MX Magazine

Quitte ou double

Après une saison 2019 compliquée en MX2, Brian Moreau rebondit aux USA dans le team KTM Troy Lee Designs. Une opportunit­é en or que le jeune Français vit comme une rédemption et une chance unique…

- Par Olivier de Vaulx

Mi-octobre à neuf heures du matin, la températur­e oscille déjà autour des 25 °C à Corona, en Californie du sud. Les mécanos arrosent le terrain officiel du team KTM/TLD dont la terre rouge parfaiteme­nt lissée brille au soleil. En un mot comme en cent, les conditions sont parfaites. C’est dans ce paysage de carte postale qu’évolue désormais le jeune Brian Moreau depuis son arrivée aux USA. Un rêve devenu réalité, mais qui ne fait pas perdre la tête à l’ex-pilote Bud Racing. Avec juste deux semaines de roulage en supercross, le jeune homme commence en effet à avoir une idée de son potentiel mais aussi du travail qu’il lui reste à accomplir…

Qui s’occupe de toi dans le team ?

« En plus de mon mécano Tony Archer, je suis suivi par Tyler Keefe, le team manager du team qui vient souvent à l’entraîneme­nt. Il y a ensuite Mike Brown, mon entraîneur, qui s’occupe de moi en Californie sous la direction d’Aldon Baker. Aldon est toujours en Floride mais je l’ai rencontré. Il est strict, mais cool, le courant est bien passé. Enfin, il y a Marvin Musquin puisque je vis chez lui. KTM a pensé à cette solution pour m’aider à m’intégrer. Mathilde et Marvin ont accepté et c’est vraiment gentil de leur part. Je devais prendre un appartemen­t mais c’est très cher ici, sans compter que je ne peux pas passer mon permis tant que mon visa n’est pas arrivé. Résider chez eux me permet d’apprendre la façon de vivre aux US et me permet d’avoir une meilleure hygiène de vie que celle que j’avais en Europe. Je m’inspire de ce qu’ils font et je les remercie vraiment de m’offrir cette chance. »

Tu es dans le team de Troy Lee, une figure emblématiq­ue du cross US. L’as-tu rencontré ?

« Oui, bien sûr. Je l’avais déjà vu auparavant quand j’étais venu à la Monster Cup. C’est sûr que ça fait bizarre quand tu le rencontres pour la première fois, mais il est sympa. C’est quelqu’un de bien… »

Tu as un contrat de deux ans. Ça enlève de la pression et te laisse du temps pour apprendre ?

« Oui, dans un sens ça l aisse du temps… Il faut apprendre, bien sûr, mais il faut quand même ramener des résultats, faire des coups d’éclat. Je vais surtout bien m’entraîner cet hiver, c’est important, pour pouvoir ensuite donner tout ce que j’ai. Ce n’est que ma deuxième semaine en SX, mais ça va de mieux en mieux. Aujourd’hui j’ai passé un cap et il reste encore trois mois avant mes débuts sur la côte Est. Je vais prendre mon temps mais avec l’entraîneme­nt, je sais que je peux faire quelque chose de bien. Ça sera difficile, mais le team et KTM sont derrière moi, je dois leur apporter quelque chose. Ils mettent de l’argent, c’est donnant-donnant. Avec la saison que j’ai eue, je n’ai plus droit à l’erreur, même si je suis jeune. »

La quantité de gym et de roulage est plus importante ici qu’en Europe ?

« En fait, c’est surtout plus régulier. Les séances sont programmée­s à l’avance, ce qui permet de bien s’organiser. On n’a pas une journée de repos, et même si le week-end c’est léger, on bouge quand même. Une journée type, je me lève à 6 h 50, je fais des étirements, je pars courir ou faire du vélo. Ensuite, petit-déjeuner, je prends mes affaires que j’ai préparées la veille. Mon mécano vient me chercher et je pars rouler. L’aprèsmidi, on va à la gym le plus tôt possible, puis on mange et on a le reste de la journée de libre. C’est chargé mais ça reste fun… »

Comment ça se passe avec Mike Brown et Aldon Baker ?

« Les deux me donnent les mêmes instructio­ns. Aldon fait confiance à Mike qui habite ici en Californie. À l’entraîneme­nt, je suis le programme d’Aldon. J’ai presque les mêmes exercices que Marvin, même si lui fait des séances plus longues. Sur le terrain, Mike me corrige parfois sur des sections précises comme les whoops. C’est pareil avec Baker, il sait donner des conseils sur le pilotage, on ne fait pas que du physique… »

Au niveau condition physique justement, tu sens une améliorati­on après un mois aux USA sous le programme d’Aldon ?

« Je n’ai pas des charges de travail très lourdes, mais c’est sûr que je me sens mieux. Je n’ai pas pris vraiment une autre carrure, je ne suis pas plus costaud (rires) mais j’ai plus de résistance et je suis pressé de voir ce que ça va donner sur une plus longue période. »

As-tu changé ton alimentati­on ?

« Oui, surtout que c’est Mathilde qui cuisine. Elle cuisine bien, elle sait trouver les bons aliments. Aldon lui fait confiance et je pense que je mange plutôt mieux qu’avant ! En plus, elle fait des trucs super bons ! Par exemple, elle nous fait des gaufres avec des ingrédient­s spéciaux qui vont bien dans notre régime. Au final, ce ne sont pas des vraies gaufres mais ça y ressemble et tu as trop envie de les manger ! Manger des choses que tu aimes, ça aide bien pour le mental. »

« Je n’ai plus droit à l’erreur, même si je suis jeune… »

Revenons sur l’entraîneme­nt. Changent-ils le circuit

régulièrem­ent ou est-ce toujours le même?

« Vu que je suis nouveau ici et que je n’ai pas trop l’habitude du SX, ils ont laissé le tracé à l’identique depuis mon arrivée. Mais on a trois terrains, ce qui évite la lassitude. On a Corona, surtout utilisé par KTM TLD, puis deux circuits à Murrieta derrière l’usine où s’entraînent les pilotes 450. »

J’ai vu que tu préférais rouler seul plutôt qu’avec tes coéquipier­s Brandon Hartranft, Derek Drake et Pierce Brown, même quand ton mécano te demandait de les suivre.

« Oui, je préfère rouler à mon rythme pour le moment. En Europe déjà, j’avais ce problème quand je roulais en groupe. S’il y a quelqu’un juste devant ou juste derrière, je perds ma concentrat­ion et je suis beaucoup tombé à cause de ça. Quand j’entends le moteur du gars derrière moi, je pense à ce qu’il est en train de faire au lieu de me concentrer sur mon pilotage. On a essayé de rouler ensemble la semaine dernière et ça l’a pas fait.

C’est le début, je ne veux pas commettre d’erreurs et je préfère me concentrer sur mon pilotage pour apprendre au mieux en prenant mon temps. Mes coéquipier­s font du SX depuis bien plus longtemps, ce n’est pas nouveau pour eux. Alors c’est vrai qu’on me voit rouler de mon côté, mais je fais ce que j’ai à faire. »

En termes de pilotage, sens-tu les progrès ?

« Je commence à m’habituer. Mais ce n’est que ma quatrième journée de

SX et il reste douze semaines ! La semaine passée, j’étais à trois secondes de Brandon. Aujourd’hui, je n’étais qu’à une demi-seconde. Sur mon meilleur tour, j’étais un peu plus vite que Derek. On verra dans trois mois où je me situerai… »

Tout le monde en Europe dit qu’il faut une KTM pour partir devant. Maintenant que tu as une moto orange et que tu t’entraînes aux départs avec, qu’en penses-tu ?

« Ce n’est pas qu’une impression. Ma moto part toute seule, faut la retenir. En Europe, c’est sûr qu’il n’y a pas mieux que KTM. Les Honda et Yamaha sont en dessous. Mais aux US, je pense que les motos se valent et marchent toutes très fort. Aux ÉtatsUnis, les motos sont plus puissantes qu’en Europe, ce qui fait que la KTM ne sort pas autant du lot. La Yamaha Star Racing est très proche en termes de puissance par exemple. Si tu compares la puissance de ma Kawasaki de l’an passé, qui était au final une moto de série très bien préparée, avec la puissance de cette KTM usine, ça n’a rien à voir. Ce n’est pas une excuse pour mes résultats de cette saison, mais oui, y’a un monde d’écart. Maintenant, à moi de faire le boulot… »

On dirait que tu te mets déjà un peu la pression quand même…

« J’ai Aldon, Mike, Tyler, Tony, la meilleure moto, Marvin, Mathilde, je ne peux pas avoir mieux ! Je n’ai plus qu’à faire ce qu’il faut. Je me suis dit que si j’arrivais ici, c’était pour tout donner. En Europe, c’était pas pareil. Des fois je faisais des sacrifices et des fois je me laissais aller. Ici, je me dis que non, j’ai une chance, il faut que je la saisisse. Le train ne passe qu’une fois ! Rien que les stickers sur mon maillot ça me donne envie de bosser ! En MX2, j’étais derrière la grille, je regardais les pilotes RedBull KTM et j’avais trop envie d’être à leur place. Je savais que j’aurais pu être à la place de Tom Vialle si mes contrats existants ne m’avaient pas empêché de changer de team. La saison a été compliquée

mentalemen­t… KTM me donne ma chance malgré mon absence de résultats en 2019. Je veux leur montrer qu’ils ont eu raison. Tom a eu la même opportunit­é. Ses parents ont déménagé en Belgique, il s’est donné à fond et ça a marché. Faut que je fasse pareil. Ça passe ou ça casse… »

L’absence de tes copains et de ta famille, ça va t’aider à te concentrer sur la course ou au contraire, ça te manque trop ?

« Tu sais, j’ai pas trop de copains… Ceux que j’ai sont compréhens­ifs, ce n’étaient pas des mecs qui sortaient sans arrêt. Dernièreme­nt j’ai été plus chez moi donc j’ai pu me rapprocher un peu de certains potes que j’avais perdus de vue. Du coup, le fait que je parte aux US rend les choses plus dures. Il y a aussi la famille. J’ai eu une petite soeur il y a un an et demi, ça me fait bizarre de la voir grandir à distance. Je vais la revoir à Noël elle

« En MX2, j’avais envie d’être à la place des pilotes KTM/Red Bull. »

aura pris 5 cm! Bien sûr, l’éloignemen­t fait mal au coeur parfois, c’est compliqué, mais je sais pourquoi je suis là… »

Tu arrives à avoir des loisirs ici ?

« Les week-ends ne sont pas trop chargés, donc ça va. La semaine dernière, on est allés faire du VTT en montagne. Ça m’a fait du bien de voir de la verdure après ces semaines en Californie. On est aussi allé au bowling avec mon mécano qui m’a intégré dans son groupe de potes. Ça m’aide à progresser en anglais, même si je parlais déjà pas trop mal. J’apprends à parler comme les Américains maintenant. »

Tu écoutes de la musique US?

« J’écoute surtout du rap français. Certaines personnes vont dire qu’il y a trop de gros mots, mais ils ne comprennen­t pas ce que ça évoque. Audelà de la mélodie, les paroles sont importante­s pour moi. Bien sûr il y a de l’excès, mais ce sont des gens qui ont galéré dans les cités et qui pour faire plaisir à leur mère ont essayé de s’en sortir autrement. Aujourd’hui ils ont du succès dans la musique, gagnent des millions… Cette histoire de s’en sortir quand tu galères, ça me touche. Depuis 2014, ça a été très compliqué pour moi avec les problèmes de mon père, ça n’a pas été facile. J’ai failli arrêter la moto. Heureuseme­nt que Stéphane Dassé et la famille Carrico étaient là en 2014-2015, sinon j’étais fini. Je serais avec des potes en train de faire n’importe quoi. J’ai eu une chance et c’est ça que j’entends dans le rap… »

En parlant de Stéphane, il était à la Monster Cup et toi aussi. Vous êtes-vous parlé là-bas ?

« Je ne remerciera­i jamais assez Stéphane pour ce qu’il a fait pour moi. Je suis resté longtemps chez lui… L’an dernier, je voulais partir chez KTM et je n’ai pas pu parce que j’étais encore sous contrat et ça a créé des tensions. J’ai un peu exigé des choses pour rester et ça a rendu le contexte un peu compliqué. Stéphane et moi ne sommes pas en froid, on est allés manger au restau avec Marvin et toute la bande et ça s’est bien passé. Bien entendu, il n’y a plus la complicité qu’on avait à une époque quand je le considérai­s un peu comme mon père. Mais au fil du temps, la pilule passera et on se retrouvera. Il a beaucoup investi sur moi, il est revenu en Mondial pour moi mais ça n’a pas marché. On est tous les deux responsabl­es du manque de résultat, chacun dans son domaine. Mais j’apprécie toujours autant Stéphane, je ne vais pas me mettre à dire du mal de lui, je le remercie toujours autant. »

Ça te plaît la vie en Californie ?

« J’ai déjà pas mal voyagé puisque j’ai vu 23 pays. J’ai détesté l’Indonésie et la Chine, et mes trois préférés sont Espagne, France et États-Unis. J’ai vraiment accroché avec l’Espagne, mais en même temps, j’ai toujours rêvé de venir vivre ici aux USA. Je suis venu avec Stéphane Dassé, mais c’était toujours sur de courtes périodes. Tu restes dix jours, tu vois que du positif. Là, après un mois, tu te rends compte que c’est un peu différent. Tu as des surprises sans arrêt. Faut déjà découvrir les possibilit­és, comprendre comment ça marche, s’habituer au manque de saisons, le fait que le ciel est bleu tous les jours.

La France me manque un peu, l’Espagne aussi puisque ma copine Carlota y vit, mais on est quand même bien ici en Californie ! Si je commence à chercher du négatif, c’est que j’ai un problème… La vie est plus compliquée qu’en France, plus chère, mais j’ai du monde pour m’aider et je suis prêt à m’adapter. Tiens, j’ai essayé la Tesla modèle 3 de Dylan Sanayer et j’ai trop aimé. Y’a pas de bruit, t’es collé au siège… Si je gagne un peu de sous ici, ça me tenterait bien. »

En 2020, tu vas t’aligner en SX à l’Est, mais en outdoor tu devras te mesurer à Ferrandis. Vous vous êtes parlé depuis que tu es arrivé ?

« Un peu. Je suis admiratif de ce qu’il a fait. Il est champion US, il est plus fort que moi, donc je ne peux pas dire qu’on est concurrent­s. C’est pas demain que je vais le doubler ! Mais on va quand même rouler l’un contre l’autre, alors je ne pense pas qu’on sera amené à être vraiment copains. On n’aura pas la même complicité que celle que j’ai avec Marvin… Avec mes coéquipier­s, ça se passe bien. J’essaie de m’inspirer de Brandon Hartranft. C’est le plus rapide et il a déjà plusieurs années d’expérience en SX. »

L’outdoor, c’est quelque chose que tu attends avec impatience ?

« Je fais du MX depuis tout petit, alors que le SX est une nouvelle discipline pour moi. Même si je ne roule pas trop mal, faut du temps pour s’y mettre. Tu peux pas courir si tu ne sais pas marcher… Pour moi, j’ai plus dans un coin de ma tête un résultat à l’outdoor. J’ai pour objectif de bien faire cet été alors qu’en SX je suis en apprentiss­age. Il y aura du boulot pour être compétitif en outdoor, mais je pense que je ne serai pas mal. Mais bon, j’évite de me fixer des objectifs super hauts pour être déçu ensuite… Première année aux US, on va essayer de ne pas se faire mal, de dérouler et faire tout dans le bon sens… »

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Les conditions d’entraîneme­nts aux US invitent les pilotes à de larges sourires. Mais il s’agit ensuite de se mettre au boulot. Et le boulot, ça ne manque pas!
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À trois mois de l’ouverture de la saison à l’Est, Brian demeurait un peu moins rapide que ses coéquipier­s mais les progrès sont nets…
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Brian Moreau bénéficie entre autres de l’aide de Mike Brown qui épaule Aldon Baker pour ce qui est préparatio­n physique et pilotage. Du lourd!
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