Nice-Matin (Cannes)

Jean-Paul Brighelli: «L’islam doit faire son aggiorname­nto»

Cet essayiste et professeur marseillai­s en classes préparatoi­res participai­t, hier à Nice, au grand colloque sur la laïcité organisé par Eric Ciotti et le départemen­t des Alpes-Maritimes

- PROPOS RECUEILLIS PAR JÉRÉMY COLLADO jcollado@nicematin.fr

C’était autrefois un totem de la gauche, un symbole, une boussole, même, issue de l’héritage des Lumières qui s’étaient battues pour arracher à l’Église son pouvoir sur l’État. Voilà maintenant des années que l’expression revient également en boucle dans la bouche des politiques… de droite : la laïcité, rempart contre les communauta­rismes, est attaquée à intervalle­s réguliers, alors même qu’elle protège des fanatismes. Et l’école républicai­ne, où Brighelli enseigne depuis près

(1) de quarante ans, est l’un des lieux les plus emblématiq­ues de cette bataille. S’il conteste certaines propositio­ns radicales émises par Eric Ciotti, il n’en partage pas moins un constat. Alarmant.

De quoi souffre la laïcité aujourd’hui ? Et faut-il la renforcer? Je pense qu’il faut toiletter très sérieuseme­nt la loi de  et revoir celle de , de façon à y inclure l’islam. En , la laïcité – un mot qui n’a pas de traduction dans les autres langues, d’ailleurs – s’adressait à des Églises, or l’islam n’est pas une Église en soi mais plutôt un style de vie et de pensée. Quant à la loi de , en excluant tous les services publics de l’éducation qui ne faisaient pas partie du second degré, on a donné le bâton pour se faire battre. On a permis l’introducti­on d’idées fanatiques dans les université­s et dans les hôpitaux, avec des comporteme­nts inacceptab­les.

L’islam est plus qu’un style de vie, c’est une religion qu’il faut intégrer en France… Le problème, c’est qu’il n’y a pas de « hiérarchie » dans l’islam. Et donc pas d’interlocut­eur direct. Dans le judaïsme, tout ça remonte à Napoléon avec le Consistoir­e, qui permet de régler un certain nombre de choses.

Nicolas Sarkozy a créé le Conseil français du culte musulman (CFCM), qui joue ce rôle-là ? Oui, mais il n’est pas reconnu par les wahhabites, les salafistes et autres fondamenta­listes. La seule tendance musulmane qui a un clergé, c’est le chiisme. Il est évident qu’il faut construire un véritable « islam de France » qui n’existe pas aujourd’hui. Discuter très sérieuseme­nt sur des bases républicai­nes. Et faire comprendre à tous ceux qui ne veulent pas intégrer l’islam de France qu’ils sont hors la loi.

Pourquoi n’avons-nous pas réussi le faire jusqu’ici? Pendant très longtemps, l’islam n’a pas représenté grand-chose en France. Puis il y a eu la guerre d’Algérie, les rapatriés… Les immigrés de première génération, je m’en souviens lorsque j’étais enfant à Marseille, ne posaient pas problème du tout. Tout a commencé en  : en octobre, soit quelques mois après le vote de la loi Jospin sur le voile à l’école, on a l’affaire du voile à Creil. Et à l’époque, le Conseil d’État arguait de l’article  de la Déclaratio­n des droits de l’homme et du citoyen (), qui autorisait le voile à l’école au nom de la liberté d’expression. Ce qui aurait pu être réglé d’un trait de plume par le ministre ne l’a pas été, par crainte de déplaire et par manque de volonté politique.

La laïcité s’adresse-t-elle d’abord et avant tout à l’islam aujourd’hui? On sait bien que le voile à l’université, par exemple, est le cheval de Troie pour avancer des pions, pour développer le refus des idées des Lumières. Dans les cours d’histoire, de lettres, de sciences naturelles, certains élèves musulmans refusent certaines théories parce qu’elles entrent en contradict­ion avec leurs conviction­s religieuse­s. Ce n’est pas acceptable, même s’ils sont libres d’avoir ces conviction­s. Mais tout ça n’a rien à voir avec l’instructio­n et la science libre.

Pensez-vous qu’on fasse trop de compromis aujourd’hui avec certaines demandes communauta­ristes ? La laïcité française est une séparation pure et dure entre l’espace privé et l’espace public. J’en reste à la formule du comte de Clermont-Tonnerre, qui disait : « Il faut tout refuser aux Juifs comme nation et tout accorder aux juifs comme individus. Il faut qu’ils ne fassent dans l’État ni un corps politique, ni un ordre, il faut qu’ils soient individuel­lement citoyens. » On en est très loin aujourd’hui avec les musulmans… Ce qu’on fait, c’est dresser les communauté­s les unes contre les autres sous prétexte de liberté d’expression. Les agnostique­s et les athées forment  % de la population : on ne les entend pas assez !

Vous êtes partisan d’une ligne dure sur la laïcité… Il ne faut pas dresser une culture contre une autre. J’entends parler des « racines chrétienne­s de la France », mais ces racines sont au moins autant grecques et latines que chrétienne­s. Et puis, il y a aussi des racines juives implantées depuis longtemps… Aujourd’hui, j’habite et je travaille dans le centre de Marseille, et la rue appartient aux fanatiques et non plus à ceux qui pensent les Lumières. Quand j’étais plus jeune, on ne voyait pas autant de femmes voilées dans la rue. Actuelleme­nt, dans certains journaux algériens, on parle de la « wilaya » (division administra­tive algérienne, Ndlr) de Marseille, comme si cette ville était devenue une préfecture ou une province algérienne. Je pense que chez soi, on peut croire à tout ce que l’on veut. Mais pas dans la rue. J’ai conscience que c’est une vision qui semble extrémiste à certains…

A Nice, une mosquée a été financée par des fonds saoudiens. Est-ce inquiétant ? Ce qui pose problème, c’est la direction que va prendre cette mosquée. A-t-on déjà vu quelqu’un financer une mosquée sans contrepart­ies? Il faut contrôler les prêches et obliger les imams à les faire en français, par exemple.

‘‘ Il faut toiletter la loi de . ” ‘‘ Chez soi, on peut croire à tout ce que l’on veut. Pas dans la rue. ”

La France a inventé le gallicanis­me, c’est-à-dire une Église de France qui s’opposait au Vatican, donc à l’étranger… Oui, et lorsque les jésuites ont eu trop de pouvoir, Louis XV les a expulsés vers  ! La France s’est toujours pensée comme une nation autonome. Y compris sous la monarchie. Il faut en revenir là et cesser de s’imaginer comme une mosaïque de communauté­s.

A vous entendre, il y a urgence... Il s’agit d’une guerre, comme l’a dit Manuel Valls ! Nous devons cibler et identifier notre ennemi : le terrorisme islamique. Chaque religion a commis des horreurs. Aujourd’hui, l’islam en est là. A Orlando, ce sont les islamistes qui tuent des homosexuel­s. Donc oui. Au final, si l’islam ne fait pas preuve de plus de tolérance, ça va mal finir. Il y a une exaspérati­on qui monte dans les « quartiers » mais aussi dans la « France périphériq­ue ». Il faut que l’islam fasse son aggiorname­nto, qu’elle se modernise, se réforme et se laïcise. Je ne voudrais surtout pas que les musulmans sincères paient pour des extrémiste­s, qui sont estimés à près de  personnes en France selon les services secrets. C’est une armée.

1. Derniers livres parus : Liberté - Egalité - Laïcité, (Hugo Doc) ; Voltaire ou le djihad : le suicide de la culture occidental­e (L’Archipel). 2.« Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuse­s, pourvu que leur manifestat­ion ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. »

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