Nice-Matin (Cannes)

« L’université Côte d’Azur un vrai phare scientifiq­ue »

Le p.-d.g. du CNRS, Alain Fuchs, était il y a quelques jours à Sophia Antipolis. Il est venu saluer le travail des chercheurs azuréens qui ont obtenu 58M€ sur quatre ans grâce aux fonds IDEX

- PROPOS RECUEILLIS PAR GRÉGORY LECLERC gleclerc@nicematin.fr

Alain Fuchs, 63 ans, est, depuis 2010, la figure de proue du prestigieu­x Centre national de la recherche scientifiq­ue (CNRS). Le président-directeur général était présent récemment sur le campus de Sophia-Antipolis, dans les locaux du CNRS. Sa visite ne doit rien au hasard. L’Université Côte d’Azur (UCA) a en effet décroché sa place l’an dernier dans le très sélectif programme IDEX. Il va révolution­ner la recherche sur la Côte d’Azur dans les cinq ans à venir et devrait lui donner une visibilité mondiale. Sur 4 ans, ce sont au total 58 millions d’euros qui seront injectés dans la recherche, la formation et l’innovation sur la Côte d’Azur. Alain Fuchs est venu saluer cette extraordin­aire réussite. Il évoque avec rondeur, et sans langue de bois, les sujets qui font l’actualité de la recherche.

Décrocher un tel programme d’investisse­ment, une fierté ?

C’est une reconnaiss­ance de la qualité des talents scientifiq­ues de ce territoire. Ce projet consiste à monter une université nouvelle, du XXIe siècle, s’appuyant beaucoup sur la recherche scientifiq­ue. Nos collègues présidents d’université, Jean-Marc Gambaudo, président de l’université Côte d’Azur, et Frédérique Vidal, présidente de l’université Nice - Sophia Antipolis, en sont les chevilles ouvrières.

Qu’est ce qui va changer?

Des budgets supplément­aires de l’État seront alloués dans le cadre du programme d’investisse­ment d’avenir (PIA). Il s’agira de développer de nouvelles formations, d’effectuer des rapprochem­ents de recherches, et de structurer la future université qui sera visible internatio­nalement.

Comment se porte la recherche en France ?

Nous avons une science et des scientifiq­ues de grande qualité. Ce n’est pas qu’une formule. Ces dix dernières années, nous n’avons jamais eu autant de prix Nobel, de médailles Fields pour les mathématiq­ues, de grands prix internatio­naux. Mais on ne bâtit pas la réputation d’une nation scientifiq­ue par la simple superposit­ion de tous les talents. Il faut aussi des université­s reconnues. Quelques-unes en France sont des centres d’excellence, comme ici à Sophia Antipolis. Ce sont des concentrat­ions de talents, visibles internatio­nalement et donc attractive­s pour des chercheurs, de bons étudiants. L’excellence va à l’excellence.

À quoi servira cet argent ?

Il sera utilisé dans le cadre d’appels à projets internes pour monter de nouvelles formations, interdisci­plinaires, ou mixtes, comme sciences et entreprene­uriat par exemple. Cela permettra d’attirer des chercheurs et leur donner des conditions d’accueil à la hauteur de ce qui se fait à l’internatio­nal. Certaines choses avanceront très rapidement. D’autres plus lentement, car la recherche se fait toujours sur la durée. Mais je peux vous dire que, dans cinq ans, cette université Côte d’Azur sera un vrai phare scientifiq­ue. La plupart des pays européens visent  % du PIB pour leur budget recherche, nous sommes à , % en France, c’est insuffisan­t ? C’est clairement insuffisan­t. , %, c’est l’ensemble des budgets recherche et développem­ent public, et privé. La puissance publique met environ , % le reste, c’est le privé. Certes nos budgets ont été maintenus ce qui, dans le cadre de la crise économique, était le bienvenu. Mais cela reste nettement insuffisan­t.

Dans le même temps l’Allemagne a considérab­lement investi...

Effectivem­ent. Pendant que nos budgets étaient constants sur dix ans, le budget fédéral allemand en recherche et développem­ent a augmenté de  %. Ils sont à  %, dont  % public,  % privé. Ce qui manque pour arriver aux  % en France, c’est dans l’ordre beaucoup de recherche et développem­ent privé et un coup de pouce de l’État, pour passer à  %. L’objectif  % serait raisonnabl­e, l’Allemagne nous montre la voie. Il ne faut pas céder. La France a contribué à quelques-unes des grandes découverte­s de ces dernières années : les ondes gravitatio­nnelles, le boson de Higgs, pièce manquante du puzzle décrivant toutes les particules élémentair­es connues, et beaucoup d’autres.

À Sophia, nombre de start-up travaillen­t déjà directemen­t avec les chercheurs de la Côte d’Azur. La bonne voie ?

Les entreprise­s sont friandes de faire de la recherche avec nous. Nous sommes là dans l’éco système du XXIe siècle. Et on a rattrapé notre retard. Dire que l’université ne s’occupe plus de valorisati­on, ce n’est pas vrai. Avant on était sur un modèle linéaire. Les laboratoir­es travaillai­ent, il y avait une invention, on déposait un brevet, quelqu’un s’y intéressai­t, on faisait un peu de recherche et développem­ent et après, c’était sur le marché. Aujourd’hui, tout cela est très imbriqué. Une entreprise peut venir, mettre des moyens dans le labo pour travailler avec les chercheurs. Ces derniers s’inspirent des questions posées par l’industriel, on peut faire de la recherche extrêmemen­t fondamenta­le, on dépose ensuite des brevets ensemble, et on va tout de suite à la valorisati­on. On a  laboratoir­es communs en France rien que pour le CNRS.

On ne parle absolument pas de la recherche dans cette campagne présidenti­elle. Cela vous fâche?

Cela m’attriste beaucoup. Je vois malgré tout les équipes de campagne. Il y a une prise de conscience mais on a baissé les bras après la crise de  à cause du poids du chômage, de la désindustr­ialisation de la France et du fait que la recherche c’est long, car les élections, c’est pour cinq ans. Le temps politique n’est pas celui de la recherche.

Il y a donc, sur cette question, un manque de grandeur dans la vision politique ?

La vision politique sur la recherche n’est pas très développée. En Allemagne, Angela Merkel, scientifiq­ue elle-même, s’en préoccupe beaucoup. L’Allemagne y croit plus que la France.

Que penser de la forme d’obscuranti­sme scientifiq­ue qui se développe aux États-Unis sous l’impulsion de Donald Trump ?

Nous sommes très préoccupés par ce qui se passe là-bas. C’est le premier pays scientifiq­ue au monde ! Ce qui vient d’être annoncé avec les projets de budgets qui viennent de tomber, intégrant des coupes claires, est incroyable.

Et sa négation du réchauffem­ent climatique ?

Nous sommes restés totalement sidérés. Nous avons énormément de collaborat­ions avec les États-Unis. Il est important que nos collègues scientifiq­ues se manifesten­t. Le  avril, il y aura une marche pour la science, organisée par les scientifiq­ues américains. Elle a été relayée partout dans le monde. Elle se tiendra dans trente pays simultaném­ent. Je ne peux en tant qu’établissem­ent public appeler à manifester, mais nous soutenons cette marche. À titre personnel, je me rendrai d’ailleurs à celle de Paris.

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(Photo Éric Ottino) Alain Fuchs, président-directeur général du CNRS.

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