Touché mais pas coulé !
On ne devient pas champion du monde par hasard. Jordi Tixier, technicien de haut vol, connaît le mode d’emploi menant au titre MX2. Sa montée en puissance en MXGP n’est pas à la hauteur de ses espérances. Pour autant, JT 911 est habité par les démons de l
Jordi, avant de signer avec BOS GP pour la saison 2018, avaistu d’autres options ? « Avec la tournure actuelle des Grands Prix, il est difficile de trouver un guidon d’usine. Il n’y avait pas cinquante solutions. Soit je roulais dans un team satellite, mais je pense que ça n’en valait la peine, soit j’arrêtais les GP. »
Quelle est la genèse du team BOS GP? « Nous avions un bon feeling avec Olivier Bossard de BOS dont les suspensions me convenaient pour les avoir testées dès 2015 sur ma 250 KXF. L’idée d’une structure légère faisant rouler un pilote avec de bonnes motos, des KTM, et de bonnes suspensions préparées par BOS a fait son chemin, avec le soutien enthousiaste et financier de 4D Concept. On a commencé à en parler en août, les choses se sont assez vite enchaînées et j’ai signé un contrat en octobre 2017. »
En mars 2018 dans MX Magazine, tu évoquais le bonheur d’être dans une équipe à ton écoute et la volonté de prouver qu’un team privé pouvait jouer un rôle intéressant en MXGP. Que s’est-il passé pour arriver à une rupture en août? « Au fil des mois, par rapport au projet initial, le cahier des charges a changé sans qu’il ne soit toujours clairement défini. Avec mon père, nous avons fait les efforts nécessaires pour nous y adapter mais les choses ne se sont pas déroulées comme elles auraient dû l’être, dans le fond avec l’arrivée de deux pilotes supplémentaires, et dans la forme sur de nombreux aspects. De notre côté, on a fait notre part du travail en amenant un budget, en trouvant des contrats, des partenaires techniques, en s’investissant au maximum grâce à l’expérience acquise chez KTM en MX2 au contact de Stefan Everts puis chez KRT en MXGP. Mais les conditions détériorées ne permettaient plus de poursuivre avec la confiance et la fluidité nécessaires à ce qui devait être une association fructueuse. »
Ta blessure (rupture des tendons entre le pouce et le poignet) fin février, peu avant l’ouverture de la saison 2018, a-t-elle joué un rôle dans l’échec de cette association? « Non, pas du tout. En plus de ma blessure initiale, j’ai dû subir une autre petite intervention, ce qui m’a fait perdre quatre ou cinq mois. »
Pour que nos lecteurs comprennent. Que se passe-t-il dans un team lorsqu’un pilote se blesse ? Est-il rémunéré? A-t-il la pression de
« Au fil des mois, le cahier des charges a changé avec Bos… »
revenir plus vite pour des raisons sportives et financières ? « Selon les clauses des contrats, tu es plus ou moins rémunéré. Par exemple, tu touches 50 % de ce qui était prévu. Chaque cas est différent, c’est une négociation. Cependant l’argent n’est pas le moteur d’un pilote de haut niveau. Quand tu es un compétiteur, tu as envie de revenir le plus vite possible pour jouer les bonnes places au championnat. Grâce à mon expérience, je sais que cela ne sert à rien de revenir à 90 %. Si tu n’es pas prêt à te battre avec 100 % de tes moyens, mieux vaut s’abstenir car c’est un coup à rechuter à nouveau et à enfoncer dans la galère. »
Dans quel état d’esprit es-tu au sortir de cette mésaventure avec BOS GP? « Je suis très déçu. On avait beaucoup travaillé pour mettre en place ce team pour finalement me retrouver à pied, sans aucune considération. Mais je tiens à rester positif et il y aura de belles choses à faire en 2019. Dans ce moment difficile, il y a des gens qui te tendent la main comme Bruno Verhaeghe et Pole Position 77. J’aime profondément le motocross. Cela me porte et me sert à toujours aller de l’avant. »
Tu disais en mars que lorsque tu es au fond du trou et que tu t’en sors, tu es blindé. Est-ce toujours le cas ? Ta motivation est-elle intacte ou est-elle impactée par cette histoire ? « Elle est intacte ! C’est toujours la même, ancrée en moi ! Le motocross, c’est ma raison de vivre et lorsque je cours, c’est pour faire des résultats. »
On apprend de ses échecs. Quels enseignements tires-tu de cette expérience de mettre sur pied un team en MXGP? « Monter un team, c’est un sacré travail, il faut beaucoup d’énergie. Ça a été une expérience compliquée dans le sens où, avec mon père, nous nous sommes investis, nous avons accordé notre confiance en ayant finalement le sentiment d’avoir été utilisés. C’est une erreur de jugement notre part, victimes de notre passion, mais celui qui ne fait rien ne fait jamais d’erreurs. »
Comment se dessine la saison 2019 ? « Avant même de parler de la saison prochaine, dès à présent, je vais rouler avec le team VHR de Bruno Verhaeghe au SX de Paris et de Genève, en bénéficiant de bonnes pièces, notamment de suspensions. L’objectif 2019, ce sont les Grands Prix aux côtés de Scotty Verhaeghe qui fera L’EMX250 et d’un autre jeune pilote français très prometteur, mais nous devons étudier le coût des épreuves overseas. Nous aurons des KTM avec le support de l’usine qui nous fournira des pièces spéciales, c’est une bonne chose. En parallèle, je roulerai en Allemagne, en ADAC, où les courses sont très disputées dans le cadre d’un beau championnat. »
Tu te blesses régulièrement depuis trois saisons. Trouves-tu cela normal ou est-ce le fruit d’une pression, du besoin de revenir trop vite ? « Non, ça n’a pas de rapport avec le fait de vouloir revenir trop tôt. C’est un manque de chance, une période noire de laquelle je dois m’efforcer de sortir. »
Lorsque le corps lâche, certains évoquent le fruit d’un mal-être ou d’un mental qui flanche. Est-ce ton cas ? « C’est possible… et tout le monde est confronté au même problème. Lorsque tu n’es pas concentré à 100% du fait de contrariétés, la blessure arrive. Mais cette année, ce n’était pas le cas. On peut véritablement parler de malchance parce que je me blesse sans même chuter, parce qu’un tendon a lâché alors que je m’étais bien entraîné cet hiver. »
En 2014, tu es champion du monde MX2, 8e l’année suivante pour ta dernière saison en MX2, 14e du MXGP en 2016, 20e en 2017, encore moins bien cette saison. Comment vis-tu cette descente aux enfers ? « Il faut se remettre en question parce que j’ai une bonne vitesse en 450 et je peux faire de belles choses. Je suis motivé avec un seul objectif : piloter à mon meilleur niveau. C’est pour cela que je me lève chaque matin et que je m’entraîne dur. »
Était-ce une erreur de quitter KTM-HVA pour aller chez Kawasaki? « En quittant KTM, avant de recevoir une offre très intéressante de HVA pour rouler en 2015 en MX2 dans le team usine Iceone Racing, j’avais donné ma parole – sans pour autant signer de contrat – à Kawasaki pour la saison à venir. Comme nous sommes des gens honnêtes et que nous respectons une parole donnée, j’ai roulé Kawasaki. À refaire, je serais allé chez HVA, c’est clair ! » (rires)
Pour expliquer cette contreperformance liée à ton passage en MXGP, certains évoquent, dans une certaine mesure, l’omniprésence de ton père à tes côtés qui t’empêcherait de rouler en étant libéré. Qu’en penses-tu? « Il doit y avoir de la jalousie de la part de ceux qui le pensent. J’ai besoin que mon père soit là, un oeil extérieur qui m’épaule. Chez nous, le motocross est une histoire de famille (NDR : Gilles, le papa de Jordi, bouclait à 34 ans sa dernière saison en 125 National, l’année où Jordi effectuait sa première course). Ce n’est pas toujours simple, il y a des fois où ça gueule parce que ça ne va pas. Un jour, on est content, un jour mécontent (rires), mais nous formons une équipe depuis le Minivert. Dans les bons moments, plein de gens t’entourent, beaucoup moins lorsque tu es dans la difficulté. Dans ces cas-là, mon père, ma mère, mon frère, ma copine et quelques fidèles sont à mes côtés. Je continuerai donc à fonctionner de cette façon parce que c’est celle qui me convient. »
Yannig Kervella qui t’a entraîné et te connaît bien te suggère, pour ne pas te retrouver sur une voie de garage, de changer ce système qui a atteint ses limites depuis un certain temps, quitte à partir aux USA, sans ton père, avec ta copine Gaby, chercher un guidon, te reconstruire à ta manière. Quel est ton avis ? « J’écoute ce que l’on me dit, je suis ouvert, mais je pense, avec mon père, avoir les outils nécessaires pour envisager encore de belles saisons. Encore une fois, c’est ma manière d’aborder les choses et je ne changerai pas. »
Tu cours depuis vingt ans avec une première course en 1998 sur une50 KTM en Ufolep. Quels ont été les meilleurs moments de cette carrière ? « La plus belle saison fut incontestablement 2010 où je décroche trois titres : champion de France Junior (une épreuve avant la fin, en remportant toutes les manches sauf une, enlevée par Jason Clermont), champion d’europe (en gagnant toutes les manches sauf une, là encore, enlevée par Jason Clermont) et la Coupe du Monde 125 (en France, à Gueugon. Notez qu’en deux participations à la Coupe FIM, Jordi monte deux fois sur le podium). Une saison fantastique où chaque di-
« Il faut vivre ses rêves à 100 % et surtout ne pas perdre la passion »
manche je gagnais les deux manches (rires). L’autre moment fort, c’est la finale du championnat du monde au Mexique en 2014 où je deviens champion du monde MX2, au moment même où mon frère Léo se blesse gravement. C’était un moment très compliqué, très fort, avec beaucoup d’émotions mêlées qui en ont fait la course la plus difficile à gérer de ma carrière. »
As-tu des regrets ? Des choses que tu referais différemment? « Hormis le fait d’avoir opté pour un guidon Kawasaki au lieu de HVA, comme on vient de le dire, je n’ai pas de regrets, même lorsque mes choix n’ont pas été les bons. Je me suis toujours donné à 100 %, à la fois lorsque je pratique du sport ou que je m’entraîne à moto. Après, tu peux toujours rêver d’une belle aventure aux USA, mais il n’y a pas de regrets à mon niveau à ce sujet. »
Par ordre d’importance, qu’est-ce qui compte le plus aujourd’hui dans ta vie au moment où tu fêtes tes 26 ans ? « Ma famille, Gaby, ma copine et le motocross qui sont les trois éléments qui rythment ma vie. »
T’arrive-t-il de penser à l’aprèsmotocross ? Que feras-tu alors ? « Je suis très concentré sur mon actuelle situation et mon métier de pilote, en me fixant des objectifs. Et si je dois me projeter, il y a un truc qui me plairait, c’est d’ouvrir une boulangerie (rires). Plus proche de mes compétences ( rires), encadrer des jeunes au niveau moto ou plus largement dans le sport, pour leur transmettre mon expérience et les aider à progresser. »
Quels conseils donnerais-tu aux jeunes lecteurs/pilotes de MX Magazine? « Il faut vivre ses rêves à 100 %, y compris celui de vouloir rouler en championnat du monde. C’est de plus en plus compliqué parce que les teams demandent aux pilotes d’apporter de l’argent, mais il faut s’accrocher. Et surtout, ne pas perdre la passion de la moto, prendre du plaisir à rouler, même si, lorsque c’est un métier, il y a des journées où il faut se faire mal à l’entraînement. » (rires)