Une odyssée européenne
De la Russie à l’Ecosse en passant par la Norvège, Thomas et Jutta Kittel ont arpenté en long, en large et en travers le nord du Vieux Continent à bord de leur Marlow 72. Retour sur le parcours de ces plaisanciers hors du commun.
Al’est, au nord, à l’ouest. Moscou, le Cap Nord, les archipels perdus au nord de l’Ecosse. En trois étés, le déroulé du journal de bord du Marlow 72 de Thomas et Jutta Kittel se lit comme un roman d’aventures. Rien ne prédestinait pourtant ce couple de retraités allemands à partir ainsi à la découverte des confins du Vieux Continent. C’est en effet sur le tard que nos amis ont attrapé le virus de la plaisance. En 1997, la location d’une vedette sans permis de 37 pieds sur les boucles de la Saône agit telle une révélation. Depuis cette initiation, Thomas et Jutta navigueront tous les étés, en commençant par les voies intérieures allemandes. Leur premier bateau sera un Trader 475 d’occasion, acheté en 2002, avant d’opter l’année suivante pour un Trader 535 flambant neuf. À bord de ce modèle, le couple effectue ses premières croisières hauturières sur la mer Baltique, en direction de la Scandinavie et de la Pologne, depuis leur port d’attache de Rostock. Puis, à l’occasion d’un voyage d’affaires aux Etats-Unis, Thomas découvre le chantier Marlow. Convaincus par l’élégance, le confort, la qualité de construction, l’autonomie et le comportement marin des trawlers du constructeur floridien, nos amis commandent un Marlow 72. Construit chez Norsemen Shipyard, près de Xiamen, en Chine, le bateau est livré dans le port de Kiel en avril 2009.
Rejoindre Moscou via la Volga
Après plusieurs étés passés à naviguer en Baltique – plus de 1 000 milles parcourus chaque année tout de même – les choses sérieuses commencent. Jusqu’alors, Thomas et Jutta partaient à bord de leur bateau pendant les vacances et les week-ends, mais la retraite arrivant, ceux-ci décident
de voir un peu plus loin. En 2014, Azura quitte ainsi son port d’attache de Rostock en direction de Saint-Pétersbourg, de l’autre côté de la mer Baltique, avec pour objectif de rallier ensuite Moscou via les lacs Ladoga, Onega et Blanc ainsi que par la Volga. Une incroyable navigation pleine d’audace de plus de 4 000 milles effectuée en quatre mois et demi. Évidemment, dans ce type d’expédition, les surprises sont légion. À commencer par le refus de l’assurance de couvrir la croisière sur les rivières russes... Un autre tracas administratif, outre l’obtention des visas, fut l’obligation de trouver un membre d’équipage parlant le russe pour naviguer sur les voies d’eaux intérieures entre Saint-Pétersbourg et Moscou.
Tour de la Baltique quasi complet
Après une traversée de la Baltique d’ouest en est, la route menant à la capitale russe emprunte un long réseau de rivières, canaux, immenses lacs naturels et réservoirs artificiels, en passant par de mul- tiples écluses imposantes. Utilisé pour le trafic des pétroliers, des cargos, des paquebots de croisière et des remorqueurs, les bateaux de plaisance y sont rarissimes et ceux battant pavillon étranger inexistants. Cette navigation de longue haleine pleine d’enseignements sera récompensée par un passage devant la célèbre silhouette aux tours rouges et coupoles poles d’or d or du Kremlin. Le retour au bercail ne se fait pas par la Pologne et les pays baltes comme à l’aller, mais par la Finlande et la Suède, histoire de réaliser en bonne et due forme un tour de la Baltique quasi complet. Enchantés par ce premier périple qui les a menés aux confins orientaux de l’Europe, c’est vers le nord que Thomas et Jutta larguent les amarres l’année suivante. Et
lorsque l’on dit le nord, c’est du Cap Nord dont il s’agit ici, à l’extrémité septentrionale du Vieux Continent – et à près de 2 500 milles de Rostock !
Des distances impressionnantes
Une véritable expédition de cinq mois entamée début mai en effectuant des sauts de puce le long des côtes danoises et suédoises avant d’arriver en Norvège et de commencer la navigation sur des mers ouvertes. Très vite, certains signes ne trompent pas quant à la progression d’Azura vers le nord... Comme apercevoir les sommets encore très enneigés, au début du mois de juin, des environs de Stavanger. Ou encore passer les limites du cercle polaire (66°33’55’N), qui fait réaliser à l’équipage que des endroits tels que l’Islande, ou Nuuk, la capitale du Groenland, se trouvent désormais à des latitudes plus au sud... La distance se fait également ressentir d’une autre manière. Les limites de couverture du satellite Astra
sont ainsi atteintes, tandis que le baromètre, relié par radio avec Francfort, affiche des chiffres étranges... Les spécificités des navigations dans les fjords les plus étroits ne manquent pas non plus d’impressionner l’équipage. Les marées y provoquent des courants pouvant aller jusqu’à 20 noeuds, et parfois même des tourbillons !
S’acquitter des droits de douane
Le souvenir le plus marquant du voyage demeure néanmoins l’arrivée aux îles Lofoten, qui semblent sortir « telles les Alpes de la mer de Norvège » d’après les mots de l’équipage. Naviguer en Norvège signifie aussi quitter l’Union européenne et par conséquent t devoir veiller à s’acquitter de certains droits de douanes. Sous s peine de grosses mésaventures, comme cette confiscation de l’intégralité tégralité des bouteilles d’alcool présentes entes à bord – 150 bouteilles de e vins fins – en plus d’une amende nde de 2 300 € pour avoir omis s de les déclarer en entrant dans le pays. La fin du voyage se fait dans le brouillard mais celui-ci a la bonne idée de s’estomper en arrivant à destination. Un rayon de soleil eil illumine le Cap Nord, qui
culmine majestueusement à plus de 300 m au-dessus de la mer de Barents. Moment d’émotion pour l’équipage, avant d’aller recevoir sa carte de membre du « Royal North Cape Club », qui compte environ 50 000 membres. Faute d’alternative, le retour au bercail s’effectue par le même chemin, mais en tâchant de faire escale dans de nouveaux ports. Au moment du bilan, Thomas et Jutta évoquent la somptueuse nature norvégienne, la gentillesse des habitants, le coût de la vie et une météo souvent capricieuse. À propos de météo hasardeuse, le troisième grand
voyage a mené les Kittel autour du Royaume-Uni lors de l’été 2016. Une navigation pleine de surprises pour ces plaisanciers habitués à la Baltique et qui seront confrontés sans cesse aux marées et courants des mers du Nord, d’Irlande et de la Manche. Après une remontée de la Tamise et une escale forcément pas comme les autres aux docks de St-Katharine, en plein coeur de Londres, nos amis mettent vite cap vers les mystères des côtes écossaises.
Trois étés sous de hautes altitudes
Très rapidement, Thomas réalise qu’avec ses 23 m de long, Azura aura peut-être quelques difficultés à trouver des places adaptées... La montée vers le nord se fait au gré de quelques coups de vent, et le canal calédonien arrive à point nommé. Pendant quelques jours, l’équipage n’est plus concerné par le niveau des marées et peut souffler un peu. Côté navigation, les passages d’écluses – jusqu’à huit consécutives ! – offrent tout de même un peu d’animation. Les archipels de l’ouest et du nord de l’Ecosse s’annoncent comme la partie la plus spectaculaire, et la plus difficile, de la croisière. Au menu, rien de moins que les Hébrides, le Cap Wrath, les Orkneys et les Shetland ! C’est en franchissant le Pentland Firth, le bras de mer entre l’Ecosse et les Orkneys, que l’équipage rencontrera ses plus fortes émotions. Bien calée à 1 200 tr/mn pour une vitesse de 10 noeuds, Azura passe brutalement à 18 noeuds sans toucher aux manettes de gaz ! Rapidement, le bateau perd son cap et il faut caler le pilote à 50° pour que celui-ci reste à 90°... Passé ces émotions, l’équipage finit par rejoindre l’un des objectifs de cette croisière, en l’occurrence Fair Island, l’île la plus au sud des Shetland. Le retour vers le sud s’effectue en empruntant une seconde fois le canal calédonien, puis en faisant escale en Irlande et au Pays de Galles, avant le retour à Rostock. Après trois étés à naviguer sous de hautes latitudes, les Kittel changent d’objectif l’été dernier. Et entament un long périple en direction des eaux accueillantes de la Méditerranée. La des-
cente de la côte Atlantique se fait en effectuant des sauts de puce et en longeant les rives françaises et espagnoles, avant de rallier Portimao, au sud du Portugal, où le bateau attend actuellement ses propriétaires qui le retrouveront au printemps.
Toujours plus de projets
Au programme des années à venir, une traversée de la Méditerranée jusqu’à Istanbul, avant de pousser peut-être jusqu’en mer Noire, voire en mer Caspienne ! Avec un tel programme, nul doute que les aventures d’Azura sont loin d’être terminées.