Rocade L de Marseille: le racket du BTP en procès
Gros bras des quartiers Nord face aux gros sous du BTP: huit prévenus comparaissent à partir d’aujourd’hui à Marseille dans un dossier de racket d’entreprises du Bâtiment, emblématique d’une forme de criminalité le plus souvent subie en silence. Parmi les prévenus jugés devant le tribunal correctionnel, quatre hommes se sont attaqués à un gros morceau : l’un des plus importants chantiers de construction de la décennie à Marseille, la rocade autoroutière L2. Ils comparaissent pour extorsion, au préjudice de Bouygues notamment, soupçonnés d’avoir exigé des embauches, sans quoi le chantier ne pourrait pas continuer. L’affaire commence le 26 janvier 2015, à proximité de la cité PiconBusserine, par l’incendie spectaculaire d’engins de chantier, dont une foreuse sophistiquée de la société Bouygues Travaux Publics, une machine quasi unique en Europe. Préjudice : deux millions d’euros.
« Pas le choix »
Troublante coïncidence, trois jours plus tard, le responsable de ce chantier de la L2 reçoit un devis de la société Télésurveillance Gardiennage Intervention (TGI) pour assurer la sécurité des lieux. Brisant le silence qui entoure ce type de délits, un ingénieur de Bouygues porte plainte. L’un des principaux prévenus, Halid Compaoré, 39 ans est décrit dans l’enquête comme « l’incontournable détenteur du sésame ouvrant la voie au marché de la sécurité dans les quartiers Nord de Marseille ». Il s’en prenait aux entreprises du BTP, intimées d’embaucher du personnel de TGI, ou à d’autres entreprises de sécurité, obligées de verser leur dîme pour travailler. « Les sociétés n’ont pas le choix et doivent passer par lui», expliquera l’un de ses concurrents évoquant des menaces, notamment avec une arme: «Ces personnes font tout sous la force.» Un autre prévenu, «l’homme de main» Hadj Abdelkrim Bensaci, est incriminé par une écoute : on l’entend se préparer à menacer un responsable de chantier de le tuer, ou ses enfants, pour se faire remettre 12000 euros. «Pour nous, c’est des milliards», s’enflamme-t-il au téléphone. Pour le dédouaner, l’un de ses proches dira que cet homme de 41 ans «aboie plus qu’il ne mord»…
Un médiateur de 45 ans, Karim Ziani, dirigeant du club de foot de la cité (et homonyme d’un international algérien qui a notamment joué à l’OM), devra également s’expliquer. C’est lui qui a mis en relation les racketteurs et les responsables du chantier de la L2… à la demande de ces derniers. Anticipant des difficultés dans ce quartier sensible, ils avaient demandé à rencontrer un « facilitateur ».
Un demi-million sur une quinzaine de comptes
Pour les enquêteurs, il est un rouage essentiel du racket, qui agissait «en connaissance de cause». Alarmiste, Karim Ziani affirmait que «la pression » montait et qu’il ne pourrait « plus rien maîtriser » si des habitants de la cité n’étaient pas embauchés par l’intermédiaire de la société TGI. Il aurait aussi lâché aux entrepreneurs que Compaoré avait mis le feu la foreuse. A la barre, comparaîtra également le gérant de TGI, Rafik Zeroual, 43 ans, pour complicité. Lui semblait se contenter de passer des ordres et de prélever son pourcentage : 7 000 à 8 000 euros par mois, de son propre aveu. Dans ce dossier, près de 500000 euros ont été saisis au total, sur une quinzaine de comptes. Outre le volet extorsion, les prévenus devront répondre d’une multitude de délits financiers: les sociétés ne payaient pas d’impôts, réglaient les salaires en liquide, ne disposaient d’aucune habilitation…