Nice-Matin (Cannes)

« S’il avait laissé un mot, les choses auraient été différente­s »

-

Deux fois par semaine, J. se rend au chevet de son fils, Stéphane. Il lui parle, lui lit Nice-Matin, tente quelques mots de russe – « il détestait que je lui parle dans cette langue, alors je me dis que peut-être la colère le fera réagir… » Un espoir dont il sait qu’il est vain. « Il n’y a pas de vie en Stéphane. Mon fils est déjà mort. Tous les médecins le confirment : son cerveau est irréversib­lement détruit. Ses seules manifestat­ions sont de la souffrance et de la peur… Quel est son niveau de conscience ? Est-ce la conscience de celle d’un animal ? À moment donné, il criait beaucoup, il hurlait même… comme un animal blessé. C’est un esprit enfermé dans un corps… » Croyant, J. n’en veut à personne. Il ne souhaite pas porter de jugement sur les réticences médicales à ôter la vie. « Je comprends qu’on ne peut pas prendre la vie… Et les médecins, les soignants qui s’occupent de lui font du bon travail… » Mais son coeur meurtri de père, de grand-père impuissant à soulager les douleurs de ses petits-enfants (Stéphane est aussi papa de deux grands enfants, d’une précédente union, en grande souffrance), hurle sa douleur. « Je veux qu’on arrête les traitement­s [Stéphane continue notamment d’être traité par de l’insuline, ndlr], qu’on libère mon fils… (silence) Mais, je sais que je ne l’obtiendrai pas. » Alors J. se dit près. Ou presque. Un jour, si la situation ne se dénoue pas, c’est lui qui inscrira le mot Fin. « Quitte à [se] retrouver devant la justice. Je n’ai plus rien à perdre… » Car, il n’a aucun doute sur ce que souhaitait son fils. «Je suis absolument certain, pour en avoir beaucoup parlé avec lui, notamment lorsque sa maman a été très malade, que mon fils ne voulait pas rester là… S’il avait laissé un mot, les choses auraient été différente­s aujourd’hui… Mais, on n’y pense pas. » La loi Leonetti ? Pour J., c’est « une loi hypocrite qui ne s’applique pas à toutes les situations ». Et notamment à la leur. Comme elle ne sait pas résoudre l’affaire Vincent Lambert. « Mais, chez nous, personne ne s’oppose à ce qu’on aide Stéphane à partir. Ni ses enfants, ni sa compagne, ni moi, son père… » Tous ces êtres qu’il aimait et qui ne savent plus où il est aujourd’hui. « Il est déjà mort, mais on ne peut pas faire le deuil. Son corps est encore là. Il n’y a pas de fin. »

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France