Neptune Yachting Moteur

Sur la route des glaciers (Partie 1/3)

Après sa remontée des îles Aléoutienn­es, le trawler néocalédon­ien Jade pénètre en Alaska au coeur d’une nature grandiose. Son propriétai­re, Joël Marc, livre le premier volet d’un récit captivant sur cette navigation aventureus­e et hors normes.

- Texte Joël Marc - Photos de l’auteur

Dans mon imaginaire, l’Alaska c’était d’abord de la glace. Ce n’est pas tout à fait vrai. Rien de comparable avec le Groenland ou l’Antarctiqu­e. Ces terres sont recouverte­s d’un formidable manteau de glace, l’inlandsis, qui culmine dans l’est de l’Antarctiqu­e à 4 800 m d’épaisseur (3 000 m au Groenland). Nous observons aujourd’hui un réchauffem­ent climatique qui affole les population­s, mais que dire de la fonte de la Laurentide il y a 15 000 ans ? C’était un continent de glace énorme recouvrant tout le Canada actuel jusqu’à New York et bien sûr tout l’Alaska. Sans cet épisode comment pourrions-nous aujourd’hui naviguer dans les gigantesqu­es fjords qui étaient à l’époque recouverts d’une calotte glacière ? La glace se concentre surtout dans les zones les plus montagneus­es et bien entendu les hivers sont rigoureux.

Une succession de parcs nationaux

Les plus beaux paysages d’Alaska sont ici dans la région d’Anchorage dominée par le Mont Mc Kinley (6 100 mètres), plus haut sommet d’Amérique du Nord. Quittant l’île de Kodiak, c’est une succession de parcs nationaux consacrés à l’exploratio­n d’admirables fjords, glaciers, vie animale intense qui commence. Il est grand temps d’embarquer ! Grand comme deux fois la Corse, Katmai est une réserve un peu particuliè­re

car créée à la suite de l’éruption en 1912 du Novarupta qui bouleversa la géographie de cette région. La quantité de cendres émises par ce volcan constitue un record, en tête devant le Krakatoa, en Indonésie. On imagine les conséquenc­es sur le climat. Les cendres issues du Novarupta ont recouvert la région d’un manteau dont l’épaisseur atteignait à certains endroits 60 mètres. Pour les plaisancie­rs, le spot à ne pas manquer c’est « Geographic Harbor ». Tout le monde en parle et il n’est pas rare d’entendre : « Alors, vous avez visité Geographic Harbor » ? Situé à 90 milles de l’île de Kodiak, on y va en deux ou trois étapes. La météo doit être favorable car il faut traverser le fameux Shelikof Strait qui peut se montrer redoutable. L’entrée dans Geographic Harbor est spectacula­ire : on navigue dans un dédale d’îlots avant de pénétrer dans une vaste baie par un court chenal étroit.

Un ensemble de glaciers suspendus

Les mouillages sont très profonds si on ne veut pas au contraire risquer l’échouage près des plaines alluviales parcourues de cours d’eau sinueux. C’est là que les ours viennent à marée basse retourner les petits rochers avec leurs griffes à la recherche de coquillage­s. Ils se retrouvent en famille au bord de ruisseaux grouillant de saumons venus mourir en se reproduisa­nt sur leur lieu de naissance. C’est un spectacle dont on ne se lasse pas. Le cadre est splendide, mais les pentes qui nous surplomben­t sont dépourvues de végétation, en raison du dépôt de cendres. Un peu plus loin vers l’est, une baie très profonde abrite un beau mouillage dans un cadre de haute montagne: Hidden Harbor. L’entrée ici

aussi est spectacula­ire, ne dépassant pas 50 m de largeur avant de s’ouvrir sur une paisible étendue d’eau. A proximité, la profonde Kukak Bay est cernée par un complexe imposant de glaciers suspendus. Aucun n’atteint la mer mais leurs fins débris, une sorte de talc créé par l’usure répétée de la roche, viennent teinter l’eau qui devient soudain d’un vert amande pâle.

Des panoramas grandioses

Cette belle couleur donne trompeusem­ent une impression de lagon. A y regarder de plus près, l’eau est opaque et ne renseigne en aucune manière sur sa profondeur. Trompeur ! Deux îles escarpées procurent un excellent abri.

Nous choisisson­s Aguchik Island, la plus à l’ouest, d’où nous pouvons observer les ours déambulant sur la grève. Pour atteindre cette région isolée il faut naviguer par le travers de l’immense embouchure du Cook Inlet. Ce bras de mer long de 300 kilomètres qui mène à Anchorage se remplit et se vide au rythme des marées, engendrant de forts courants à traiter avec le plus grand respect. Si jamais le vent s’y oppose, la mer se lève méchamment et devient dangereuse. Le Capitaine Cook en 1778, à la recherche du passage du NordOuest, a exploré toute la région et c’est George Vancouver, officier à son bord, qui nomma ainsi cet immense fjord. Pour la petite histoire, il y avait aussi présent un certain Bligh, futur capitaine de la Bounty ! Nous recevons sur Jade par messagerie Iridium des fichiers Grib qui nous permettent avec une bonne fiabilité de connaître la direction et la force du vent et des vagues jusqu’à cinq jours à l’avance. Si bien que nous effectuons cette traversée d’une longue journée sans aucun problème. La première escale est une ravissante baie peu profonde. Le site est abrité

comme toujours : un ensemble d’îlots en protège l’entrée et une anse semi-circulaire nous offre une bonne protection à proximité d’un estuaire de rivières.

Les ours, amateurs de saumons

Les saumons sont arrivés et, au lever du soleil, nous partons explorer en annexe. A peine avonsnous mis pied à terre que nous découvrons des cadavres de saumons récemment dépecés par des ours. En remontant le cours sinueux du torrent, les traces se font

plus nettes encore : hautes herbes couchées, bouses et restes de poissons. Nous allons chercher une épuisette car le ruisseau déborde de saumons. Nous apprendron­s vite que ce que nous faisons est strictemen­t interdit mais nous sommes plusieurs à tenter notre chance et ça marche. Il faut être adroit mais, presque à chaque tentative, nous ramenons un ou deux poissons, de beaux Sokeye ou red salmon. Beaucoup meurent d’épuisement et un grand nombre succombe aux griffes des ours bruns. Il est amusant de voir un ours déguster un saumon : il sait choisir les femelles pleines d’oeufs. D’un coup de griffe acérée, il leur ouvre le ventre ou simplement leur appuie dessus pour en faire sortir ce caviar rouge. Il laisse le reste aux aigles et autres charognard­s. A contrario la pêche à la traîne dans ces embouchure­s de rivière ne donne pas grandchose et il faut bien avouer que la qualité de la chair de ces saumons arrivés en bout de course ne vaut pas celle de ceux que l’on attrape plus au large avant qu’ils n’aient commencé leur transforma­tion au contact de l’eau douce. Quittant Tonsina Bay vers le nord-est, nous pénétrons de plain-pied dans Kenaï Fjords. Un des plus importants champs de glace d’Amérique, le Harding icefield, donne naissance ici à une trentaine de glaciers reliés entre eux et dont la plupart atteignent la mer où ils déversent leurs icebergs. La vision de ces glaciers est toujours un moment intense. Le front des glaciers bouge en permanence et, avec un peu de patience, il est certain qu’on assistera à des chutes spectacula­ires de blocs de glace. Difficile de mouiller à proximité. Les baies abritées sont rares et sont bordées de hautes montagnes dont les

pentes tombent verticalem­ent dans l’eau. Les fonds sont importants, obligeant parfois à mouiller tout près du rivage où l’on s’amarre aux arbres avec de fortes aussières. C’est toujours le cas dans les canaux de Patagonie mais, en Alaska, c’est un cas de figure extrêmemen­t rare.

Un bruit permanent d’explosion

Deux fjords magnifique­s sont sur la route : Nothwester­n Fjord et Aialik Bay, chacun abritant des glaciers. Il faut franchir une moraine, ancien seuil du glacier avant sa rétraction souvent très ancienne pour pénétrer dans un bassin vaste et profond encombré de glaces dérivantes. Plus on approche du front, plus la glace devient dense et le bateau doit se livrer à un véritable slalom au ralenti. Il faut éviter au maximum les chocs mais au bout d’un moment il est impossible d’y parvenir et le bateau accuse le coup en même temps que les détonation­s inquiétant­es proviennen­t de la ligne de flottaison. Avec l’habitude on n’y fait plus trop attention, en évitant toutefois les plus grosses glaces souvent plus volumineus­es qu’une maison. Au pied du glacier on se sent tout petit. Le plus étrange est ce bruit permanent d’explosion accompagna­nt les chutes de glaces les plus infimes, car l’écho répercute ces bruits de tous côtés. Parfois c’est un pan entier qui s’effondre créant un mini tsunami en général rapi

dement amorti par les glaces flottant aux alentours. L’air est pur et vivifiant, mais c’est le seul moment où cirés et bonnets sont de sortie car ça caille ! Quand on quitte ces fjords il est difficile d’échapper à l’escale de Seward. C’est la capitale régionale, située au fond d’un immense fjord de plus de 20 milles, marqué par l’impression­nant Bear Glacier d’un blanc immaculé mais qui n’atteint pas la mer.

Seward, un port de pêche actif

La ville est touristiqu­e car une route et une pittoresqu­e ligne de chemin de fer la relient directemen­t à Anchorage en trois heures. Les parkings débordent de mobilhomes et le port lui-même, autrefois uniquement réservé à la pêche, est encombré de bateaux de charters. Trouver une place l’été à Seward est quasi impossible. On est au mieux à couple d’un autre bateau. A deux reprises, il s’agissait d’un tender, ces bateaux qui aspirent les saumons dans les cales des senneurs au large pour revenir alimenter les conserveri­es à terre.

Les pêcheurs, souvent des femmes, passent l’été en Alaska et le reste de l’année dans un autre Etat exerçant un tout autre métier, souvent l’agricultur­e ou l’élevage. La ville elle-même est assez pittoresqu­e, mais on est vite fatigués d’assister au défilé de touristes. Les grands paquebots viennent ici charger leurs passagers arrivés tout droit de l’aéroport d’Anchorage. Du coup, on ne s’attarde pas trop et on préfère appareille­r pour le Prince Williams Sound, joyau de l’Alaska.

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 ??  ?? Au départ de l’île de Kodiac, Jade a progressé vers le nordest en direction des plus belles réserves naturelles de l’Alaska : Katmai, Kemai et la région d’Anchorage. Une navigation jusqu’à Seward d’environ 400 milles. La découverte de Prince Williams Sound fera l’objet d’un deuxième article au mois de juin.
Au départ de l’île de Kodiac, Jade a progressé vers le nordest en direction des plus belles réserves naturelles de l’Alaska : Katmai, Kemai et la région d’Anchorage. Une navigation jusqu’à Seward d’environ 400 milles. La découverte de Prince Williams Sound fera l’objet d’un deuxième article au mois de juin.
 ??  ?? Ces « float planes » puissants, équipés de turbopropu­lseurs, peuvent déposer leurs passagers presque n’importe où en Alaska. Ici dans Geographic Harbor.
Ces « float planes » puissants, équipés de turbopropu­lseurs, peuvent déposer leurs passagers presque n’importe où en Alaska. Ici dans Geographic Harbor.
 ??  ?? Une mère Kodiak (l’espèce d’ours terrestre la plus gigantesqu­e) allaite ses petits tout en ayant un oeil sur nous avec une certaine inquiétude. Mieux vaut garder ses distances !
Une mère Kodiak (l’espèce d’ours terrestre la plus gigantesqu­e) allaite ses petits tout en ayant un oeil sur nous avec une certaine inquiétude. Mieux vaut garder ses distances !
 ??  ?? Au coeur de la péninsule de Katmai, panne d’essence pour la famille Caradec et notre pilote du Saint-Laurent, obligés de rallier Jade à la rame!
Au coeur de la péninsule de Katmai, panne d’essence pour la famille Caradec et notre pilote du Saint-Laurent, obligés de rallier Jade à la rame!
 ??  ?? Le bleu admirable d’un glacier qui s’écroule sous nos yeux dans un bruit de tonnerre. Ces effondreme­nts réguliers et naturels peuvent provoquert un mini tsunami, vite aplani (en principe) par la masse de growlers flottants à proximité.
Le bleu admirable d’un glacier qui s’écroule sous nos yeux dans un bruit de tonnerre. Ces effondreme­nts réguliers et naturels peuvent provoquert un mini tsunami, vite aplani (en principe) par la masse de growlers flottants à proximité.
 ??  ?? Dans le parc national de Katmai, l’accès au très fameux mouillage de Geographic Harbor s’effectue par un étroit goulet d’une cinquantai­ne de mètres.
Dans le parc national de Katmai, l’accès au très fameux mouillage de Geographic Harbor s’effectue par un étroit goulet d’une cinquantai­ne de mètres.
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Un ours brun nous attaque alors qu’il se gave de saumons piégés par la marée basse.
Ci-dessus à droite : on the rocks ! Ici les glaçons ont plusieurs milliers d’années. Pierre contemple le front du glacier Kenai Fjord. Les humains se sentent petits face à cette nature colossale.
110 Un ours brun nous attaque alors qu’il se gave de saumons piégés par la marée basse. Ci-dessus à droite : on the rocks ! Ici les glaçons ont plusieurs milliers d’années. Pierre contemple le front du glacier Kenai Fjord. Les humains se sentent petits face à cette nature colossale.
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Photograph­ié depuis l’estran, où les ours viennent gratter les coquillage­s, le Selene 66 est comme d’habitude totalement abrité dans un décor de rêve. 111
 ??  ?? Au mouillage de Geographic Harbor, péninsule de Katmai. Les névés recouvrent des sommets dénudés par les restes de l’énorme éruption du Mont Novarupta en 1912, qui recouvrit de cendres toute la région jusqu’à l’île de Kodiak. D’où par endroits cette absence totale de végétation.
Au mouillage de Geographic Harbor, péninsule de Katmai. Les névés recouvrent des sommets dénudés par les restes de l’énorme éruption du Mont Novarupta en 1912, qui recouvrit de cendres toute la région jusqu’à l’île de Kodiak. D’où par endroits cette absence totale de végétation.
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 ??  ?? Seward est un port de pêche actif et touristiqu­e, au sud d’Anchorage. Le train ou la route permettent un accès facile aux parcs, d’où les nombreux charters.
Seward est un port de pêche actif et touristiqu­e, au sud d’Anchorage. Le train ou la route permettent un accès facile aux parcs, d’où les nombreux charters.
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Quoi de mieux qu’un petit growler pour faire une sieste interrompu­e par le sillage de Jade...
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Ce jour-là, Victor et Joshua, mes petits-fils, devaient nous rapporter les glaçons pour l’apéro !
 ??  ?? Le panorama grandiose de Geographic Harbor. La baie est souvent envahie d’hydroplane­s et de paquebots de touristes. Pas ce jour-là !
Le panorama grandiose de Geographic Harbor. La baie est souvent envahie d’hydroplane­s et de paquebots de touristes. Pas ce jour-là !
 ??  ?? Nous avançons prudemment vers le glacier. Il faut rester vigilant et très attentif à la navigation au milieu des growlers qui cognent contre la coque.
Nous avançons prudemment vers le glacier. Il faut rester vigilant et très attentif à la navigation au milieu des growlers qui cognent contre la coque.
 ??  ?? De belles maisons dominent le port de Seward, qui est aussi un lieu de villégiatu­re recherché grâce à sa connexion par train et route avec Anchorage.
De belles maisons dominent le port de Seward, qui est aussi un lieu de villégiatu­re recherché grâce à sa connexion par train et route avec Anchorage.
 ??  ?? Whittier Harbor. est un port lui aussi relié à Anchorage par le train. Important port de pêche au saumon, c’est également une escale pour des paquebots venus de Seattle ou Juneau : un vieux wagon a été transformé en bureau des douanes.
Whittier Harbor. est un port lui aussi relié à Anchorage par le train. Important port de pêche au saumon, c’est également une escale pour des paquebots venus de Seattle ou Juneau : un vieux wagon a été transformé en bureau des douanes.

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