Soit dit en passant
Aujourd’hui, la digue des Français est un axe majeur de la circulation du quartier des Moulins à l’ouest de Nice. Initialement, ce n’est ni à une rue, ni à une digue mais à un pont sur le Var tout proche que renvoie ce nom. Un pont qui a connu nombre de vicissitudes.
Tant que Nice appartient à la Provence, l’idée de construire un pont sur le Var peut se défendre. Ainsi, en 1381, est créée une taxe sur le franchissement du fleuve destinée à financer la construction d’un pont. Mais quand Nice et son comté se donnent aux Savoie, en 1388, le fleuve Var devient la frontière entre la Provence, puis la France, et les États de Savoie. Dans ces conditions, pas question de faciliter le franchissement du fleuve ! En conséquence, la construction du pont n’est plus d’actualité. Pendant des siècles, donc, on ne franchit le Var qu’à gué. En 1468, il se crée même une corporation de gueyeurs, à Saint-Laurent-du-Var, côté français, chargée de faire traverser le fleuve aux rares voyageurs. Mais la guerre est là, régulière, pas moins de huit campagnes qui opposent la France et les Savoie entre 1524 et 1744. Et il faut bien faire passer les troupes. En marsavril 1629, un pont de bateaux est établi sur le Var au cours d’une de ces campagnes. Bombardé par la flotte alliée des Savoie, il finit par être détruit. Il en ira de même pour toutes les guerres suivantes : toujours construits par les troupes françaises, les ponts provisoires en bois sont systématiquement détruits par les armées savoyardes.
Bâti loin du rivage pour échapper aux bombardements
Arrive l’automne 1792. Les 28-29 septembre, l’armée française construit un nouveau pont de bois et envahit Nice et son comté. Prudents, les ingénieurs français ont établi le nouvel édifice à hauteur du village de Saint-Laurent-du-Var, loin du rivage, pour qu’on ne puisse pas le bombarder depuis la mer. En 1793, l’occupation de Nice se transforme en annexion à la France. En 1812, le gouvernement impérial crée une belle route pour relier Antibes à Nice, unies sous son autorité, et le pont de bois perdure. En 1814, la France rend Nice et son comté à la Maison de Savoie. Mais cette fois-ci, chacun s’accorde à considérer que le pont est trop utile pour être détruit : bien que régulièrement emporté par les flots torrentueux du Var, et malgré son étroitesse et son cheminement sinueux, on le conservera, et on établira à ses deux extrémités, pour la première fois, une guérite pour abriter les gardes. Et c’est ainsi que le pont entre dans l’histoire sous le nom que lui donnent les Niçois : puisqu’il a été construit par les Français, et qu’il ressemble par sa longueur (1,4 kilomètre) plus à une digue qu’à un pont, se sera la «digue des Français ». La digue des Français reste en place jusqu’en 1865. A cette date, Nice étant devenue française en 1860, Napoléon III ordonne la construction d’un nouveau pont, plus solide, plus large et plus proche de la mer. C’est l’édifice actuel. La digue des Français est démontée, mais son souvenir demeure à travers cet axe majeur de la circulation qui va du quartier des Moulins à l’ouest de Nice. HERVÉ BARELLI