Deux Niçois et un Nobel ressuscitent Françoise Frenkel Rencontre
C’est la résurrection d’un témoignage publié sans succès en 1945 par une juive polonaise réfugiée sur la Côte. Exhumé à Nice, il est réédité par Gallimard avec une préface de Patrick Modiano
Qui se souvient de Françoise Frenkel ? D’elle, on ignorait jusqu’au nom avant que le Niçois Michel Francesconi ne mette la main sur son livre. C’était en 2011, à SaintAndré-de-la-Roche où ce passionné de vieux bouquins se rend régulièrement pour chiner chez les compagnons d’Emmaüs. Ce jour-là, un titre attire son attention. Rien où poser sa tête .Un emprunt aux évangiles pour résumer la solitude et l’errance. « Cela, je ne le savais pas encore. Mais j’ai réalisé, en feuilletant le récit, qu’il était question de Nice. C’est ce qui m’a donné envie d’aller plus loin. » Moyennant vingt centimes, et sans s’en douter une seule seconde, Michel Francesconi vient d’exhumer le témoignage passionnant d’une jeune juive polonaise réfugiée sur la Côte d’Azur pendant la Seconde Guerre mondiale. Témoignage publié dès 1945 par un petit éditeur helvétique, mais enfoui depuis près de sept décennies dans la poussière et l’oubli.
Que dit-il, ce petit livre ? La fuite, l’exil, les rencontres. Françoise Frenkel y décrit surtout la France sous l’Occupation. Sans haine ni emphase. C’est une chronique, presque un journal, où l’humour et parfois même une certaine joie de vivre se mêlent aux instants de doute et d’angoisse. Captivé, le Niçois veut en savoir davantage. La toile ne lui est d’aucune aide. Ses recherches restant vaines, il décide d’offrir le livre à une relation parisienne qui en diffuse des extraits sur son blog littéraire. Quelques internautes commencent à se manifester. Sa curiosité piquée au vif, Michel Francesconi fait part de sa trouvaille à un ami niçois qui, à son tour, se prend de passion pour
cette énigme. Frédéric Maria est proche du milieu de l’édition. Avec lui, tout s’accélère. Il s’engage dans une enquête quasi policière, tant en Allemagne qu’en France, pour retrouver la trace de cette femme et s’assurer de la véracité de ses écrits.
Nice, son refuge
Ce qu’il découvre confirme point par point toute l’histoire. Françoise Frenkel, née le 14 juillet 1899 près de Lódz, est bien l’épouse de Simon Raichenstein, avec qui elle ouvre une librairie française à Berlin. En 1939, le couple doit partir. Lui, sera pris dans une rafle en juillet 1942 à Paris, probablement au Vel d’Hiv. Il mourra le mois suivant à Auschwitz. Pour sa part, elle atteint Avignon en mai 1940. En décembre, elle gagne Nice et s’installe dans une pension du quartier Sainte-Hélène, avant de trouver refuge en février 1941 dans un petit hôtel, La Roseraie, situé entre Thiers et Gambetta. Le 26 août 1942, alors qu’elle rentre
de ses courses, un pensionnaire posté à sa fenêtre lui fait comprendre, par un signe de la main, qu’il faut fuir. Désemparée, elle erre du côté de la Promenade des Anglais où un coiffeur et sa femme lui offrent la sécurité de leur salon, Chez Marius, au pied de la rue Saint-Philippe. Françoise Frenkel passera par l’avenue de Bellet et par Villefranche-sur-Mer avant de quitter la région, la situation devenant intenable. Elle parviendra à rejoindre la Suisse, via Grenoble et Annecy, avant de revenir dès la fin de la guerre pour finir ses jours dans le quartier du Ray, en 1975. À ce stade de ses investigations, Frédéric Maria convainc Gallimard de rééditer Rien où poser sa tête. Il partage avec Michel Francesconi un rêve un peu fou : «Etsil’on demandait à Patrick Modiano de rédiger une préface ? Le récit de Françoise Frenkel est si proche de son univers qu’il pourrait avoir été écrit par l’une de ses héroïnes. » Absorbé par l’écriture du discours qu’il doit prononcer à Stockholm,
le Prix Nobel de littérature n’en donne pas moins son accord. Sorti trop tôt en 1945, Rien où poser sa tête est à nouveau en librairie depuis le 15 octobre dernier, sa résurrection saluée par l’auteur de La Place de l’Étoile. L’accueil élogieux a déjà nécessité un premier retirage. Et l’histoire ne fait peutêtre que commencer : il n’est pas exclu que Françoise Frenkel ait publié une suite sous le titre Pour avoir survécu. C’est, en tout cas, ce qu’elle laisse entendre dans l’une des quatre lettres que Frédéric Maria a récemment retrouvées.
« Ce livre est dédié aux hommes de bonne volonté qui ont résisté jusqu’au bout. »