Dans une cité HLM :
«Des coffee shops comme en Hollande?»
« La légalisation ? Bien sûr qu’on en parle. Ici, on parle de tout, même de politique. » Un milieu d’après-midi comme un autre dans une cité HLM varoise. Des centaines de consommateurs y défilent chaque jour pour acheter leur barrette de shit ou leur pochon de beuh. « Pas de photo, pas de nom. » On est accueilli dans un petit local associatif par un groupe de jeunes qui veulent bien « tout dire sur le sujet », à condition de rester anonymes. Eux ne trafiquent pas (ou plus) mais préfèrent qu’on ne situe pas le quartier. Une question d’image. La cité ressemble à toutes les cités de France, avec des grandes tours au pied desquels des minots « encapuchés » dealent quotidiennement. Ici, la permanence est assurée de 17 à 23 heures.
« Ils peuvent aussi chercher du boulot » À peine le sujet est-il lancé que chacun veut y aller de sa petite théorie. Tous sont conscients que le trafic actuel « permet de faire manger et vivre des familles entières ». «Si on légalise, intervient un jeune habillé aux couleurs du FC Barcelone, ils vont faire comment, tous ceux qui en vivent ? » La réplique a le don d’agacer un acteur social qui passe par là : «Ces gens-là peuvent aussi chercher du boulot », propose-t-il calmement. À quelques dizaines de mètres de là, les allées et venues des consommateurs ont commencé. Parfois, c’est la queue pour passer à
la caisse. Comme au supermarché. « On voit des jeunes, des vieux, des riches, des pauvres, des hommes, des femmes… Il y a de tout », commente un autre habitant de la cité. Ici comme ailleurs, le sujet reste très clivant. D’un côté, il y a les « pour ». Ceux qui pensent que la légalisation « permettra aux clients d’être plus rassurés et d’avoir un produit plus propre» . Et de
l’autre côté, il y a les « contre». Ceux qui craignent qu’un changement de législation fasse «augmenter la violence » et pénalise tous ceux qui vivent du trafic.
«Les politiques achètent la paix sociale» « Vous savez, commente un jeune papa accompagné de son bambin, tout est organisé comme dans une entreprise. Si tout s’écroule du jour
au lendemain, ça va foutre le bordel. » S’il y a bien un point, en revanche, sur lequel tous les avis convergent, c’est « l’hypocrisie » qui enveloppe le sujet. « Pourquoi ils vendent des kits complets pour rouler des pétards, avec feuilles longues et grinders [l’outil utilisé pour effriter l’herbe, Ndlr] ?», balance un trentenaire qui dit en connaître long sur l’organisation des « go fast » venant du Maroc. « Si on en est là aujourd’hui, c’est parce que les politiques ont toujours voulu acheter la paix sociale », analyse un autre, qui prétend avoir fait sa dissertation au bac sur le même sujet. Arrive un grand gaillard en train de rouler un joint. « Le problème, expose-t-il, c’est que la moitié des gens qui sont en prison le sont à cause du cannabis. » Lui est plutôt favorable à la dépénalisation, même s’il pense que « ça ne réglera pas les problèmes sociaux ».
«Réfléchir à une politique d’intégration» C’est aussi l’avis d’un joueur de foot du quartier. « C’est tellement dur de ne pas tomber dans le trafic, avec l’appât du gain, qu’il va falloir mettre quelque chose à la place, réfléchir à une politique d’intégration. Vous savez, dit-il, les anciens en ont marre de tout ça, ils préféreraient que ça n’existe pas. » Mais il s’inquiète surtout de voir les jeunes dealers de plus en plus tôt. «Aujourd’hui, constate-t-il amer, ils n’ont plus peur du tout. À 14 ans, ils sont guetteurs, à 16 ans, ils arrêtent l’école, et à 17 ans, ils veulent déjà prendre la place des grands en devenant les patrons de réseau. » Le discours est sage et posé. Lui n’est pas « forcément contre » un changement de loi, mais « tout dépend dans quelles conditions ». Et de proposer par exemple «d’ouvrir des coffee shops comme en Hollande, en les implantant dans les cités. »