Nice-Matin (Cannes)

Lettre à Michel Platini

- PHILIPPE CAMPS pcamps@nicematin.fr

Cher Michel, Je sais que vous traversez une période difficile. Je pourrais m’en réjouir : vous m’avez fait pleurer le  mai  aux alentours de  heures. J’avais  ans. A cet âge-là, les désillusio­ns ne s’oublient pas. Les accrocs sont des drames. Les défaites des tragédies. La Coupe de France devait s’offrir à l’OGC Nice des Baratelli, Katalinski, Huck, Jouve, Guillou, ou Bjekovic. Elle devait magnifier une équipe magnifique. Mais vous êtes passé par là, claquant un but comme un coup de feu qui a meurtri le Gym pendant de trop longues années. Ce soir-là, dans un Parc qui découvrait son prince, vous m’avez volé bien plus qu’un trophée. Vous êtes parti avec mon rêve sous le bras. Je croyais ne jamais pouvoir vous le pardonner. J’avais tort. J’avais  ans. Avec le temps, j’ai appris à vous connaître. Vous, petit-fils de Piémontais, fils d’Aldo et Anna. Vous, l’enfant de Joeuf, recalé par le FC Metz à la visite médicale pour ne pas avoir soufflé assez fort dans le spiromètre. Vous, le petit génie de Nancy qui marchait au Fruité, parce que c’est plus musclé. Je vous ai suivi pas à pas. Je vous ai vu dans le journal, à la télé, au stade du Ray. Nancy, Saint-Etienne, la Juve, le onze de France. J’ai appris à vous admirer. A vous aimer. J’essayais d’être un homme, vous étiez un mythe. Un héros national. Une star internatio­nale. On vous disait insouciant, blagueur, instinctif, ronchon, cinglant. On vous savait technique, fin, meneur, passeur, buteur, sauveur. Pour moi, vous étiez tout simplement le meilleur. Mon père, c’était Kopa. Moi, c’était vous. Vous, l’inventeur de la feuille morte. Ce coup-franc plein de vie et de vice. Vous qui aviez un temps d’avance sur les autres. Vous qui rendiez le ballon intelligen­t, lumineux, délicieux, astucieux. Peu avant cette maudite soirée parisienne du mois de mai , je vous avais vu marquer quatre buts à mon idole (Dominique Baratelli) dans un Ray trempé jusqu’aux os, pétrifié par une averse de buts (-), stupéfait par le talent d’un milieu de terrain à la tête levée, jamais tête en l’air. Votre destin était en marche. Rien ni personne, pas même l’immense Josip Katalinski, n’allait pouvoir l’arrêter. Plus tard, j’ai fait des kilomètres pour vous voir jouer. Je vous ai trouvé grand chez les Verts, géant en noir et blanc, génial sous le maillot bleu. Pour vous, j’ai été à Turin en bus avec mon ami Jean-Mi, le ‘’Mazzu’’. Le stadio Comunale était votre jardin. Là-bas, vous étiez ‘’il Francese’’. Le Français. Le seul. L’unique. L’Italie était à vos pieds. La France à votre pogne. Cette main qui tenait celle de Patrick Battiston à Seville une nuit cauchemard­esque de juillet . Deux années plus tard, vous nous avez portés sur le toit de l’Europe, vue imprenable sur le bonheur. Le malheur, vous l’avez vécu au Heysel, le  mai , lors d’une finale de Coupe d’Europe des clubs champions (Juventus-Liverpool) au goût de sang. A  ans, vous vous êtes mis hors-jeu. Pour toujours. Dans le service, certains de mes collègues ne vous ont connu qu’en costume cravate, avec votre petit ventre rond remettant les trophées aux footeux de maintenant. Les pauvres. Pour eux, Zidane est le meilleur joueur de l’histoire du foot français. Les fous. Michel, j’ignore de quoi vous êtes coupable, mais je sais de quoi vous êtes capable. Après avoir été un numéro  prodigieux, vous avez fait souffler un vent d’espérance à la tête de l’UEFA. J’ai cru en vous. J’y crois toujours. Pour moi, vous êtes un Ballon d’or, pas un homme d’argent. Je me trompe peut-être. Je vous défendrais jusqu’au bout. Vous lâcher serait me renier. Défoncer un pan de ma jeunesse (celui où était accroché votre poster) au burin. C’est hors de question. Pas touche à Platoche ! Entre la justice et vous, mon choix est fait. Cher Michel, vous ne serez peut-être jamais président de la FIFA. Et alors ! J’ai mieux. Je vous propose de devenir le consultant de Nice-Matin lors de l’Euro sous nos fenêtres. On regardera les matchs ensemble, puis on ira manger des pâtes en parlant du passé. On pourra même évoquer la finale de la Coupe de France  sans que je grimpe aux rideaux. Je vous embrasse mon Michel. Prenez soin de vous. Je me charge de mes souvenirs.

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