé qu’une fois en cinq ans. »

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