Nice-Matin (Cannes)

Fin de vie : aux confins

Alors que se tient à Antibes la 36e AG de l’ADMD, son président déplore l’hypocrisie et les dérives actuelles autour de la fin de vie. Pendant ce temps, un homme n’en finit pas de mourir «On ne pourra pas aller plus loin qu’avec la sédation totale.»

- DOSSIER NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

Le lancinant débat sur l’euthanasie prendra-t-il fin un jour en France ? On peut en douter tant les parties qui s’affrontent sont opposées sur la question. D’un côté, l’ADMD (associatio­n pour le droit de mourir dans la dignité) et son médiatique président, Jean-Luc Romero, militent en faveur d’une « loi de liberté, une loi du choix, plaçant le patient au coeur de toute décision médicale de fin de vie ». De l’autre, certains médecins, des politiques qui s’inquiètent des dérives possibles et questionne­nt le droit d’une société de légiférer pour s’accorder le droit de donner la mort. Un sujet complexe qui pose plus de questions qu’il n’ appelle de réponses.

Séropositi­f depuis l’âge de 27 ans, Jean-Luc Romero plaide depuis des années pour un « faire mourir » en opposition à ce qu’ il nomme le« laisser mourir ». Il s’ appuie aujourd’hui sur un sondage indiquant que 90% des Français sont favorables à une loi de légalisati­on de l’euthanasie pour demander aux candidats aux prochaines élections de le faire figurer dans leur programme. Rencontre.

Pourquoi Antibes pour cette AG?

Pas par hasard, comme vous vous en doutez. M. Leonetti, député maire de cette ville, a été Monsieur Fin de vie des gouverneme­nts de droite puis de gauche. Il a échoué depuis  ans et continue dans la même voie : on n’écoute pas le patient, et on s’occupe surtout de ceux qui sont autour du lit. L’AG est l’occasion de lancer notre campagne en direction des candidats aux législativ­es et présidenti­elle… Il ne faut pas suivre cette voie; elle est catastroph­ique pour les soins palliatifs et l’écoute du patient.

Vous parlez d’échec, alors que l’on a vu la situation des soins palliatifs s’améliorer…

Si par améliorati­on vous entendez progressio­n du nombre de lits, oui, il y a un peu plus de lits. Mais, si on regarde à grande échelle, lorsque M. Leonetti a commencé à s’occuper de cette question, seulement  % des gens qui nécessitai­ent des soins palliatifs en bénéficiai­ent. Ce taux est inchangé. En réalité, il y a eu un seul plan soins palliatifs, en , au moment de l’affaire Chantal Sébire (). Ensuite, on a fait de l’arrosage… On en a beaucoup parlé, et dès qu’une affaire sort dans les médias, on saupoudre… Que l’on soit pour ou contre l’euthanasie, on est obligé d’admettre que les soins palliatifs sont une loterie en France. Il faut un coup de bol ou des relations pour y aller…

Sans légaliser l’euthanasie, un texte de loi prévoit aujourd’hui un « droit à la sédation profonde et continue » pour les patients atteints de maladies graves incurables. Encore insuffisan­t?

C’est une loi faite sur les devoirs des médecins, pas les droits des patients! Et elle n’est même pas plébiscité­e par tous les médecins. La sédation terminale est une forme d’euthanasie, mais à petit feu… Elle a été dénoncée à la fois par des pros et des anti euthanasie. Certaines personnes mettent des semaines à mourir.

Sans souffrance …

Qu’est ce qui permet de dire ça? Régis Aubry lui-même, président de l’Observatoi­re national de la fin de vie a dit qu’il n’existe aucune étude permettant d’affirmer qu’on ne souffre pas dans une sédation terminale. Des gens font des grimaces, bougent dans tous les sens… À l’étranger, c’est considéré comme de l’euthanasie active, mais indirecte. On endort les gens, on arrête de les alimenter, les hydrater et ça peut durer trois semaines. Nous, on souhaite qu’à leur demande, les personnes, entourées des leurs, puissent partir en quelques secondes. En quoi notre demande est-elle plus scandaleus­e que laisser des gens traîner?

On sait que dans les faits, régulièrem­ent des personnes sont aidées à mourir.

C’est vrai. En France, on estime que  personnes par an reçoivent un produit léthal. Sauf, que sur ces personnes, seules  sont aidées à LEUR demande – et merci à ces médecins qui ont le courage de braver la loi. Les autres reçoivent un produit léthal sans avoir rien demandé! C’est chez nous, et pas dans les pays qui ont légalisé l’euthanasie qu’il existe des dérives.

Les Français, dans leur majorité, vous suivent. Pourtant, ils sont

très peu nombreux à rédiger des directives anticipées. Comment comprendre ce paradoxe?

Il y a deux raisons à cela. Aucun gouverneme­nt à ce jour n’a fait de « campagne » suivie sur les directives anticipées. On en parle en période de crises, ou d’une affaire, puis on oublie et on passe à autre chose. L’autre problème, c’est qu’elles ne sont pas opposables pour le médecin. La personne se dit : si je l’écris et que c’est pas respecté, ça ne sert à rien !

Il est prévu qu’elles deviennent opposables.

C’est faux, puisqu’il y a deux exceptions. La première, c’est s’il y a urgence vitale [les secours n’ayant pas connaissan­ce des directives du patient, ndlr]. On peut comprendre, mais en même temps, on s’expose à des situations comme celles de Vincent Lambert. Les médecins se retrouvero­nt dans l’inconfort, des familles risquant de les poursuivre en justice. Deuxième exception, et c’est le pompon : si le médecin estime que les directives sont manifestem­ent inappropri­ées, il peut ne pas les appliquer. En droit, la notion « manifestem­ent inappropri­ées », ça n’existe pas!

Cela fait des années que vous vous battez pour ce droit à l’aide active à mourir. Pensez-vous encore gagner ce combat?

Oui. Car, demain, à la prochaine affaire, que pourra-t-on faire? On ne pourra pas aller plus loin qu’avec la sédation profonde qui est déjà de l’euthanasie déguisée. Il faudra alors dans un cadre très précis, permettre l’euthanasie active.

1. Atteinte d’ une tumeur rare, incurable et responsabl­e de déformatio­ns irréversib­les de la face, cette enseignant­e avait fait une demande d’euthanasie qui avait été rejetée par la justice. L’affaire avait provoqué un « tsunami médiatique ».

 ?? (Photo Simon Escalon) ?? Jean-Luc Romero, président de l’Associatio­n pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD).
(Photo Simon Escalon) Jean-Luc Romero, président de l’Associatio­n pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD).

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