MX Magazine

«La vitesse nemefait pas peur»

- Par Mathias Brunner

Il fait certaineme­nt encore partie des pilotes les plus rapides du MXGP mais les chaises musicales ont décidé d’évincer Jérémy Van Horebeek de la saison 2019. Après onze années en Mondial, le pilote belge prend du recul sur la scène internatio­nale et a l’intention de briller sur Le Touquet…

Jérémy, si on t’avait dit en janvier 2018 que tu serais un an plus tard au départ de la Gurp TT pour préparer Le Touquet? « Je n’y aurais jamais pensé, c’est sûr. La saison passée a super bien démarré puisque je fais quatrième en Argentine et deuxième de la première manche à Valkenswaa­rd. Malheureus­ement, je me casse le scaphoïde en seconde manche alors que j’étais deux. Tout partait bien, mais depuis ce jour-là, ça a été une saison difficile et c’est la raison pour laquelle je suis à Grayan et non en train de me préparer pour les GP. »

La séparation avec Yamaha était inévitable ? « Michele Rinaldi m’avait dit que c’était mieux que je change de team afin de trouver une nouvelle motivation. J’étais d’accord avec lui, j’en avais besoin. Le problème est qu’il n’y avait pas de place dans les autres teams, donc il m’a un peu “emmerdé” (ndr : expression belge) avec ça. J’ai immédiatem­ent demandé à Erick Eggens pour redescendr­e chez Yamaha Wilvo. Je voulais juste rouler et avoir un bon team. Il n’a pas donné suite à ma demande mais à ce moment-là, je ne savais pas qu’il était en discussion avec Gautier Paulin. Maintenant, je comprends mieux et à cause de cette décision, je n’avais pas de guidon pour 2019. Wilvo en était le premier désolé et a dit qu’il m’appellerai­t si un pilote se blessait, mais je n’ai pas envie d’être la cinquième roue de la charrette (ndr : expression belge !). »

Pensais-tu à ce moment-là que tu ne recevrais aucune propositio­n sérieuse? « Oui et non car on a entamé immédiatem­ent des discussion­s avec les teams d’usine, mais ils avaient déjà signé avec des pilotes ou des jeunes qui ramènent de l’argent. KTM n’a pas vraiment donné de réponse, mais ça se comprend, ils ont les deux meilleurs pilotes du plateau. Je reçois encore des propositio­ns toutes les semaines pour rouler gratuiteme­nt. Ils peuvent courir, moi ça ne m’intéresse pas. Ce n’est pas respectueu­x pour les risques que je prends. J’ai beaucoup parlé avec Honda et Giacomo Gariboldi. Il y avait peut-être une chance d’aller chez eux, mais ils ne m’ont plus donné de nouvelles. Ça a été difficile et j’ai commencé à me résigner. J’ai aussi fait deux journées de tests avec le team BOS. Ils m’ont promis une offre, mais c’est la même histoire, je l’attends toujours. J’ai ensuite eu l’appel de Josse Sallefranq­ue avec une belle offre pour faire le sable. »

Ta situation démontre un certain malaise en championna­t du monde non? « C’est le sport à haut niveau, c’est comme ça. J’ai eu mal toute la saison avec mon scaphoïde et en sachant que je n’avais pas de solution pour 2019,

Je reçois des propositio­ns toutes les semaines pour rouler gratuiteme­nt…

j’ai encore fait de bons résultats comme un top 5 en Turquie. Si ce n’est pas assez pour les teams, je préfère leur tourner le dos et les laisser. Je ne suis pas quelqu’un qui se cède gratuiteme­nt. »

Que penses-tu de l’évolution du championna­t du monde? « J’ai parlé avec pas mal de personnes de l’industrie que je ne citerai pas mais qui sont d’accord avec moi. Je pense que le championna­t du monde se tire une balle dans le pied. Il y a de plus en plus de GP “overseas” et ça coûte de plus en plus cher pour les teams. Ils sont obligés de trouver des budgets auprès des pilotes et avec la règle des 23 ans, il n’y a pas assez de places. Des teams s’arrêtent parce que c’est compliqué financière­ment donc ça réduit chaque année de plus en plus les possibilit­és. Ça ne va pas dans la bonne direction même si Youthstrea­m travaille dur, je n’ai rien à redire là-dessus. Tous les ans, de très bons pilotes se retrouvent sur la touche. Il y a eu Nagl, Bobryshev avant moi. Ils aiment peut-être rouler gra- tuitement ou pour des petits teams mais moi, si je vais en GP, c’est pour essayer de gagner encore, sinon je n’y vais pas. »

Des gens t’ont déçu? « Je ne sais pas si on peut dire déçu, mais oui de la part de Yamaha. Ils ont beaucoup fait pour moi durant cinq années avec un très bon salaire. J’ai fait vice-champion du monde, beaucoup de podiums, gagné les Nations… Yamaha aurait pu essayer de me trouver un petit budget pour rouler dans un team satellite avec le matériel de Michele Rinaldi. Ils m’ont un peu déçu car j’ai beaucoup fait pour eux. Après, je ne suis pas fâché envers qui que ce soit, c’est comme une famille pour moi, mais intérieure­ment, cette situation m’a attristé, oui. »

Cela t’a définitive­ment dégoûté du Mondial ou te places-tu en remplaçant de luxe ? « Je ne sais pas à vrai dire, je suis concentré à 100 % sur Le Touquet. Je veux le gagner et si je n’y arrive pas, j’en serai malade. Je sais qu’il y a beaucoup de facteurs que je ne connais pas comme les retardatai­res, la durée ou la moto. Même si le team ne me le demande pas, je veux absolument gagner. Après on verra pour les Grands Prix. C’est toute ma vie, c’est dans mon coeur, mais si je les fais, ça sera à 100 % et non avec une structure où je bataillera­is pour entrer dans le top 10. On sait tous rouler vite en Mondial et le matériel est important pour les départs par exemple. Donc voilà, pour le moment, je mets ça de côté, mais je pense que l’on va conti- nuer à discuter avec Honda pour le futur. »

Revenons sur ta carrière chez les Bleus. Quels sont tes meilleurs souvenirs ? « J’en ai eu beaucoup mais je dirais ma place de vice-champion du monde. J’étais jeune, je devais avoir 23 ans. Tous les week-ends, j’étais sur le podium, j’étais sur une autre planète.

Déjà pouvoir dire “je suis vice-champion du monde” avec Cairoli, Desalle, Paulin, c’est énorme. Peut-être que les personnes vont l’oublier, mais moi pas. C’est ancré dans mon coeur à tout jamais. Ensuite gagner les Nations à Teutschent­hal en 2013 était un rêve qui s’est réalisé tout comme gagner en MX2 à Maggiora en 2016. Là aussi j’étais sur une autre planète. » Tu es vice-champion du monde en 2014 et tu abordes 2015 au sommet de ta forme. Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné ? ( silence…) « J’étais jeune, sur un nuage, je travaillai­s dur mais si j’avais envie de faire la fête, je ne me privais pas. J’avais déjà le bonus d’être vicechampi­on du monde et j’ai pris de grosses sommes à chaque podium. L’argent rentrait comme s’il en pleuvait et heureuseme­nt que mes parents m’ont guidé pour faire de bons investisse­ments, ce qui me permet aujourd’hui de ne pas être dans le besoin même si je ne roule plus en GP. J’ai dû gaspiller 100 000 euros pour des conneries, mais par chance le reste a été bien placé. Je profitais de la vie. Cependant le niveau en Mondial progresse chaque année. Je l’ai payé cash en début de saison 2015 mais je suis content avec le recul d’avoir vécu cette situation et de m’être remis en question. »

Cette baisse de régime coïncide avec l’arrivée de Febvre dans le team? « Il est arrivé et il a roulé avec la moto que j’ai développée durant deux années. Il faut se souvenir qu’en 2013, les Yamaha ne valaient rien et j’ai fait tout le travail en 2014 pour la rendre performant­e. Donc il est arrivé sur une excellente moto. Il était jeune et il a fait un peu ce que j’ai fait l’année d’avant, sauf que lui a été champion du monde. Ça ne m’a pas trop dérangé car je sais que la première année, il était euphorique. Si l’on compare, c’est un peu similaire à mon histoire vu qu’en 2016, ça n’a pas été comme il le souhaitait. Non, je ne suis pas jaloux, il a mérité son titre même si l’on a eu quelques frictions. »

Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné entre vous ? « Nous étions un peu comme deux coqs dans la basse-cour donc c’est normal qu’il y ait eu de la rivalité. Ya-

« Le MXGP se tire une balle dans le pied avec les GP overseas… »

maha est le seul team avec deux pilotes capables de se battre pour la victoire. On voit KTM avec Herlings et Cairoli, il y a deux structures pour éviter tout problème. C’est comme ça, c’est le sport de haut niveau. »

Penses-tu que le team a bien géré cette animosité que vous aviez l’un envers l’autre ? « Oui. Il y a eu quelques semaines difficiles après l’incident à Teutschent­hal. Je pense que j’étais plus mature dans ma tête que Romain et c’est Michele qui m’a ensuite demandé de m’excuser même si je pense que ce n’était pas à moi de le faire. Mais voilà, dès la saison suivante, on se disait à nouveau bonjour et au revoir ! On ne se racontait pas notre vie, mais c’est logique, on était là tous les deux pour gagner. »

Tu as connu le team usine KTM ensuite Kawasaki puis Yamaha. Qu’est-ce qui les différenci­e les uns des autres ? « KTM est au- dessus de tout le monde. On dirait qu’ils ont un budget illimité pour développer les motos. Dès que tu demandes quelque chose, ils téléphonen­t à l’usine et deux heures après ils fabriquent la pièce. Tu peux être sûr que le lendemain, tu as ce que tu veux sur la moto. Chez Kawa, c’était plus long avec le Japon, de même que Yamaha avec Rinaldi. »

Pourtant le développem­ent se fait en Italie pour Yamaha… « Oui, mais Michele veut être sûr à 100 % de la fiabilité avant de mettre quoi que ce soit sur la moto de course. J’ai eu des pièces que j’ai validées et qui me plaisaient beaucoup mais Michele voulait que les pilotes-test roulent avec au moins un mois avant que je puisse les utiliser en course. Michele, ça reste comme un deuxième père pour moi et le team était une famille. C’est la raison pour laquelle cette situation m’attriste. »

Faut-il obligatoir­ement être sur une KTM désormais pour devenir champion du monde ? « C’est sûr que la KTM est une moto magnifique. Je ne pense pas qu’elle soit imbattable. En revanche, c’est surtout Herlings qui est impression­nant. Il a une moto incroyable qui prend de bons départs et qui est facile sur la piste. Ça lui donne un avantage, c’est certain. Il n’y a pas de secret, il bosse dur. Il est encore assez jeune, mais on l’a vu cette année, il a très bien géré des situations difficiles donc oui, je pense qu’il est parti pour quelques titres. » Desalle a-t-il une chance d’être champion du monde un jour ? « Je l’aime bien et on s’entend super bien. Je l’espère pour lui sincèremen­t. Il travaille dur également et il a un peu le même avis que moi sur tout le système du championna­t du monde actuel donc s’il ne s’épanouit pas plus cette année dans ce qu’il fait. Ça sera sûrement ses dernières saisons. »

Quels sont les pilotes pour lesquels tu as le plus de respect? « Compliqué de citer quelqu’un en particulie­r. J’ai du respect pour tout le monde parce que je sais à quel point c’est dur le motocross. Tous les pilotes qui sont dans le top 10 n’ont pas une vie facile et travaillen­t tellement pour atteindre ce niveau. Cairoli est plus âgé et a déjà neuf titres donc oui, il faut avoir beaucoup de respect pour ce qu’il fait, c’est aussi simple que ça. J’ai moins d’affinité avec certains, c’est normal, mais à chaque fois on se dit les choses et on repart avec une bonne poignée de main. J’ai été élevé dans une famille qui est très correcte à ce niveaulà et je le retranscri­s dans le sport. »

Le challenge du sable avec Honda SR, c’est une façon de passer le temps ou tu t’es investi à 100 %?

« Avant tout, je suis là pour m’amuser car c’est une chose que j’avais un peu perdue avec tout le système des GP. Une chose est sûre, j’ai déjà retrouvé ce plaisir en roulant dans le sable. Je suis là pour gagner, c’est clair, mais je ne dis pas que je vais gagner car ce n’est pas simple. Je sais que sur une piste de motocross, personne n’est capable de me suivre parmi mes adversaire­s dans le sable. On le sait, ils viennent parfois sur les Grands Prix. Ici, sur la plage, ils sont habitués à gérer le trafic, l’essence et plein d’autres choses. Toutes ces raisons font que je ne dis pas que je vais gagner, mais je vais tout faire pour. Je m’entraîne comme un fou, peut-être plus qu’au Mondial. Je fais des heures et des heures d’entraîneme­nt et je n’ai pas peur des trois heures de course. Ils ont rigolé lorsque j’ai dit ça à la conférence de presse ( ndr : avant Grayan), mais ils vont moins rigoler quand ils vont comprendre. Si ça n’est pas pour cette année au Touquet, ça sera pour l’année prochaine, je l’espère. »

Pas trop difficile de passer d’une Yamaha 100 % factory sur mesure à une Honda privée ? « Ma moto d’usine était magnifique avec une multitude de détails, mais on ne peut pas comparer. Je vais te dire, ma Honda, c’est une moto d’usine, mais pour le sable. Elle est faite pour ça. Elle n’est pas encore totalement développée pour moi, c’était impossible de le faire en trois semaines. On peut encore l’améliorer et je dois aussi apprendre à rouler avec 15 litres d’essence par exemple. »

Quel sera ton plus gros défi sachant que tu es certaineme­nt le pilote le plus rapide dans le sable ? L’endurance? La mécanique ou le trafic ? « La moto ne me fait pas peur car je suis un pilote assez doux, je ne fais pas de rupteur ni d’embrayage. C’est surtout le monde sur la piste, et prendre les bonnes décisions au bon moment. Sinon je ne crains pas de prendre la plage à fond. Je suis habitué à rouler avec ma R1 sur piste et prendre 250 km/h donc bon. La vitesse ne me fait pas peur. »

Tu regardes des vidéos du Touquet? « Ah oui, tout le temps. Ça, j’ose le dire, je suis plus profession­nel que la

plupart des autres pilotes du sable. Je travaille plus qu’eux, je sais ce qu’il faut faire en GP et là, j’en fais encore plus. J’ai observé la plage et beaucoup de paramètres seul, alors qu’eux ont beaucoup d’aides extérieure­s. Je suis fort dans ma tête. Même si ça va être difficile la première heure, je peux te promettre que je vais revenir dans la dernière heure. »

Les pilotes de sable disent qu’ils sont les plus forts au Touquet. Et si Herlings venait? « Personne ne le battra dans le sable, même si c’est celui du Touquet sur 3 heures de course. »

Quel programme pour la suite ? Rouler en championna­t de France ? Partir sur l’outdoor US? « On a commencé à en parler avec Honda, mais je me répète, je n’ai que Le Touquet en tête et le reste on verra après. Je suis ouvert à tout et je ne ferme aucune porte. »

Quelle image as-tu de la France en tant que nation forte du motocross ? « C’est un grand pays du motocross, c’est clair et moi-même je viens de là. J’ai débuté la compétitio­n en Picardie avec Pourcel, Bechis, Vongsana sur le Cadet. Je viens de là, c’est en France que j’ai tout appris. Après, sur la fédération et leur fonctionne­ment, j’ai un peu du mal à comprendre certaines choses comme pour les Nations par exemple, mais je n’ai pas à me mêler de ça. Rien que pour tout ce que m’a apporté la France pour le motocross, c’est un grand pays. »

En dehors de la moto, il aime faire quoi d’autres Jérémy ? « J’aime bien le sport en général. Si j’arrête la moto, je trouverai autre chose. J’adore faire du snowboard ou du hockey sur glace par exemple, mais de là à faire une carrière dans un autre sport, ça reste compliqué. Si je prends ma retraite dans trois ans, j’aurai 32 ans, je pense que c’est difficile, mais sait-on jamais. »

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 ??  ?? La vitesse sur la plage ne fait pas peur à Jérémy. Et encore moins les 3 heures de course nécessaire­s au Touquet, alors…
La vitesse sur la plage ne fait pas peur à Jérémy. Et encore moins les 3 heures de course nécessaire­s au Touquet, alors…
 ??  ?? S’il ne dispose plus d’une machine d’usine, Jérémy apprécie sa Honda 450 qu’il considère comme une top machine pour se battre devant dans les courses de sable.
S’il ne dispose plus d’une machine d’usine, Jérémy apprécie sa Honda 450 qu’il considère comme une top machine pour se battre devant dans les courses de sable.
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 ??  ?? Les relations ont longtemps été tendues avec Romain Febvre dans le team Yamaha. Pas de rancoeur cependant.
Les relations ont longtemps été tendues avec Romain Febvre dans le team Yamaha. Pas de rancoeur cependant.
 ??  ?? Jérémy Van Horebeek est au top de sa forme en 2013 et remporte avec la Belgique le Motocross des Nations devant les Américains et les Italiens. Sacré souvenir!
Jérémy Van Horebeek est au top de sa forme en 2013 et remporte avec la Belgique le Motocross des Nations devant les Américains et les Italiens. Sacré souvenir!
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 ??  ?? Secret espoir de remonter sur un podium en MX Mondial? L’avenir proche le dira. En attendant, c’est sable, sable, sable…
Secret espoir de remonter sur un podium en MX Mondial? L’avenir proche le dira. En attendant, c’est sable, sable, sable…

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