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La Birmanie au fil de l’Irrawaddy

C’est l’une des croisières fluviales les plus intéressan­tes de Birmanie et la moins courue. De pagodes dorées en monastères, de forêts en rizières, du fantastiqu­e à l’irréel, l’Irrawaddy dévoile son univers de croyances et de superstiti­ons. Bienvenue au p

- Texte et photos Brigitte Postel

C’est à Bhamo, une petite ville du nord de la Birmanie, dans l’état de Kachin, que débute notre périple. C’est aussi le dernier port avant la frontière chinoise située à quelque 90 km. On prend le pouls de la ville en faisant un tour de marché où de nombreux négociants chinois tiennent boutique. Ils dominent le commerce de biens usuels et surtout celui moins visible et informel de la contreband­e. Jade, pierres et bois précieux : « Chaque année, ce sont des milliards de dollars qui échappent à l’économie birmane », affirme notre guide. La population, un mélange d’ethnies Shan et Kachin, s’en arrange ; elle y trouve même quelques subsides. Il faut savoir qu’au Myanmar, le revenu par habitant reste l’un des plus faibles au monde. Avant d’embarquer sur notre navire, l’Amara II, qui nous attend à quai, nous faisons quelques achats : un longyi, sorte de longue jupe cylindriqu­e portée par les deux sexes - pratique car il est interdit pour tous, hommes et femmes, de montrer ses genoux dans les pagodes – et des tongs car on ne cesse de se déchausser, que ce soit sur le bateau ou dans les temples. L’accueil est des plus attentionn­és et pour cause : nous serons les derniers et seuls passagers de cette ultime croisière de la saison sèche pour un équipage de onze personnes. On nous octroie la cabine centrale, « récemment occupée par le roi de Norvège », révèle le manager de bord. Elle est un peu plus spacieuse que les quatre autres, mais toutes sont très fonctionne­lles et habillées de teck. Il nous faudra huit jours pour atteindre Mandalay, deuxième ville de Birmanie. En remontant le fleuve dans le sens inverse, il faut le double du temps. En saison sèche, la navigation de nuit est impossible. Celles-ci seront donc paisibles. Le bateau quitte la rive, peu animée en cette douce après-midi, et file doucement à 5-6 noeuds pour rejoindre notre premier mouillage sauvage.

Un fleuve sacré et imprévisib­le

Nous sommes début mars et de nombreux bancs de sable jalonnent le fleuve. Deux marins sondent en permanence avec une longue tige de bambou tandis qu’un autre guette les objets flottants (troncs, arbres) et informe par geste la passerelle de la profondeur :

trois doigts levés correspond­ent à une hauteur d’eau de trois coudées, trois doigts et le pouce en équerre signifient trois coudées et demie, main entière levée : cinq coudées, etc. Le capitaine, Nyunt Lwyn (58 ans), navigue sur l’Irrawaddy (Ayeryarwad­dy en birman) depuis une quarantain­e d’années et en connaît les moindres détours. Mais il reste sur ses gardes. « Il faut des années pour connaître le fleuve, mais on est souvent surpris, dit-il. Le fleuve est vivant ; il change au fil des saisons et un village de paillotes a dû cette année déménager de 500 m car les berges se sont effritées. »

Défilés, bancs et falaises de sable

Par endroits, les falaises de sable peuvent atteindre 5 à 6 m de haut. Certains bancs sont permanents et les villageois ont installé des campements durables en plein milieu du lit de la rivière. Cette lame

brune aux reflets d’argent semble pourtant paisible en cette période de basses eaux, mais, après les pluies de mousson, les flots sapent les berges sableuses qui ui chaque année reculent un peu u plus. Le fleuve passe alors de 1 ou 2 km de large selon les endroits à quelque 4 km. Comme le Gange ge pour les Indiens, l’Irrawaddy est t sacré. Les marins lui offrent des fleurs, des lampions, des prières. C’est aussi un musée vivant de tout ut ce qui peut flotter : barges bondées, ondées, radeaux de bambous ou de teck, navires crachant une fumée noire, ferries dans ns un état improbable, barques ques de pêcheurs, vedettes de transport passagers, etc. c. Le lendemain matin, n, nous repartons direction on Shwegu. Nous passons sous une pluie fine le deuxième défilé, un chenal de 100 m environ, enclavé entre des falaises à pic hautes de plus de 200 m. Spectacula­ire ! Quatre défilés ponctuent l’Irrawaddy l’Irrawad jusqu’à la mer d’Andaman. d’Anda Le premier n’est pas navigable, nav on le contourne.

Défore Déforestat­ion pour l l’agricultur­e

Nous traversero­ns les trois autr autres. D’un paysage de pl plaine sablonneus­e on p passe à un environnem­ent de forêts escarpées puis de berges piquetées de bosquets et de minuscules villages sur pilotis. Cette forêt birmane, qui couvre près de la moitié du pays, diminue chaque année. Le commerce illicite des bois précieux, notamment les bois de rose et de fer (qui ne peuvent être cultivés comme le teck) et la déforestat­ion pour l’agricultur­e en sont les causes principale­s. Ajoutons à cela la misère des villageois, contraints à couper le bois pour la

cuisson des aliments ou la vente illégale à des pays limitrophe­s

(la Chine en particulie­r). « Une tonne de teck se négocie autour de 400 euros en Birmanie et se revend autour de 3 000 euros de l’autre côté de la frontière », révèle notre guide. On fait une escale au village de Sin Kan (6 000 habitants), dont les rues sont en terre battue. Les femmes lavent les enfants et le linge sur la rive. Quelques kilomètres plus en aval, nous repérons un groupe d’orpailleur­s sur la berge. Une pompe puissante aspire le fond du fleuve. Toute une famille manie au fond d’un trou d’eau les batées à la recherche de pépites qui feront leur richesse. Seul hic : ils utilisent du mercure à mains nues pour amalgamer l’or et les eaux de lavage sont rejetées dans le fleuve, ce qui est très toxique pour la chaîne alimentair­e.

Le quotidien rythmé par la religion

L’après-midi est dévolue à la visite de la pagode de Shwegu, où se déroule un festival populaire qui attire des milliers de pèlerins. Les stupas de l’ancienne pagode sont en ruine. Fabriqués en briques et sable, ils n’ont pas résisté aux éléments et à la végétation qui les transperce. Qu’importe, une nouvelle a été construite à côté. Pour les Birmans, profondéme­nt imprégnés de bouddhisme et de croyances ancestrale­s, comme le culte des nats, la religion rythme le quotidien. Les familles prient, mangent et dorment devant les autels à même le sol, la tête orientée vers les figures de Bouddha. C’est une sorte de foire haute en couleurs où pèlerins, riches et pauvres, vendeurs de pacotilles et de souvenirs, astrologue­s et de

vins, , se mêlent dans un espace de liberté temporaire. Le troisième jour de navigation débute fraîchemen­t, sous un léger plafond de brume. Le fleuve quitte son orientatio­n nord-sud et amorce une courbe qui lui donne une direction est/ nord-ouest. Des falaises sableuses, surmontées de quelques maisonnett­es aux toits d’herbes sauvages (wild grass) ou de tôles ondulées, vont s’amenuisant pour laisser place à des cultures vivrières. À midistance de Katha, la rivière reprend un cours nord-sud et le soleil perce les nuées. La navigation est lente en raison des nombreux bancs de sable et javeaux qui obligent les marins à sonder. Nous avons cependant la chance de voir trois orcelles, ou dauphins de l’Irrawaddy, batifoler autour de l’Amara II. Katha s’enorgueill­it d’avoir hébergé l’écrivain George

Orwell qui a séjourné dans cette paisible bourgade entre 1926 et 1927 alors qu’il était dans la police impériale. Il en a même fait la toile de fond de son premier roman, « Une histoire birmane » (Burmese Days). On visite quelques lieux où il a vécu. Ici, sa maison en teck, dont le premier niveau est actuelleme­nt occupé par la famille d’un fonctionna­ire de police. La bâtisse est en piteux état et le jardin à l’avenant. Dans un autre quartier, on découvre le British Club, où se réunissait la société coloniale de l’époque, interdite aux indigènes sauf s’ils servaient. On a du mal à imaginer que ce lieu a été le rendez-vous quotidien d’Occidentau­x venant noyer leur ennui dans l’alcool.

Un mode de vie ancestral

Le lendemain, nous poursuivon­s vers Tagaung, une des plus anciennes capitales de la Birmanie. Mais tout d’abord, nous faisons escale dans un minuscule village au mode de vie ancestral et où nous sommes une curiosité pour les habitants. Araire poussé par un homme pieds nus, boeufs que l’on attelle, meules de paille

sur pilotis, maisons faites de bois et de nattes de bambou, le progrès n’a pas frôlé ces contrées accessible­s uniquement en bateau. À chaque accostage, on apprécie l’adresse du capitaine pour manoeuvrer son navire. En raison des variations importante­s de niveaux d’eau, il n’existe quasiment pas de ponton fixe le long du fleuve. On emprunte soit des barques qui viennent beacher sur la berge, soit des passerelle­s de bois posées entre la rive et le plat-bord.

Orpailleur­s et commerce de jarres

En se rapprochan­t de Tagaung, la rive droite est couverte de collines boisées. Puis le fleuve s’élargit pour à nouveau lécher les bancs de sable bordant les rizières. Quand le soleil rougit l’horizon et allume des lumières dorées sur les berges sablonneus­es, le capitaine guide le bateau vers un gros banc de sable qui servira de mouillage pour la nuit. Tôt le lendemain matin, l’Amara II repart en direction de Thabeikkyi­n, où le fleuve traverse son troisième défilé, taillé dans des grès. L’après-midi, nous faisons escale au village de Nwe Nyein, réput réputé depuis le milieu du 18 e siècle pour ses magnifique­s poteries vernissée nissées. Les jarres que l’on nomme ici Al Ali Baba pots seront convoyées par ra radeaux et bateaux vers Mandalay ou Bagan. Pour la nuit, nous resto restons près de l’ancienne capit tale Kyaukmyaun­g. Le lendemain, le bateau appareille dès 6h direction Mingun. Le cours de l’Irrawaddy s’élargit s’élar pour atteindre un kilomètre. mètre La rive occidental­e est bor- dée de terrasses, dont certaines sont occupées par des orpailleur­s. Nous traversons une zone de forêts de teck très dense. Depuis le pont supérieur, nous admirons quelques pêcheurs à l’épervier au geste sûr et élégant. En débarquant à Mingun, une flopée de marchands du temple nous attend. L’ancienne cité du roi Bodawpaya est très fréquentée par les touristes car elle est à environ 45 minutes de bateau de Mandalay. Elle possède une pagode de briques rouges dont la constructi­on a été abandonnée à la mort du roi au début du 19 e siècle. Fendue par un tremblemen­t de terre en 1838, elle n’en demeure pas moins impression­nante. Les deux

statues de lion de 29 mètres de haut, qui trônaient sur sa face avant, ont été achevées par le séisme de 2012. Depuis, il est interdit de grimper en haut de la pagode. On enchaîne avec la pagode d’albâtre Hsinbyume, appelée aussi le stupa Mya Thein Tan.

1 500moines et novices

Enfin, on termine notre excursion en visitant la cloche de Mingun, la deuxième plus grosse du monde, derrière la « Tsar Kolokol » à Moscou. Le dernier jour est dévolu à la visite de Mandalay, composée à 50 % de Chinois qui tiennent le commerce. Le bateau accoste un peu à l’extérieur de la cité. Nous prenons un taxi direction Amarapura, à une dizaine de kilomètres, pour assister à la distributi­on quotidienn­e de nourriture aux moines du monastère de Mahaganday­on. 1 500 moines et novices vivent ici en permanence ; certains sont de petits enfants âgés de quatre ou cinq ans. Cette visite laisse le sentiment d’une intrusion un peu voyeuriste dans leur vie monastique. Généraleme­nt leur engagement est libre, mais il est parfois subi. Il en est ainsi des enfants orphelins ou issus de familles trop modestes qui n’ont d’autre choix que de les confier à un monastère. Dans certaines régions éloignées, celui-ci sert aussi d’école. Enfin, on ne saurait quitter Amarapura sans une visite au très poétique pont U Bein, étonnante passerelle en bois de teck datant du 19 e siècle, qui enjambe le lac Taungthama­n sur 1,2 kilomètre. Sans nul doute, l’une des plus belles images de Birmanie, figure fragile d’une Asie intemporel­le comme on ne la verra bientôt plus.

 ??  ?? La pêche à l’épervier, spectacula­ire, est une tradition dans l’Irrawaddy. Les pêcheurs pagaient d’une seule jambe avec une seule rame.
La pêche à l’épervier, spectacula­ire, est une tradition dans l’Irrawaddy. Les pêcheurs pagaient d’une seule jambe avec une seule rame.
 ??  ?? Une famille d’orpailleur­s lave le sable à la recherche de pépites qui feront leur richesse.
Une famille d’orpailleur­s lave le sable à la recherche de pépites qui feront leur richesse.
 ??  ?? 124 Pépites d’or achetées par un marchand chinois.
124 Pépites d’or achetées par un marchand chinois.
 ??  ?? Confortabl­ement installés dans des fauteuils en rotin, les passagers découvrent, au fil d’une navigation lente, les méandres du fleuve et ses paysages variés. De temps à autre, on peut voir batifoler des dauphins.
Confortabl­ement installés dans des fauteuils en rotin, les passagers découvrent, au fil d’une navigation lente, les méandres du fleuve et ses paysages variés. De temps à autre, on peut voir batifoler des dauphins.
 ??  ?? Une villageois­e s’affairant dans sa cuisine, très souvent la pièce unique de la maison.
Une villageois­e s’affairant dans sa cuisine, très souvent la pièce unique de la maison.
 ??  ?? Au monastère de Maha Ganda Yone près de Sagaing, les moines font la queue chaque jour pour recevoir leur nourriture. Ils n’ont pas le droit de cuisiner.
Au monastère de Maha Ganda Yone près de Sagaing, les moines font la queue chaque jour pour recevoir leur nourriture. Ils n’ont pas le droit de cuisiner.
 ??  ?? Le bateau compte onze membres d’équipage. Le pont supérieur est partagé entre une salle de restaurant, un bar et un sundeck. Sur la coursive, notre guide, responsabl­e des passagers.
Le bateau compte onze membres d’équipage. Le pont supérieur est partagé entre une salle de restaurant, un bar et un sundeck. Sur la coursive, notre guide, responsabl­e des passagers.
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 ??  ?? Le débarqueme­nt des passagers se fait au milieu des lavandière­s. Cette femme de l’ethnie Kachin porte un plateau de feuilles de bétel.
Le débarqueme­nt des passagers se fait au milieu des lavandière­s. Cette femme de l’ethnie Kachin porte un plateau de feuilles de bétel.
 ??  ?? Les élégantes barques traditionn­elles de pêcheurs sont très colorées. Certaines possèdent leur esprit, nat, situé sur l’étrave.
Les élégantes barques traditionn­elles de pêcheurs sont très colorées. Certaines possèdent leur esprit, nat, situé sur l’étrave.
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 ??  ?? Les bambous sont assemblés en radeaux géants avant d’être convoyés par le fleuve.
Les bambous sont assemblés en radeaux géants avant d’être convoyés par le fleuve.
 ??  ?? Visage blanc, lèvres rouges, robe dorée, pour ce Bouddha de la pagode Shwedagon à Rangoon.
Visage blanc, lèvres rouges, robe dorée, pour ce Bouddha de la pagode Shwedagon à Rangoon.
 ??  ?? Ce jeune moine tient son bol à aumônes qui lui permet de recevoir sa nourriture. .
Ce jeune moine tient son bol à aumônes qui lui permet de recevoir sa nourriture. .
 ??  ?? Mouillage l’après-midi près d’un village d’orpailleur­s. Une simple planche sert de passerelle et une canne de bambou de rambarde.
Mouillage l’après-midi près d’un village d’orpailleur­s. Une simple planche sert de passerelle et une canne de bambou de rambarde.
 ??  ?? En descendant l’Irrawaddy de Bahmo à Mandalay, l’itinéraire propose des paysages surprenant­s et variés.
En descendant l’Irrawaddy de Bahmo à Mandalay, l’itinéraire propose des paysages surprenant­s et variés.
 ??  ?? L’Amara II («immortelle» en sanscrit) est un bateau traditionn­el du Myanmar naviguant sur la rivière Irrawaddy ou Ayeyarwady. Il allie charme et confort.
L’Amara II («immortelle» en sanscrit) est un bateau traditionn­el du Myanmar naviguant sur la rivière Irrawaddy ou Ayeyarwady. Il allie charme et confort.
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118
 ??  ?? La pagode Kuthodaw à Mandalay : une imposante meringue blanche construite en 1816 par le roi Bagyidaw pour sa femme morte en couches.
La pagode Kuthodaw à Mandalay : une imposante meringue blanche construite en 1816 par le roi Bagyidaw pour sa femme morte en couches.
 ??  ?? Une barque habitation et épicerie, lourdement chargée, se rend de village en village. Un peu partout, il est fréquent de rencontrer des charettes tirées par un couple de zébus. Un mode de vie ancestral.
Une barque habitation et épicerie, lourdement chargée, se rend de village en village. Un peu partout, il est fréquent de rencontrer des charettes tirées par un couple de zébus. Un mode de vie ancestral.
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 ??  ?? Il n’existe quasiment pas de ponton fixe pour s’amarrer le long du fleuve. On doit improviser avec des bouts enroulés autour de pieux.
Il n’existe quasiment pas de ponton fixe pour s’amarrer le long du fleuve. On doit improviser avec des bouts enroulés autour de pieux.

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