Nice-Matin (Cannes)

Une octogénair­e dépossédée de son identité

Pour renouveler la carte de sa tante Carmen, qui vit depuis peu chez elle à Nice, Josiane a fourni tous les justificat­ifs. Dont son acte de naissance à Metz... qui ne suffit pas

- VÉRONIQUE MARS

Moi qui suis française, ai travaillé pendant quarante ans à Metz, en Lorraine, ma ville natale, en payant toujours mes impôts, je me retrouve, à 86 ans, sans identité. J’en suis toute chamboulée. » Petite silhouette gracile aux cheveux blancs, Carmen Marder avoue d’une voix douce qu’elle en a perdu le sommeil et l’appétit. À cause de son « histoire » ubuesque. D’un refus signifié à sa demande de renouvelle­ment de carte d’identité, qui la plonge, elle et les siens, dans le désarroi total. Tout a commencé quand sa nièce, Josiane, installée à Nice, reçoit un coup de fil d’une assistante sociale de Metz lui annonçant que sa tante, Carmen, de santé fragile, n’est plus en état de rester seule chez elle. « Il y avait deux solutions : soit la placer dans une maison de retraite en Lorraine soit la récupérer chez nous, à Nice. »

Extrait de naissance avec cachet de la mairie de Metz

Très liée à sa tante, Josiane choisit la deuxième option. Le 22 décembre, le temps d’un aller-retour en avion, elle installe Carmen à son domicile, reprend en main ses affaires, dont le dossier d’allocation personnali­sée d’autonomie (APA) constitué en Lorraine, pour le faire suivre à Nice. « Pour cela il fallait présenter une pièce d’identité. Or ma tante, ne voyageant pas, n’a jamais eu de passeport. Juste une carte d’identité qui n’était plus valide depuis dix ans. » En mars, Josiane se rend à la mairie annexe, rue Gabriel-Fauré, pour déposer une demande de renouvelle­ment de la carte d’identité de Carmen. « J’y suis retournée une deuxième fois pour déposer la pièce manquante : l’extrait de naissance de ma tante datant de moins de trois mois. » Sur la copie de cet acte que Josiane a gardée, on peut y lire que Carmen Marder est née le 24 septembre 1930 au 5, rue Clovis, avec cachet officiel de la mairie de Metz. Pour Josiane, cette affaire était bouclée et le dossier complet déposé le 23 mars, en même temps que l’ancienne carte d’identité. Il ne restait plus qu’à attendre la nouvelle…

« Désolée, votre tante n’est pas française… »

Quelques jours plus tard, Josiane reçoit un coup de fil des bureaux rue Gabriel-Fauré lui annonçant que le dossier de sa tante traité par le centre d’expertise et de ressources de la préfecture de Toulon pose problème. « Je suis restée ébahie lorsqu’on m’a dit “désolée mais votre tante n’est pas française. ” Certes, les parents de Carmen, mes grands-parents, sont d’origine polonaise, mais ont été naturalisé­s Français depuis belle lurette. Les six frères et soeurs de Carmen, dont ma mère, sont nés à Metz et sont donc Français. Un de mes oncles a même été directeur général des impôts pour la région PACA! J’ai fourni tous les justificat­ifs, présenté les cartes d’électeur de ma tante, son permis de conduire, fulmine Josiane. Mais me demander de retrouver le décret de naturalisa­tion de mes grands-parents, document datant des années 1 800 non, là c’est impossible ! » Pour plaider la cause de sa tante, Josiane a essayé d’obtenir les coordonnée­s de ce centre à Toulon. En vain. « On ne peut les joindre ni par téléphone, ni par mail ! »

« Nous sommes coincées ! »

Josiane pourrait rire de cette affaire kafkaïenne si elle n’avait pas autant de répercussi­ons sur leur quotidien. « Pour entreprend­re des démarches administra­tives, obtenir une carte de bus, retirer de l’argent à la banque, pour plein d’actes de la vie courante, on vous demande une pièce d’identité. Et là, nous sommes coincées ! Ma tante doit subir prochainem­ent des radios à l’hôpital de L’Archet où, il faut présenter tous les papiers, dont la carte d’identité qu’elle n’a plus. Comment faire ? » Carmen avoue avoir le moral dans les chaussette­s. « Toute cette affaire me pèse. Je vis avec 900 € de retraite. J’ai toujours travaillé et jamais rien demandé. C’est ma nature. Mais me demander, à l’aube de mes 87 ans, de justifier de ma nationalit­é alors que j’en suis à ma 6e ou 7e carte d’identité renouvelée, non, ça ne passe pas. J’en suis malade. » Et voilà la douce et jolie Carmen qui se met en colère. « Si c’est pour me priver de voter pour les élections présidenti­elles, c’est raté. J’ai toujours voté et je le ferai le 23 avril et le 7 mai. Avec ou sans carte d’identité. Pour faire entendre ma voix de citoyenne française ! »

 ?? (Photo Frantz Bouton) ?? « Toute cette histoire me rend malade, avoue Carmen qui en a perdu le sommeil. Parce qu’avec ma nièce, nous ne pouvons rien faire sans carte d’identité ! »
(Photo Frantz Bouton) « Toute cette histoire me rend malade, avoue Carmen qui en a perdu le sommeil. Parce qu’avec ma nièce, nous ne pouvons rien faire sans carte d’identité ! »

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