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Duo gagnant?

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L’un revient de loin après une blessure au dos, l’autre revient de plusieurs années d’une retraite bien méritée… Christian Craig le pilote et David Vuillemin l’entraîneur visent ensemble un premier titre SX Lites en 2017. Un pari qui, au vu de l’entraîneme­nt de présaison, semble tout à fait réaliste…

Le pilote et l’entraîneur ont un objectif et une motivation commune. Christian Craig, trop souvent blessé, avait quitté la compétitio­n avant de revenir sporadique­ment en remplaçant chez Geico tout en construisa­nt des maisons dans le Minnesota. « J’ai commencé à réfléchir, à me demander ce qu’il se serait passé si je m’étais entraîné plus ou différemme­nt, explique le rider de 25 ans. Je ne voulais pas arriver à 30 ans, regarder en arrière et regretter de ne pas avoir donné mon maximum. Avoir un enfant m’a aidé à réaliser tout ça. Je veux qu’il voie que je n’ai pas abandonné et que je me suis donné à 100 % pour vivre mon rêve. Il fera la même chose, il aura un boulot qui lui plaît, ça lui servira d’exemple. » Du côté de David Vuil- lemin, c’est un peu similaire. « Je veux prouver qu’il n’y a pas besoin d’être un coureur cycliste pour faire gagner des championna­ts, avoue le Marseillai­s. Je ne suis pas en compétitio­n avec Baker parce que je sais que c’est moi qui aie raison. Il a des mecs qui sont déjà champions et qui gagnent. Mais il ne fait pas gagner les autres. Avec trois pilotes qui roulent ensemble, tu nivelles le niveau. C’est comme à l’école, si l’on s’occupe du plus lent, les meilleurs végètent, et si tu fais en fonction du meilleur, les moins bons sont largués. Pourtant, il est possible de prendre des mecs qui ne gagnent pas et de leur faire changer leurs habitudes en termes de diététique, de physique, de pilotage. Le challenge du coach, c’est de faire gagner des gars qui n’y seraient pas arrivés tout seuls. »

Objectifs ambitieux

Un discours qui séduit Christian Craig dont l’objectif est parfaiteme­nt clair : « J’ai embauché DV pour mettre toutes les chances de mon côté. Mon père était pro et il a gagné des courses. Du coup, je n’ai jamais eu besoin d’un autre entraîneur. Mais à un certain point il faut trouver un gars qui a l’expérience du plus haut niveau. C’est le cas de DV. Il est à la retraite après avoir gagné de l’argent en course et peu de pilotes peuvent en dire autant ! Je l’ai donc embauché car je ne veux pas gagner ou remporter le titre de justesse, je veux dominer la catégorie. » Le défi inspire le Français, lui qui a passé son enfance à regarder des vidéos de Bayle et Bradshaw image par image. « Je ne suis pas là pour l’argent. Je gagne moins avec lui que chez Bud l’an passé. Pour preuve, j’ai refusé des demandes de Savatgy de Yamaha Star Racing… Mais Christian écoute et a vraiment envie de faire différemme­nt, alors je n’ai pas pu résister ! » Car David a roulé contre le roi Mcgrath et connaît mieux que personne le SX US. Et il voit bien plus loin que le titre Lites Ouest 2017 : « Aujourd’hui, le réel ob- jectif est de monter en 450, de se retrouver sur le podium avec Roczen et Dungey. » Battre ces gars-là peut sembler irréaliste mais DV sait de quoi il parle : « Je regardais Roczen qui s’entraînait avant la Monster Cup sur le circuit Honda. J’avais envie de lui dire “tu ne veux pas te décaler de 30 cm dans le virage?” Tous les autres, Seely, Brayton, faisaient la même chose que Ken, ils le suivaient comme des moutons. Je l’ai dit à Christian, je lui ai donné ma trajectoir­e. Il a essayé en se décalant et il allait plus vite que K-roc sur cette section ! Bon, Ken allait vite ailleurs… Mais je lui ai prouvé ce jourlà que même les meilleurs ont une marge de progressio­n et surtout qu’ils ne sont pas invincible­s. »

Bâtir la confiance

Avant d’en arriver à battre Roczen, il y a d’abord le titre SX et un pilote à former. Pourtant, Christian Craig est considéré par beaucoup comme l’un des plus doués de sa génération. « Certains pilotes viennent me voir et me demandent pourquoi j’ai embauché un coach, raconte le pilote Geico. Mais je vieillis et ce que j’ai fait avant n’a pas marché. Si je veux gagner, il faut changer quelque chose. Quand on s’entraîne depuis longtemps, on continue à faire ce qu’on sait faire et rien ne change, on a toujours les mêmes résultats ! On a entendu DV parler à la radio et ma femme, qui a toujours dit que je n’avais besoin de personne, m’a dit que c’était génial comme discours. Ça a été un déclic pour nous deux. Je l’ai appelé le lendemain. » DV se souvient du début de leur coopératio­n. « Au départ, je l’ai laissé faire, je l’ai laissé rouler. Ensuite, je lui ai dit qu’on allait travailler des points de pilotage. On a mis des pneus sur la piste pour lui faire comprendre qu’il pouvait virer plus serré, plus large… » Une démarche totalement nouvelle pour le pilote américain qui n’a jamais été habitué à s’entraîner techniquem­ent. « L’an passé, je travaillai­s seul et je faisais des tours de circuit. Ça marche, mais seulement jusqu’à un certain point. Le jour de la course, on n’a pas d’intensité, pas de capacité à improviser… Aujourd’hui, je fais des tours mais si DV voit quelque chose qui lui déplaît, il m’arrête et on travaille cette section. On n’est pas là pour faire deux fois vingt tours mais pour aller le plus vite possible. À la fin, on fera des séries de vingt tours. On n’est qu’en octobre et on a encore du temps pour l’aspect physique. Si en décembre je ne tiens pas vingt tours, là seulement on aura un problème. » Ce discours montre bien que le jeune pilote s’en remet à son coach français, quoi qu’il lui en coûte : « Aux US, on bosse avec un plan sur la semaine, explique Christian. C’est du genre grosse journée le lundi, plus léger le mardi, repos le mercredi, etc. Tout est prévu. Avec DV, je ne sais jamais ce qui m’attend. C’est la surprise. Je n’aime pas trop ça mais il faut s’y faire ! Ça évite de s’enfermer dans une routine et ça permet de faire du sur-mesure. C’est vraiment ce dont j’avais besoin. » La confiance est aujourd’hui énorme et permet à l’officiel Honda de s’entraîner d’une manière totalement nouvelle. Le chrono, impitoyabl­e, a bien aidé à valider cette approche peu orthodoxe : « Aujourd’hui, je tournais en 55-56 secondes au tour. En suivant les conseils de David, je suis descendu à 54. C’est une grosse différence ! Si je peux faire cinq tours en 54”, c’est mieux que dix tours en 55”, ou quinze tours en 56”… On est focalisés sur la vitesse. Aujourd’hui, les autres pilotes présents ont fait plus de tours, ils sont peut-être plus affûtés physiqueme­nt mais ils sont toujours plus lents. Et à quoi ça sert d’être affûté en octobre ? Ce qui compte, c’est d’être au top au soir d’anaheim 1, pas deux mois avant ! »

Philosophi­e du pilotage

En entendant ces propos, DV ne peut retenir un sourire. « Le but, c’est qu’il comprenne la philosophi­e du pilotage et qu’il puisse l’appliquer lui-même. En course, quand la grille tombe, il est seul, il doit se débrouille­r sans moi ! Il faut donc le faire réfléchir. Les autres roulent dans la même trace vingt tours à la suite. Nous, on rabâche pour que ça rentre. Il est doué mais il a une marge de progressio­n énorme. » Cette progressio­n, elle passe par une remise en question systématiq­ue du pilotage

« La répétition des efforts et des exercices, c’est important! » DV

partout où il le faut. Craig ne s’en offusque pas même si son ego de pilote a dû souffrir au début : « Je ne paye pas DV pour être mon ami. Il est là pour apporter des solutions, pas pour me taper dans le dos. On devient un peu fainéant à force de s’entraîner. Mais avec David, tu vas chercher à gagner du temps sur six mètres et ça va améliorer ton passage sur le tour complet. Mentalemen­t, c’est dur de se faire reprendre sur le circuit, surtout des jours comme aujourd’hui où il n’aime rien de ce que je fais ! Mais il adapte selon mon état et l’on fait des roulages plus courts où on se concentre sur les détails. Après une réception de saut par exemple, j’ai tendance à garder la vitesse jusqu’au virage qui est juste après. C’est ma façon de rouler, en douceur. David m’apprend à accélérer à fond avant ce virage, à ne pas laisser passer une occasion de mettre du gaz. Il me dit de scrubber plus, de pousser plus, d’attaquer chaque section. Il m’interdit de faire des seat bounce. C’est plus fatiguant mais à force de pratiquer de cette manière, le corps s’habitue et on peut le faire en course. » On voit que le jeune Américain a bien intégré la philosophi­e du Marseillai­s qui la résume de manière parfaiteme­nt claire : « Pour moi, la base de la moto c’est d’être bon techniquem­ent. Les mecs qui ne gagnent pas ne sont pas assez bons techniquem­ent, point final. » Un point de vue qui conditionn­e donc tout l’entraîneme­nt sauce DV. « J’adore la qualité technique optimale. Faire des tours et aller vite, c’est facile. Ce qui est dur, c’est d’aller aussi vite, voire plus vite que Roczen. Si tu es au top techniquem­ent sur chaque section du circuit, la vitesse va venir automatiqu­ement en mettant les sections bout à bout. Ce n’est qu’une fois que tu es meilleur techniquem­ent que tu dois te poser la question de savoir combien de tours tu peux tenir. » Cette ap- proche, personne ne la pratique aux USA. Selon David, la faute en incombe indirectem­ent à Carmichael : « Il a embauché Aldon Baker et tout le monde a voulu le battre en faisant ce que RC4 faisait, c’est-à-dire trois ou quatre séries de vingt tours par jour. Mais ce n’est pas possible de répliquer ce que faisait Ricky. Il faut d’abord savoir piloter une moto avant d’essayer de supporter de telles charges de travail ! » Pour autant, Vuillemin ne jette pas la pierre aux pilotes mais plus au monde de la moto en général, pas assez profession­nel selon lui : « En foot américain, tu as un coach pour chaque phase de jeu, défense, attaque, remise en jeu… Les joueurs sont coachés tout le temps. En cross, c’est l’opposé. Les pilotes sont livrés à eux-mêmes. Ils arrivent au circuit et ils roulent. Ils sont contents d’eux-mêmes mais ça ne sert à rien. On peut aussi prendre l’exemple du foot en Europe. Un joueur de talent, qui est recruté à 14 ans, se retrouve dans un club entouré de gens qui savent faire, dont c’est le métier. Les parents et la copine ne sont pas derrière. Ils sont dans les tribunes et se taisent. »

Un sport technologi­que

Le discours du Français est tout aussi critique lorsqu’on évoque la technologi­e. « Dans le monde de la moto, il n’y a pas assez d’intelligen­ce et de connaissan­ces. On n’est pas bons comme en F1 ou en Motogp. Il y a certes de bons préparateu­rs. Geico, PC, KTM savent faire de bonnes motos. Mais autour, on a des gens qui sont assez incultes, qui ne comprennen­t pas comment ça fonctionne. » Et Vuillemin d’enfoncer le clou : « Pour être pilote aujourd’hui, il faut être un peu mécano et un peu ingénieur. Il faut comprendre comment rouler à la puissance max et au couple max sur tout le circuit. Il ne s’agit pas de bosser avec un ordinateur mais de savoir écouter son moteur, de comprendre quand il faut passer les vitesses. James Stewart à sa bonne époque ou Ryan Dungey aujourd’hui, ils savent passer les vitesses au bon moment. La plage de puissance a un palier et puis redescend. Si un pilote roule au rupteur à 15 000 tours, il aura 10 chevaux de moins qu’à 12 000. En gros, c’est comme s’il roulait avec une moto stock au lieu d’une moto usine ! » En effet, sur la séance d’entraîneme­nt à laquelle nous avons assistée, David a évoqué ce problème avec Christian, lui demandant de passer les whoops avec un régime moteur inférieur pour avoir… plus de puissance ! Son expertise lui permet de voir des choses que les pilotes ne voient pas, comme le confirme Christian : « Souvent je crois que je roule bien et il me dit que ça ne va pas. J’essaie de faire ce qu’il dit et effectivem­ent, ça va mieux. Ça ne loupe jamais. Et je me demande à chaque fois comment ça se fait que je ne l’avais pas remarqué avant ! » Un commentair­e qui fait plaisir à David mais qui ne l’étonne pas. « Les pilotes ne savent pas comment fonctionne leur moto, ils ne sont pas entraînés à observer, à comprendre. En testing par exemple, tu essaies différente­s suspension­s. En général, le team retient la configurat­ion qui convient au pilote.

Sauf que ce n’est pas forcément la meilleure ! Par exemple sur la dernière séance de test, Christian était plus rapide avec la moto qu’il aimait le moins… » Même chose au niveau des moteurs qui, selon DV, ne sont pas optimisés comme il faut : « Aujourd’hui, les gens règlent leurs 4T pour leur donner un comporteme­nt 2T. Ils perdent tous les avantages du 4T! En 250 à la limite, ça peut se comprendre, mais en 450, c’est bizarre… Faut pas s’étonner de voir les pilotes se plaindre du manque de traction sur les podiums. Pourtant, c’est juste qu’ils n’ont pas sélectionn­é les bonnes maps! »

Se donner à fond

Travailler la technique, affiner les réglages, cela fait gagner de la vitesse. Mais pas des courses. Pour David, il faut aussi être capable de se concentrer à 100 % sur la course. Aussi bien à l’entraîneme­nt que dans sa vie privée. « Les Européens n’ont pas l’envie de gagner des Américains. On célèbre les 3e places. Quand tu t’entraînes, gagner c’est normal. Faire 2, c’est pas normal. Craig ne m’embauche pas pour faire 3e et je lui montre la voie du succès. Pour être bon et gagner, il faut être conditionn­é. Vivre 100 % moto. Tu t’entraînes six jours par se- maine et le dimanche, tu n’as même pas le droit de t’amuser en famille. Tu restes dans ton canapé et tu fais le mort. Tu ne vas pas faire les courses, tu ne vas pas à la plage avec ton gamin. Si tu vas à Disneyland, tu es mort le lundi matin, tu n’as plus de jambes. Je sais que c’est difficile parce que je l’ai fait. Quand je relâchais, je faisais 5e ! Si tu fais ce sacrifice pendant cinq ans, tu peux gagner de gros sous. Christian a compris qu’il avait sa dernière chance et il va se donner à fond. Il n’a pas envie de retourner faire des maisons dans le Minnesota. » Un effort qui se retrouve à l’entraîneme­nt où le coach demande à son pilote de répéter inlassable­ment les exercices : « Il faut répéter, reprendre à zéro chaque jour car les pilotes oublient, confirme David. Michael Jordan faisait 1000 lancers francs après son entraîneme­nt. En match, il pouvait regarder les autres joueurs, sourire et tirer les yeux fermés. La répétition c’est important. » Un avis partagé par Craig qui apprécie la rigueur du Français : « Les coachs américains sont trop gentils et souvent trop passifs. Jeff Ward a un palmarès énorme mais quand il entraîne Cole Seely, il ne fait rien d’autre que tenir le panneau ! Je n’ai pas besoin d’un ami mais d’un gars qui me pousse. En un mois, je sens que j’ai déjà fait des progrès, ça me motive ! » Ces progrès sont aussi ceux de l’entourage. Au départ, John Wessling, l’entraîneur physique de Christian, a eu du mal à accepter les conseils du nouveau coach. Mais Christian a fait de son mieux pour que les deux hommes arrivent à communique­r. Aujourd’hui, John vient sur le terrain, observe ce que fait David et adapte son programme physique en fonction de la journée de roulage. La dynamique voulue par Christian Craig et mise en place par David Vuillemin a déjà placé le pilote dans une spirale positive. S’il fait souvent la grimace face aux critiques de son coach, c’est aussi parce qu’il réfléchit intensémen­t. Assez intelligen­t au départ pour faire un bilan sur ses carences, l’américain a mis son ego de côté pour se focaliser sur ses objectifs, élever son pilotage au niveau des plus grands. Une attitude studieuse et étonnement humble qui ne peut que porter ses fruits ! À voir ces deuxlà s’apprivoise­r mutuelleme­nt, on peut en tout cas dire avec certitude que le Cobra est de retour et qu’il ne laissera rien au hasard. S’il serait présomptue­ux de prédire le résultat final de la saison SX 2017 avant même la première course, on peut en tout cas s’attendre à ce que la cote du duo infernal atteigne rapidement des sommets !

« Je ne paye pas DV pour être mon ami mais pour m’aider à progresser! » CC

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