Thierry Marx et Raphaël Haumont: ça gaze fort!
L’un est un chef étoilé. L’autre un biochimiste exalté. Entre eux, une passerelle. Entre savoir-faire dans les assiettes et science de la nature. Ou la conscience du bien manger. Les deux hommes se sont associés pour créer le Centre français d’innovation culinaire à Paris. «Il sert à réfléchir à la cuisine de demain, à laisser libre cours à la créativité. Pour être créatif, il faut créer de nouvelles textures et émotions culinaires », justifient les intéressés. Leur CFIC est un lieu de recherche et de formation sur une cuisine visionnaire, qui n’en oublie pas ses fondamentaux séculaires. Ou comment agrémenter tradition et modernité, pour une alimentation évoluée. bonbonne d’azote, cloche à dépressuriser, petit ballon gonflé qui voisine avec des fruits. Un « labioratoire» pour conquérir l’auditoire. « Quand vous épluchez une orange pour cuisiner les suprêmes, vous faites quoi de l’écorce ? Nous, on ne jette rien!». Sur le principe quasi surréaliste de la terre est bleue comme une orange, nos deux alchimistes du goût récupèrent les zestes et les zists (la peau blanche) pour les transformer. Mixés très fin, ils donnent un jus liquide, une essence à l’arôme pur et frais malgré sa cuisson. Mélangée à de l’eau riche en calcium, la voilà qui se solidifie en « une délicieuse confiture, sans sucre ajouté.», sourit Thierry Marx, fier de son expérimentation sans pépin. Du coup, il s’agit aussi de faire un biscuit au chocolat, sans sucre non plus, mais également sans oeufs! « Le chocolat, c’est déjà un produit gras. pas besoin de diluer son goût dans du beurre ! », tempête le cuisiner, avec une intonation qui fait penser au regretté JeanPierre Coffe. De l’eau, du bon chocolat, et un peu d’algue (agar-agar) pour tout gélifiant. Raphaël s’empare déjà du siphon pour créer un effet mousse « qui remplace les blancs montés en neige. On obtient une mousse de chocolat, meilleure qu’une mousse au chocolat» Placé sous une cloche «anti cocotte-minute qui aspire l’air», le biscuit dans son moule « gonfle doucement mais sûrement, car les bulles de gaz se dilatent sans aucune levure chimique». Après azote, le biscuit devient «sponge cake sans cuisson, Thierry Marx et Raphaël Haumont, deux alchimistes culinaires dans leurs oeuvres...
avec les alvéoles et le moelleux comme s’il avait été cuit au four, mais uniquement avec le goût du chocolat». Et oui. Ces alchimistes ne sont pas des adeptes de la pilule futuriste et des produits de synthèse. «Dans les espuma aujourd’hui à la mode, on trouve souvent tout un tas de produits à la con, alors que dans les fruits, par exemple, il y a déjà des agents moussants, balance Raphaël. Nous, on défend une cuisine moléculaire naturelle, c’est un contre-pied aux idiots ». Et aux ignorants. Témoin encore, ce café enfermé
dans un petit ballon bleu, avant d’être cryogénisé dans son bain d’azote, à 193°. «Ça donne une boule sphérique de café frappé, que l’on peut percer pour mettre un biscuit chocolat chaud ou une crème chantilly». Une «canette du futur», toute végétalisée par transformation moléculaire, vient compléter la démonstration. Atteinte aux traditions? «La cuisine, sans cesser d’être un art, doit soumettre ses formules anciennes à la science pour évoluer », conclut Thierry Marx. C’était une devise du grand Auguste Escoffier…
ALEXANDRE CARINI acarini@nicematin.fr